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1) La proposition « bénigne » du juge Laws dans l’affaire Thoburn

Une proposition doctrinale britannique est spécialement intéressante pour l’étude, quoique dénuée à ce jour d’effet pratique : la distinction entre deux types de législations pri- maires. Certaines lois du Parlement seraient constitutionnelles (constitutional statutes) alors que d’autres seraient ordinaires (ordinary statutes). La distinction entre ces catégories tiendrait à la soumission ou non à l’implied repeal, c’est-à-dire à l’abrogation implicite. Il en résulterait une forme minimale de retranchement d’une partie des lois britanniques. Ainsi pour modifier une loi constitutionnelle, il serait nécessaire que les parlementaires de Westminster en émettent explicitement le souhait. M. Parpworth développe spécialement cette théorie dans son manuel de droit constitutionnel et administratif179, qu’il rattache à l’affaire Thoburn v Sunderland City

Council180.

Dans cet arrêt, le juge Laws, après avoir longuement rappelé le principe et l’effet de la doctrine de l’implied repeal, conséquence nécessaire de la souveraineté parlementaire britan- nique, choisit de s’en écarter radicalement. Après avoir rappelé que le droit de l’Union euro- péenne ne peut se retrancher lui-même (§§ 58-59), il intitule son troisième point de développe- ment « la loi sur les communautés européennes est une loi constitutionnelle qui, par la force du common law, ne peut être implicitement abrogée »181. Lord Laws a le mérite d’affirmer claire-

ment ses positions :

« Ces dernières années, le droit jurisprudentiel a permis, ou plutôt créé, des exceptions à la doctrine de l’abrogation implicite : une doctrine qui a toujours été une créature du droit jurisprudentiel. Il y a désormais des classes ou types de dispositions législatives qui ne peuvent pas être abrogées par simple implication. Ces catégories sont identifiées par nos

179 PARPWORTH (Neil), Constitutional and Administrative Law [Droit constitutionnel et administratif], op. cit., p. 89-92, également p. 206.

180 Thoburn v Sunderland City Council [2002] EWHC 195 (Admin), 18 février 2002.

181 « Third Conclusion : the European Communities Act is a Constitutional Statute which by Force of the Common

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propres cours et par elles seules, cours auxquels la nature et la portée de la souveraineté parlementaire sont confiées. »182

Lord Laws précise sa pensée dans la suite de son propos. D’abord, il propose une défini- tion des lois constitutionnelles – le Freedom of Information Act 2000 pourrait apparemment en faire partie, dès lors qu’il remplit la première et vraisemblablement la seconde condition avan- cée – et en donne des exemples (§ 62) :

« Nous devrions reconnaître une hiérarchie des lois du Parlement, comme s’il était des lois ordinaires et des lois constitutionnelles. Les deux catégo- ries doivent être distinguées sur une base de principe. A mon avis, une loi constitutionnelle est une loi qui (a) conditionne la relation de droit entre les citoyens et l’Etat de façon générale, ou (b) élargit ou diminue le champ de ce que nous appellerions désormais les droits fondamen- taux constitutionnels. (a) et (b) sont par nécessité intimement liés : il est difficile de penser à une situation (a) qui ne soit pas également une si- tuation (b). Le statut spécial des lois constitutionnelles suit le statut spé- cial des droits constitutionnels. Par exemple, la Grande Charte, la Péti- tion des Droits de 1689, l’Acte d’Union, l’Acte de Réformation qui or- ganisa et élargit la franchise, la loi sur les droits de l’homme, la loi sur l’Ecosse de 1998 et la loi sur le gouvernement du Pays-de-Galles de 1998 sont des lois constitutionnelles. La loi sur les communautés euro- péennes appartient clairement à cette famille. Elle a intégré l’entier cor-

pus de droits et d’obligations substantifs de la Communauté, et a donné

un effet domestique de primauté à la machinerie judiciaire et adminis- trative du droit communautaire. Il se peut qu’il n’y ait jamais eu une loi ayant un effet aussi profond sur tant d’aspects de nos vies quotidiennes. La loi sur les communautés européennes est, par la force du droit juris- prudentiel, une loi constitutionnelle. »183

