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La décision ultérieure R v Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affaires, ex parte Bancoult (N° 2)297 poursuit l’évolution de la jurisprudence entamée avec la décision CCSU. La décision de la Chambre des Lords est ouverte par Lord Hoffman, qui prend acte de la spécificité de l’affaire (§ 31) : l’ordre en conseil contesté en l’espèce est pris en application d’une loi qui renvoie directement à la prérogative royale.

« Dans une colonie conquise ou concédée, la Couronne, par la vertu de sa prérogative, a les pleins pouvoirs pour établir des arrangements exécu- tif, législatif et judiciaire, selon son bon plaisir, et généralement pour agir aussi bien comme exécutif que comme législateur, à la condition que les dispositions prises par la Couronne ne contreviennent pas à une seule loi applicable à la colonie ou à l’ensemble des possessions britan- niques. »298

Selon la loi écrite applicable, la Couronne devrait donc être pleinement libre d’exercer son pouvoir de prérogative comme elle l’entend. Plus loin, Lord Hoffmann rappelle d’ailleurs que le Human Rights Act 1998 considère les ordres en conseil comme une législation originaire qui, comme les lois votées à Westminster, ne peut être écartée par les cours mais suppose, en cas de violation de la CEDH, que la juridiction produise une déclaration d’incompatibilité (§ 34). Lord Hoffmann se borne à estimer que, depuis la décision Council of Civil Service Unions, il n’est plus à considérer que la prérogative royale est immunisée contre le recours juridictionnel. Fort politiquement, il ajoute que la spécificité de la suprématie du Parlement tient à son caractère représentatif (§ 35) :

« Le fait que de tels ordres en conseil ressemblent par certains aspects à des lois du Parlement ne signifie pas qu’ils partagent toutes leurs

297 Chambre des Lords, R v Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affaires, ex parte Bancoult (N° 2) [2008] UKHL 61.

298 « The law is stated in Halsbury’s Laws of England (4th ed 2003 reissue) vol 6, para 823 :

« “In a conquered or ceded colony the Crown, by virtue of its prerogative, has full power to establish such execu-

tive, legislative, and judicial arrangements as this Crown thinks fit, and generally to act both executively and legislatively, provided the provisions made by the Crown do not contravene any Act of Parliament extending to the colony or to all British possessions. The Crown’s legislative and constituent powers are exercisable by Order in Council, Letters Patent or Proclamation…” »

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caractéristiques. Le principe de la souveraineté du Parlement, ainsi qu’il a été développé par les juridictions depuis les trois cent cinquante der- nières années, est fondé sur ce que l’unique autorité que le Parlement possède dérive de son caractère représentatif. Une telle qualité manque à l’exercice de la prérogative, et quoiqu’un ordre en conseil puisse être de caractère législatif, c’est toujours un exercice de pouvoir par l’exé- cutif seul. Jusqu’à la décision de cette chambre dans l’affaire Council

of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service [1985] AC 374, il a pu être estimé que l’exercice de pouvoirs de prérogative était, en tant que tel, immunisé contre la judicial review. Cette objection a été supprimée. Je ne vois pas de raison pour laquelle la législation de pré- rogative devrait ne pas être sujette au contrôle sur les fondements ordi- naires de légalité, de rationalité et d’impropriété procédurale de la même façon que toute autre action de l’exécutif. » 299

Lord Bingham de Cornhill, quoiqu’il ne soit pas convaincu de l’existence d’un pouvoir de prérogative à contrôler en l’espèce, est d’accord pour estimer que l’ordre en conseil peut être soumis à un recours juridictionnel.

