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b) Un contexte de rédaction plein de volonté prescriptive

Le contexte historique de la rédaction de l’article 15 de la Déclaration de 1789 est ins- tructif : c’est celui du triomphe du libéralisme, du contractualisme et de la physiocratie. Les idées politiques dominantes sont alors que l’homme, faisant société, n’a pas renoncé à l’exer- cice des droits que l’état de nature lui conférait367. Pour aborder la rédaction de la Déclaration,

la source la plus exhaustive relative est l’édition des Archives parlementaires de 1787 à 1860 de MM. Mavidal, Laurent et Clavel368. Les éléments relatifs au futur article 15 sont cependant

extrêmement rares.

363 Idem, p. 878 et suivantes, relativement aux révolutions anglaises.

364 Idem, p. 892, « la pensée conciliaire, portant à son apogée l’ensemble des solutions corporatives imaginées au plan microcosmique, a inauguré un proto-constitutionnalisme de forme juridique ».

365 Idem, p. I, « l’Eglise, en tant que société politique, a comme récapitulé par avance certaines difficultés consti- tutionnelles auxquelles furent confrontées ultérieurement les structures séculières ».

366 Sur ce résultat, idem, notamment p. 279.

367 Voir notamment IMBERT (Jean), « L’origine idéologique des “principes de 1789” », in Les principes de 1789, collectif, direction Michel Ganzin, Presses universitaire d’Aix-Marseille, 1989, 178 p., p. 11-34, mais égale- ment MARCAGGI (Vincent), Les origines de la déclaration des droits de l’homme de 1789, Paris, Arthur

Rousseau éditeur, 1904, VIII-191 p.

368 CLAVEL (Emile), LAURENT (Jérôme), MAVIDAL (Emile), Archives parlementaires de 1787 à 1860, Tome VIII (du 5 mai 1789 au 15 septembre 1789), op. cit., références de dates : – Projet du Sixième bureau annexé à la séance du 12 août, page 398 (431) ; – 19 août 1789, matin, vote tel que la déclaration sera construite sur

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Le projet du Sixième bureau de l’Assemblée nationale constituante est annexé avec d’autres à la suite du procès-verbal de la séance du 12 août 1789. Ses articles 21 à 24 sont les suivants :

« Art. 21. Pour l’entretien de la force publique, et les autres frais du gouver- nement, une contribution commune est indispensable ; et sa répartition doit être rigoureusement proportionnelle entre tous les citoyens. « Art. 22. La contribution publique étant une portion retranchée de la propriété

de chaque citoyen, il a le droit d’en constater la nécessité, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.

« Art. 23. La société a le droit de demander Compte à tout agent public de son administration.

« Art. 24. Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, et la séparation des pouvoirs déterminée, n’a pas une véritable consti- tution »369.

Le 19 août, lors de la séance du matin, il est adopté que la déclaration sera construite sur la base de ce « projet du Sixième bureau ». L’article 23 ne diffère de l’article 15 adopté qu’en ce que, tel que retranscrit, il n’y a ni majuscule à « société » ni à « agent », mais qu’il y en a une à « Compte ». Les articles 21, 22 et 24 du projet sont d’ailleurs très similaires aux articles 13, 14 et 16 finalement adoptés pour la déclaration. L’article 22 du projet est cependant rédigé de façon plus explicite que la version adoptée pour la mise en place d’un contrôle spécialement budgétaire.

Lors de la séance du mercredi 26 août, la discussion révèle le rattachement réel de l’article 23 du projet : il est inséparable de la question de la division des pouvoirs et de leur contrôle. Ce n’est pas un énoncé de droit ou de morale budgétaire. Dès le début de la discussion de cet article, M. Périsse-du-Luc propose de le lier au suivant sous la formulation :

« La société a le droit de faire contraindre tout citoyen au payement de sa con- tribution et de demander à tout agent public compte de son administra- tion ».

la base du projet du Sixième bureau (459) ; – 26 août 1789, discussion et adoption de l’article 23 du projet (486-489) ; – 27 août 1789, l’Assemblée décide de reporter les ajouts à après le vote de la Constitution (492). 369 Idem, p. 432.

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Cette formulation ne doit pas être lue comme liant « compte » et « contribution ». Ainsi l’orateur suivant, le chevalier de Lameth, propose la substitution suivante :

« Aucun peuple ne peut jouir de la liberté, si les pouvoirs publics ne sont dis- tincts et séparés, et si les agents du pouvoir exécutif ne sont respon- sables de leur administration ».

Cette responsabilité n’est plus seulement financière, mais concerne l’ensemble des ac- tions de l’agent, notamment en vue d’assurer l’application de la loi et la protection contre l’ar- bitraire. La proposition de M. Duport le précise :

« Tout agent du pouvoir exécutif est responsable de son administration, et la nation a le droit de lui en demander compte ».

La responsabilité est toujours générale, et l’expression « demander compte » prend ma- nifestement le sens du langage courant. Dans le projet comme dans la discussion des membres de l’Assemblée, la distinction entre un bloc « budgétaire » et un bloc de « droits de société » apparaît. Les droits de ce second bloc, relatifs à la responsabilité des agents publics et à la garantie des droits sont manifestement distincts de la question budgétaire. A propos de cette discussion, le comte de Montmorency affirme

« Il ne s’agit pas ici des droits de l’homme, mais aussi de ceux du citoyen, de l’homme en société. Or, de tous les articles que nous avons consentis, jamais il n’y en eut de plus relatif aux droits des citoyens. Tout citoyen a le droit d’exiger la responsabilité ; tout citoyen a le droit d’exiger la garantie de sa propriété, de sa liberté, de sa vie. »

L’aspect financier semble d’ailleurs exclu lorsque M. Rhédon affirme : « Sans doute, lorsque l’on vous parle de la séparation des pouvoirs, l’on n’entend pas déterminer par là quelle sera l’influence du pouvoir exécutif sur la caisse nationale ». M. de Boisgelin affirme plus loin dans le même sens que : « certes la responsabilité des agents du pouvoir exécutif est un droit acquis au citoyen. Chaque citoyen a le droit de leur demander compte ; il faut donc encore énoncer ce droit dans la déclaration ». Trois autres propositions sont encore présentées par des

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membres de l’Assemblée. Elles vont toutes dans le sens d’une responsabilité qui ne soit pas que budgétaire :

« Les droits de l’homme en société ne seront assurés qu’autant que les pou- voirs seront divisés, et les agents publics responsables de leur adminis- tration ».

« Tout citoyen est en droit d’exiger de la société la garantie de ses droits, et il est impossible qu’elle soit assurée sans la division des pouvoirs et la responsabilité ».

« La liberté publique exige que la séparation des pouvoirs soit déterminée, et que les agents du pouvoir exécutif soient responsables de leur adminis- tration ».

Finalement, le 26 août 1789 :

« On revient à l’article 23, qui est adopté unanimement. Il est conçu en ces termes : “Art. 15. La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration” ».

Le 27 août au matin, « l’Assemblée décrète que la discussion des articles à ajouter à la déclaration des droits sera renvoyée après la Constitution ».

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