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2 L ’identification du corpus des droits que la Constitution garantit

L’introduction d’un article 61-1 à la Constitution de 1958 a conduit à l’identification d’un nouvel ensemble parmi les normes constitutionnelles : les droits que la Constitution garantit, invocables à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité. Seuls ces droits sont oppo- sables par les particuliers au législateur. L’article 61-1 alinéa 1er de la Constitution énonce que :

« Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et liber- tés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. »

Le corpus des droits pertinents pour l’étude est celui des droits invocables à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité (A). Cette détermination s’appuie sur ce que l’article 61-1 de la Constitution garantit des droits aux individus (B).

A. Le corpus des droits invocables à l’appui d’une question prioritaire de

constitutionnalité

L’article 61-1 de la Constitution énonce que seuls les « droits et libertés que la Constitu- tion garantit » sont invocables à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité. Au sein de l’ensemble des normes appartenant au bloc de constitutionnalité se situe donc un sous-en- semble, celui des normes constitutionnelles invocables à l’appui d’un recours constitutionnel individuel. La présente étude étant appuyée sur le critère de l’invocabilité par les plaideurs in- dividuels, c’est ce sous-ensemble qui lui sert de référence pour rechercher un droit d’accès aux informations détenues par les agents publics.

Ni la jurisprudence ni la doctrine relative à l’article 61-1 de la Constitution n’épuisent le corpus potentiellement identifiable derrière l’expression « droits et libertés que la Constitution garantit ». Les auteurs reconnaissaient déjà au Conseil constitutionnel une grande liberté rela- tivement à la détermination des normes de référence pour le contrôle de constitutionnalité a

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priori de la loi249. Le vocabulaire particulièrement général du préambule de la constitution de

1958 et du préambule de la constitution de 1946 va effectivement en ce sens. L’évolution de la jurisprudence relative aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, de- puis leur évocation250 jusqu’à l’explication de leur identification l’a illustré remarquable-

ment251. S’agissant du contrôle a posteriori de la loi, la liberté du Conseil est également très

large en apparence puisque, entendue largement, l’expression « droits et libertés que la Consti- tution garantit » peut être applicable à toute norme de droit constitutionnel formel. Il est donc nécessaire de préciser que les droits garantis par l’article 61-1 de la Constitution sont ceux des individus.

B. La garantie de droits aux individus par l’article 61-1 de la Constitution

La rédaction de l’article 61-1 de la Constitution est maladroite. Celui-ci mentionne les « droits et libertés que la Constitution garantit » et pourtant il est considéré acquis que cet énoncé doit être lu comme signifiant « droits et libertés que la Constitution garantit aux per- sonnes privées », par opposition aux organes constitués. De fait, la Constitution rassemblant un ensemble de normes juridiques, une interprétation littérale du texte conduirait à ouvrir le mé- canisme de question prioritaire de constitutionnalité sur tous les fondements invocables lors du contrôle a priori de la validité de la loi.

Déterminer le champ des droits que la Constitution garantit est un exercice d’interpréta- tion appliqué aux énoncés du bloc de constitutionnalité, exercice sémantique qui peut en pra- tique être appuyé sur l’étude de la jurisprudence administrative et constitutionnelle existante. Si un énoncé constitutionnel a déjà été admis comme fondement d’une question prioritaire de constitutionnalité, la stratégie contentieuse du plaideur est déjà largement orientée vers un appui sur cette disposition252. Au contraire, si un fondement a déjà été écarté par le Conseil, l’exercice

d’interprétation de la disposition doit être menée avec une rigueur renforcée pour espérer

249 En ce sens MM. Emeri et Favoreu, déjà cités.

250 Conseil constitutionnel, 17 juillet 1971, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet

191 relative au contrat d’association, dite « liberté d’association », n° 71-44 DC.

251 Conseil constitutionnel, 20 juillet 1988, Loi portant amnistie, n° 88-244 DC ; explicitée par la suite par les décisions Conseil constitutionnel, 20 juillet 1993, Loi réformant le code de la nationalité, n° 93-321 DC et Conseil constitutionnel, 18 décembre 1997, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, N° 97- 393 DC.

252 La décision du Conseil constitutionnel n° 471 QPC a ainsi admis l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen comme énoncé invocable à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité.

