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2) Une hypothétique soumission de la législation écossaise à la common law

Une hypothèse contraire à celle de la valeur d’Act of Parliament a été soulevée, au sein de la Cour suprême elle-même, dans l’affaire AXA assurance206. Après avoir confirmé la con-

formité du Damages (Asbestos-related Conditions) (Scotland) Act 2009 à la Convention euro- péenne des droits de l’homme, les juges ont été amenés à discuter de la possibilité d’un fonde- ment de contrôle de cette loi sur la base du common law.

Lord Hope, bien conscient que cette réflexion touche indirectement à la question de la souveraineté du Parlement de Westminster, s’inscrit à la suite de Lord Steyn (affaire Jackson207)

pour considérer que la common law ne doit pas nécessairement reculer devant un parlement (§§ 50-51). Estimant sa tâche facilitée par le fait que le parlement écossais n’est pas souverain, il affirme que le principe de la rule of law implique pour les juges de ne pas reconnaître des lois

203 Scotland Act 1998, article 29. Parmi les textes spécialement protégés figurent le Human Rights Act 1998 (dans son intégralité), certains éléments des Union with Scotland Act 1706 et Union with England Act 1707 ou encore du Social Security Administration Act 1992, mais encore l’essentiel du Scotland Act 1998 lui-même. La liste de ces textes est amendable par la reine, par ordre en conseil (Order in Council), d’après l’article 30 du Scotland

Act 1998.

204 Scotland Act 1998, articles 32, 32A, 33, 34 et 35.

205 En ce sens spécialement Cour suprême, 12 décembre 2012, Imperial Tobacco Ltd v Lord Advocate [2012] UKSC 61.

206 Cour suprême, 12 octobre 2011, AXA General Insurance Ltd, Petitioners [2011] UKSC 46.

207 Chambre des Lords, 13 octobre 2005, Jackson and others (Appellants) v. Her Majesty’s Attorney General

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qui viendraient abolir le judicial review ou diminuer le rôle des juridictions pour la protection des droits des individus208. Lord Hope refuse néanmoins de reconnaître un judicial review de

common law qui puisse être opposé aux lois, sur une base d’irrationalité, de disproportion ou d’arbitraire209, dans la mesure où le Scotland Act 1998 prévoit un contrôle de conventionalité

des lois du parlement écossais210 (§ 52). Lord Brown approuve cette opinion ; Lord Mance éga-

lement, quoiqu’il soit moins opposé au contrôle sur le fondement d’irrationality que Lord Reed. Au contraire, Lord Reed affirme que le parlement de Westminster a voulu des pleins pou- voirs pour le Parlement de Holyrood, dans les limites de la compétence transférée, de telle sorte que « ses décisions relativement à la façon d’exercer ses pouvoirs législatifs ne requièrent au- cune autre justification que la volonté du Parlement. Il est en principe responsable de l’usage de ses pouvoirs, dans les limites posées par l’article 29(2), devant l’électorat plutôt que devant les cours » (§147)211. Néanmoins, Lord Reed estime ensuite que la soumission du parlement

écossais aux textes émanés du parlement de Westminster et à ceux mentionnés par lui dans le Scotland Act, comme la Convention européenne des droits de l’homme, n’épuise pas les con- trôles s’imposant à lui. Parce que le Parlement de Westminster ne saurait porter atteinte aux droits fondamentaux que par des termes dénués de toute ambiguïté d’une part (§151), et parce que ce pouvoir ne saurait être délégué que dans les mêmes conditions d’autre part (§152), alors le Scotland Act devrait être interprété comme se refusant à autoriser le parlement de Holyrood à abroger des droits fondamentaux ou à violer la rule of law (§ 153)212. Un contrôle de confor-

mité des lois écossaises aux principes de la common law serait donc possible. Les juges Kerr, Clarke et Dyson se rangent aux affirmations des juges Hope et Reed (§ 177). Cette discussion

208 Le principe de rule of law peut généralement être traduit comme « principe de l’Etat de droit ». Dans le cadre du droit britannique, néanmoins, ce principe est encore plus indéterminé qu’en droit français ou allemand, et il conviendrait davantage de traduire rule of law par « règle de soumission aux principes généraux du droit ». De plus, dans l’esprit des juges britanniques, eux seuls sont susceptibles de définir ces principes, d’où une pratique par eux de la rule of law comme d’un « principe de soumission à la sagesse des juridictions », et une mention fréquente de la rule of law pour s’opposer à la primauté des lois du parlement de Westminster, comme c’est le cas en l’espèce.

209 « Irrationality, unreasonableness or arbitrariness » ; ces moyens sont ceux invocables en cas de judicial review d’un acte administratif.

210 Ses mots sont néanmoins délicatement pesés, car il affirme qu’un tel contrôle « n’est pas nécessaire » (is not

needed) en raison de l’existence du contrôle de conformité à la CEDH. Rien ne permet de dire quelle serait son

opinion si ce dernier contrôle disparaissait.