182 Thoburn v Sunderland City Council [2002] EWHC 195 (Admin), 18 février 2002, § 60 (extrait) : « The common

law has in recent years allowed, or rather created, exceptions to the doctrine of implied repeal : a doctrine which was always the common law’s own creature. There are now classes or types of legislative provision which cannot be repealed by mere implication. These instances are given, and can only be given, by our own courts, to which the scope and nature of Parliamentary sovereignty are ultimately confided. »

183 Idem, § 62 (extrait) : « We should recognise a hierarchy of Acts of Parliament : as it were “ordinary” statutes

and "constitutional" statutes. The two categories must be distinguished on a principled basis. In my opinion a constitutional statute is one which (a) conditions the legal relationship between citizen and State in some gen- eral, overarching manner, or (b) enlarges or diminishes the scope of what we would now regard as fundamen- tal constitutional rights. (a) and (b) are of necessity closely related: it is difficult to think of an instance of (a)

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Ensuite, il s’intéresse aux règles d’interprétation qui guideraient les juridictions afin de déterminer si tel ou tel texte a pu être écarté. L’exigence proposée est celle d’un texte si explicite qu’il ne permette aucune autre interprétation. De fait, la protection proposée de droits spéci- fiques reste très limitée puisque le Royaume-Uni a déjà connu un certain nombre de Habeas Corpus Suspension Acts, construits d’une façon répondant au test du juge Laws184.

Enfin, avec une grande audace, Lord Laws affirme que sa doctrine non seulement « pré- serve la souveraineté du parlement », mais encore la flexibilité de la constitution britannique (§ 64) :

« Cette évolution du droit jurisprudentiel concernant les droits constitution- nels, et comme je le dirais lois constitutionnelles, est hautement profi- table. Cela nous donne la plupart des avantages d’une constitution écrite, dans laquelle un respect spécial est accordé aux droits fondamen- taux. Cette évolution préserve également la souveraineté de la législa- tion et la flexibilité de notre constitution non codifiée. Elle accepte que la relation entre la législation souveraine et les droits fondamentaux n’est pas fixée ou cassante : plutôt, les cours (en interprétant les lois et, maintenant, en appliquant la loi sur les droits de l’homme) auront plus ou moins de déférence pour le législateur ou d’autres décideurs publics, selon le sujet concerné. Ce développement bénin implique, comme je l’ai dit, la reconnaissance de la loi sur les communautés européennes comme étant une loi constitutionnelle. Rien n’est plus simple que cela. »185

that is not also an instance of (b). The special status of constitutional statutes follows the special status of constitutional rights. Examples are the Magna Carta, the Bill of Rights 1689, the Act of Union, the Reform Acts which distributed and enlarged the franchise, the HRA, the Scotland Act 1998 and the Government of Wales Act 1998. The ECA clearly belongs in this family. It incorporated the whole corpus of substantive Com- munity rights and obligations, and gave overriding domestic effect to the judicial and administrative machinery of Community law. It may be there has never been a statute having such profound effects on so many dimen- sions of our daily lives. The ECA is, by force of the common law, a constitutional statute. »

184 Ainsi les Habeas Corpus Suspension Acts de 1688, 1745, 1794, 1798, 1799 et 1817.

185 Idem, § 64 : « This development of the common law regarding constitutional rights, and as I would say consti-

tutional statutes, is highly beneficial. It gives us most of the benefits of a written constitution, in which funda- mental rights are accorded special respect. But it preserves the sovereignty of the legislature and the flexibility of our uncodified constitution. It accepts the relation between legislative supremacy and fundamental rights is not fixed or brittle: rather the courts (in interpreting statutes, and now, applying the HRA) will pay more or less deference to the legislature, or other public decision-maker, according to the subject in hand. Nothing is plainer than that this benign development involves, as I have said, the recognition of the ECA as a constitu- tional statute. »

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2). Une proposition en contradiction avec la souveraineté parlementaire britan-

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