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2 Une contestation de la primauté du Parlement sans effet pratique à ce jour

Une autre spécificité des débats doctrinaux britanniques doit être évoquée pour la re- cherche d’un droit formellement constitutionnel à l’accès aux informations détenues par les agents publics : la doctrine de la suprématie de la common law. Cette contestation de la primauté du Parlement prend deux formes : une forme évidente, selon laquelle le droit formellement constitutionnel britannique serait le droit jurisprudentiel de common law, soit une redite de la doctrine du juge Coke. Cette contestation prend également une forme plus abstraite, selon la- quelle une distinction doit être faite entre lois ordinaires et lois constitutionnelles : les lois cons- titutionnelles ne seraient pas soumises à la doctrine de la dérogation implicite, dite d’implied repeal, ou plus simplement au principe de lex posterior priori derogat. Ce ne serait alors pas tant la souveraineté de l’organe « Queen in Parliament » qui s’effacerait, que la spécificité bri- tannique de confusion entre loi et constitution. En réalité, cette seconde hypothèse est également celle d’une domination du droit parlementaire par le droit de common law, donc celle de la fin de la souveraineté parlementaire. Aucune loi de Westminster ne prévoit une telle distinction, de sorte que la common law l’énoncerait et déterminerait donc la validité des lois du Parlement. Pour la présente étude, il adviendrait que la source de droit à considérer comme suprême ne serait plus le droit statutaire britannique mais le droit jurisprudentiel.

La théorie de la suprématie de la common law doit être montrée pour ce qu’elle est : in- satisfaisante à ce jour (A). La proposition d’une différenciation entre lois constitutionnelles et lois ordinaires n’est pour sa part qu’apparemment distincte de cette première doctrine (B).

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A. La théorie insatisfaisante à ce jour de la suprématie de la common law

La souveraineté du Parlement de Westminster ne peut être considérée comme remise en cause à ce jour. Pourtant, certains auteurs et juges britanniques affirment que le Parlement sou- verain, c’est-à-dire la Reine en son Parlement (The Queen in Parliament)172, reste soumis à une

forme de cœur du droit coutumier. Selon ces auteurs, il serait loisible aux juridictions britan- niques de censurer une législation qui porterait atteinte à l’Etat de droit, au principe de dignité humaine ou à la place des juridictions173. Dans cette hypothèse, on observerait donc soit un

droit coutumier supraconstitutionnel, soit un Parlement non souverain, soumis à une constitu- tion coutumière. La doctrine majoritaire le rappelle : cette hypothèse est envisageable, mais alors incompatible avec la souveraineté parlementaire et la hiérarchie britannique des normes sanctionnée à ce jour par les juridictions elles-mêmes174.

Le droit positif reste, malgré les critiques lancées régulièrement à l’encontre de Dicey, très proche de sa pensée : le Parlement peut légiférer contre les principes fondamentaux des droits humains, pour peu qu’il soit prêt à en assumer le coût politique. Lord Hoffman rappelle ainsi que « la souveraineté parlementaire signifie que le Parlement peut, s’il le désire, légiférer contre les principes fondamentaux des droits de l’homme. [...] Les obstacles à cette action du Parlement sont in fine politiques et non juridiques »175. Dicey lui-même, dans la dernière édition

de sa main de son Introduction à l’étude du droit de la Constitution, distinguait souverain légal et souverain politique sur cette base : le souverain légal, par exemple la Queen in Parliament, est libre d’agir dans la limite d’une révolution du souverain politique, c’est-à-dire le peuple, intervenant pour établir un nouveau souverain juridique176. En pratique, le coût politique est

exprimé de façon moins sanglante, par l’évolution de la composition de la Chambre des

172 Cette formule, qui souligne la nécessité de la sanction royale au texte émané du Parlement, ne recouvre pas une réalité différente de ce qu’en France, la loi votée est promulguée par le Président de la République.

173 Ainsi ALLAN (Trevor), « Accountability to Law » [La responsabilité légale] op. cit.

174 CRAIG (Paul), « Accountability and Judicial Review in the UK and EU : Central Precepts » [Responsabilité et contrôle administratif juridictionnel au Royaume-Uni et en Union européenne : préceptes centraux], in BAM- FORTH (Nicholas) & LEYLAND (Peter) dir., Accountability in the Contemporary Constitution [La Respon- sabilité dans la Constitution contemporaine], op. cit., p. 180-199.

175 « Parliamentary sovereignty means that Parliament can, if it chooses, legislate contrary to fundamental prin-

ciples of human rights. [...] The constraints upon its exercise by Parliament are ultimately political, not legal »,

in Chambre des Lords, R v Secretary of State for the Home Dept., ex p Simms, [1999] UKHL 33.

176 Dicey estime ainsi que même un tyran est obéi par la masse de ses sujets (« the bulk of his subjects ») et que Frédéric le Grand et à Napoléon III, n’auraient pas atteint le point de bascule qu’est une forte résistance (« se-

rious resistance ») de leurs sujets. Au contraire, James Ier aurait atteint cette bascule en causant la révolution de 1688. DICEY (Albert Venn), Introduction to the Study of the Law of the Constitution [Introduction à l’étude du droit de la Constitution], op. cit., respectivement p. 77-82.

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Communes. Selon Lord Steyn, la décision Jackson présente cette suprématie de la common law de la façon suivante :

« La description classique faite par Dicey de la doctrine de la suprématie du Parlement, pure et absolue comme elle l’était, peut désormais être vue comme déplacée dans le Royaume-Uni moderne. Néanmoins, la supré- matie du Parlement est toujours le principe général de notre constitu- tion. C’est une construction de la common law. Les juges ont créé ce principe. Si c’est le cas, il n’est pas impensable que des circonstances pourraient naître, telles que les cours pourraient devoir créer un principe établi sur une hypothèse différente de constitutionnalisme » 177.

Cette affirmation, non consensuelle, n’a pas été suivie de plus d’effet que la doctrine du juge Coke. De la sorte, il est difficilement pensable d’en faire le fondement théorique de la présente étude, pour écarter l’étude du Freedom of Information Act 2000 et préférer celle des droits d’accès à l’information issus de la jurisprudence.

B. La proposition apparemment distincte d’une différenciation entre lois

constitutionnelles et lois ordinaires

Si certaines lois britanniques doivent être considérées constitutionnelles par opposition à des lois ordinaires, et bénéficiant comme telles d’une forme de retranchement, cette distinction pourrait avoir une influence sur l’identification d’un droit constitutionnellement garanti à l’ac- cès aux informations détenues par les agents publics. Ceci d’autant plus qu’en réalité, le droit formellement constitutionnel, selon la proposition du juge Laws178, serait désormais le droit

jurisprudentiel, dit de common law.

177 Lord Steyn, Chambre des Lords Jackson v A-G [2005] UKHL 56, § 102 (extrait) : « The classic account given

by Dicey of the doctrine of the supremacy of Parliament, pure and absolute as it was, can now be seen to be out of place in the modern United KingdoM. Nevertheless, the supremacy of Parliament is still the general principle of our constitution. It is a construct of the common law. The judges created this principle. If that is so, it is not unthinkable that circumstances could arise where the courts may have to qualify a principle estab- lished on a different hypothesis of constitutionalisM. »

178 Haute Cour, Thoburn v Sunderland City Council [2002] EWHC 195 (Admin), 18 février 2002, § 64, « this benign development ».

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C’est la conséquence de la proposition « bénigne » du juge Laws dans l’affaire Thoburn (1). Néanmoins, cette proposition contredit frontalement la souveraineté parlementaire britan- nique (2).

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