211 « Its decisions as to how to exercise its law-making powers require no justification in law other than the will

of the Parliament. It is in principle accountable for the exercise of its powers, within the limits set by section 29(2), to the electorate rather than the courts », in Cour suprême, 12 octobre 2011, AXA General Insurance

Ltd, Petitioners [2011] UKSC 46, Lord Reed, § 147.

212 Arguments exprimés par référence, respectivement à R v Secretary of State for the Home Department, Ex p

Simms, [2000] 2 AC 115, §131, et R v Secretary of State for the Home Department, Ex p Pierson, [1998] AC 539, §§ 575 et 591.

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n’est pas poursuivie dans le sens d’effets pratiques, dans la mesure où rien n’indiquerait en l’espèce une telle violation.

Aucune juridiction depuis la Glorieuse Révolution n’a dépassé le stade des discussions sur l’étendue des pouvoirs du juge britannique pour annuler un Act of Parliament quel qu’il soit, y compris les Habeas Corpus Suspension Acts votés entre 1688 et 1817213. Pour la présente

étude, il est nécessaire de supposer que ces discussions, appartenant à la motivation de décisions juridictionnelles et toujours dénuées d’effet pratique, sont insusceptibles de mettre réellement en jeu le principe de la souveraineté parlementaire britannique. Par conséquent, il en va de même pour la soumission des cours aux lois écossaises. L’assimilation d’une loi écossaise con- forme au Scotland Act 1998 à un droit formellement constitutionnel n’est pas possible, dès lors qu’il reste un organe subordonné au Parlement de Westminster.

B. Une législation écossaise nécessairement conforme à la législation britan-

nique

L’usage de l’expression primary legislation pour parler des lois du parlement écossais est regrettable dans la mesure où, malgré le mécanisme de dévolution, le parlement de Westminster reste le souverain juridique au Royaume-Uni214. L’article 28 point (7) du Scotland Act rappelle

ainsi que le parlement de Westminster conserve son pouvoir de légiférer pour l’Ecosse ; de telles dispositions existent également pour le Pays de Galles et l’Irlande du Nord. Il est ainsi loisible au parlement de Westminster de revenir sur le Scotland Act. Le Memorandum of Un- derstanding entre le gouvernement britannique et les administrations locales, révisé en octobre 2013, énonce simplement que Westminster agira selon la convention of consent, prévoyant de ne légiférer dans les compétences accordées aux régions qu’à leur demande ou avec leur accord. Ce document n’a aucune valeur juridique et rappelle dès son paragraphe n° 2 sa valeur purement informative.

213 A propos de cette conséquence de la souveraineté parlementaire, Dicey rappelait que « si le Dentists Act, 1878, contrevenait par malheur aux termes de l’Acte d’Union, alors l’Acte d’Union serait abrogé pro tantori, mais aucun juge n’imaginerait que le Dentists Act, 1878, serait rendu invalide ou inconstitutionnel ». Dicey, « Should the Dentists Act, 1878, unfortunately contravene the terms of the Act of Union, the Act of Union would

be pro tantori repealed, but no judge would dream of maintaining that the Dentists Act, 1878, was thereby rendered invalid or unconstitutional », in DICEY (Albert Venn), Introduction to the Study of the Law of the

Constitution [Introduction à l’étude du droit de la Constitution], op. cit., p. 145.

214 Au contraire, pour une insistance sur l’indépendance du parlement écossais dans son domaine, voir LEYLAND (Peter), The Constitution of the United-Kingdom - A Contextual Analysis [La Constitution du Royaume-Uni - une analyse contextuelle], op. cit., p. 267 et 290.

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Le Scotland Act 2016 a inséré à l’article 28 du Scotland Act 1998 un point n° 8 en ces termes : « il est reconnu que le Parlement du Royaume-Uni ne légifèrera normalement pas en matière dévolue sans le consentement du Parlement écossais. » Au delà de sa toute particulière imprécision, ce point n° 8 ne clarifie en rien l’imprécision à parler de primary legislation pour les lois du Parlement écossais. Cet énoncé est soumis tout autant qu’une convention, un usage ou une décision juridictionnelle, à la souveraineté du Parlement de Westminster – il n’est ga- ranti en rien contre une loi ultérieure s’en affranchissant ou l’abrogeant directement. Le parle- ment écossais n’est pas souverain et les lois qu’il vote sont toujours incapables de modifier une loi issue de Westminster, sauf disposition explicite de Westminster en ce sens.

Le contrôle mis en œuvre dans l’affaire Axa, soit celui de la conventionnalité des lois écossaises, procède de cette soumission au Parlement de Westminster : ce contrôle est celui prévu par l’article 29(2) du Scotland Act 1998.

§2. Un standard d’accès fixé pour le Royaume-Uni par le Freedom of Infor-

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