Lord Rodger de Earlsferry laisse entendre une opinion différente. Selon lui, parce que les pouvoirs de la Couronne en la matière seraient confiés afin de créer « des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du territoire »300, la sanction d’un tel pouvoir ne saurait être que

politique et non juridictionnelle. C’est donc au parlement et non aux juges qu’il reviendrait d’intervenir contre un ordre en conseil insatisfaisant politiquement (§ 109). Lord Carswell est d’une opinion semblable à celle de Lord Rodger :

« Puisque la Couronne dispose d’une pleine autorité législative sur une colo- nie concédée, aucune raison impérieuse n’apparaît pour qu’un ordre en

299 « 35. But the fact that such Orders in Council in certain important respects resemble Acts of Parliament does

not mean that they share all their characteristics. The principle of the sovereignty of Parliament, as it has been developed by the courts over the past 350 years, is founded upon the unique authority Parliament derives from its representative character. An exercise of the prerogative lacks this quality ; although it may be legislative in character, it is still an exercise of power by the executive alone. Until the decision of this House in Council of Civil Service Unions v Minister for the Civil Service [1985] AC 374, it may have been assumed that the exercise of prerogative powers was, as such, immune from judicial review. That objection being removed, I see no reason why prerogative legislation should not be subject to review on ordinary principles of legality, rationality and procedural impropriety in the same way as any other executive action. »

300 Cet argument qui touche au fond du droit et a retenu longuement l’attention des Lords, n’est pas étudié en détail ici, dès lors qu’il est accessoire à la question de savoir si la non justiciabilité de la prérogative royale subsiste.

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conseil n’ait pas validement le même effet, dans une colonie de la Cou- ronne, qu’une loi au Royaume-Uni. »301

A son tour, il affirme que c’est au parlement et non aux juridictions de décider si l’ordre en conseil contesté doit être maintenu ou non (§ 130).

Le raisonnement de Lord Mance rejoint pour l’essentiel celui de lord Hoffmann, sans avoir la même rigueur. S’appuyant ouvertement sur Dicey, il ne retient de sa doctrine que le fait que la prérogative se rattache au pouvoir exécutif et que ce pouvoir, quoiqu’il soit exercé au nom du roi, l’est en réalité par les ministres. De ces seules considérations, il déduit que les ordres en conseils devraient être pleinement soumis au judicial review (§ 141). Afin d’enfoncer le clou, il ajoute d’abord que la prérogative relèverait simplement de la common law (en s’ap- puyant sur l’Affaire des Proclamations et sur le juge Coke), ensuite que la prérogative a toujours été considérée inférieure aux lois du parlement de Westminster et enfin que Lord Reid avait affirmé dans la décision Burmah Oil que la prérogative devait être approchée de façon toujours actualisée (§ 149). En l’espèce, si les juges le soumettent à leur contrôle, l’ordre en conseil n’est pas censuré.

La soumission des actes de prérogatives les plus politiques ne semblait pas consommé jusqu’à la récente décision Cherry302. M. Poole affirmait encore en 2010 que :

« La prérogative pourrait désormais, en principe, être classée comme une source de droit infra-statutaire comme les autres en ce qui concerne le recours juridictionnel ; néanmoins, en pratique, les juridictions tendent toujours à approcher la prérogative avec une prudence confinant à la pleine déférence. »303

301 « 124. [...] Since the Crown has plenary legislative authority over a ceded colony, there appears to be no

compelling reason why an Order in Council should not validly have the same effect in a Crown colony as an Act of Parliament would have in the United KingdoM. »

302 Cour suprême, 24 septembre 2019, R (on the application of Miller) (Appellant) v The Prime Minister (Respond-

ent), Cherry and others (Respondents) v Advocate General for Scotland (Appellant) (Scotland), [2019] UKSC 41

303 POOLE (Thomas), « United-Kingdom : The Royal Prerogative » [Royaume-Uni : la prérogative royale], Inter-

national Journal of Constitutional Law [Revue internationale de droit constitutionnel], op. cit., p. 149 : « The

prerogative might now, in principle, be classified as a normal substatutory source of law for the purposes of judicial review ; however, in practice, the courts tend still to approach the prerogative with a caution border- ing on outright deference. »

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