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renverser la jurisprudence253. Dans le silence de la jurisprudence constitutionnelle, la jurispru-

dence administrative relative aux libertés fondamentales invocables à l’appui d’un référé-liberté peut éclairer quant à l’invocabilité d’un énoncé constitutionnel. La reconnaissance de l’exis- tence d’une « liberté fondamentale » au sens du Code de justice administrative peut servir de point d’appui pour justifier l’existence d’un droit équivalent au sein de la Constitution254. C’est

par l’étude du texte constitutionnel, éclairée par la jurisprudence, que peut être déterminé quels sont les énoncés pertinents pour la présente étude au sein du bloc de constitutionnalité français.

Conclusion de la section

La détermination du contenu du bloc de constitutionnalité, et en son sein des droits et libertés que la Constitution garantit, permet d’établir quels peuvent être les énoncés français pertinents pour l’étude. De même que dans le cas du droit britannique et du droit allemand, il n’est ni envisageable ni pertinent de se pencher en détail sur l’ensemble des normes du droit constitutionnel formel français. Le postulat suivant s’impose : seul l’article 15 de la Déclaration de 1789 est identifiable comme énoncé normatif de référence relativement à un droit général constitutionnellement garanti d’accès aux informations détenues par les agents publics. La ju- risprudence récente, à défaut d’écarter la possibilité d’autres fondements, a au moins confirmé que ce fondement est admissible à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité255.

253 Selon le Conseil constitutionnel, l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi n’est pas un droit que la Constitution garantit mais un objectif de valeur constitutionnel. Néanmoins, la Constitution garantit l’existence d’une ver- sion officielle en langue française d’une disposition législative, droit que le Conseil constitutionnel rattache à cet objectif. Conseil constitutionnel, 30 novembre 2012, M. Christian S. [Obligation d’affiliation à une corpo- ration d’artisans en Alsace-Moselle], n° 2012-285 QPC, considérant n° 12.

254 L’article L 521-1 du code de justice administrative, créé par la loi du 30 juin 2000, relative au référé devant les juridictions administratives, n° 2000-597, énonce que : « saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »

255 Conseil constitutionnel, 29 mai 2015, Mme Nathalie K.-M. [Délibérations à scrutin secret du conseil munici-

pal], n° 2015-471 QPC ; commentaire GRIFFATON-SONNET (Léo), « Invocabilité du droit de demander compte à tout agent public de son administration à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité »,

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CONCLUSION DU CHAPITRE

La limitation de l’étude aux écrits formellement constitutionnels émanés de l’autorité fé- dérale ou centrale apparaît bien pertinente pour traiter le sujet de l’accès aux informations dé- tenues par les agents publics. Au sein du champ de comparaison, en application des critères fixés pour cette étude, doivent être retenus comme textes de référence le Freedom of Infor- mation Act 2000 britannique, les articles 5 I 1 et 20 I de la Loi fondamentale allemande et enfin l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen française. Ce présupposé est nécessaire dans la mesure où il serait déraisonnable de démontrer que chacun des autres énoncés formellement constitutionnels au sein du champ de comparaison est insusceptible de créer un droit général d’accès aux informations détenues par les agents publics, invocable par toute per- sonne. L’interprétation de ces énoncés doit suffire à déterminer si les droits constitutionnels considérés établissent une obligation de communication pour les organes créateurs de droit su- bordonnés.

L’existence de deux spécificités de l’ordre juridique britannique doit auparavant être con- sidérée : un droit non écrit d’une part ; le droit de la prérogative royale d’autre part, inclus ou non dans le droit jurisprudentiel dit de common law. Certains auteurs considèrent d’ailleurs la common law comme supérieure dans la hiérarchie des normes aux Acts of Parliament britan- niques. Relativement à la loi britannique sur la liberté de l’information de 2000, il est d’ores et déjà possible de souligner que ce texte se limite à accorder un droit d’accès opposable à une liste limitée d’autorités administratives. Si la common law assurait un droit général d’accès aux informations détenues par les agents administratifs, il conviendrait de la considérer comme une source de droit pertinente en la matière, pour peu que la pratique juridique britannique lui ac- corde la valeur maximale que lui reconnaissent certains auteurs et juges.

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CHAPITRE II. L’ABSENCE D’INFLUENCE DE LA PREROGATIVE

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