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2) Un lien quelques fois évoqué mais jamais approfondi entre rendu de compte et accès aux documents administratifs

La seule mention d’un fondement constitutionnel au droit d’accès aux documents admi- nistratifs vient du professeur Maisl, qui affirme – lui aussi dans les Mélanges Charlier – que « le législateur élargit au profit du citoyen ce qu’il avait déjà accordé à l’habitant de la commune et organise “le droit de citoyenneté” posé par la Déclaration des droits de l’homme de 1789 qui affirme que “La Société a droit de demander compte à tout agent public de son administration” (Art 15) ». Ce « droit de citoyenneté » préexistait donc à la loi de 1978 qui l’organise. En évo- quant simplement ce fait, l’auteur retient cependant l’idée d’un droit qui ne peut être mis en œuvre en dehors d’une loi348.

Mme Lemasurier, évoquant le « droit d’être informé », introduit son propos en citant Con- dorcet : « le droit naturel exige que tout homme qui emploie contre les membres de la Société les forces qu’elle lui a confiées lui rende compte des causes qui l’y ont déterminé »349. Cette

phrase, est extraite d’un texte antérieur à la rédaction de la Déclaration de 1789, à la rédaction de laquelle Condorcet n’a pas pris part directement, n’étant pas membre de la Constituante. Condorcet exprime néanmoins l’idée de responsabilité face à la société de tout homme à qui celle-ci confierait des moyens quelconques. Si « rendre compte des causes » fait plus spécifi- quement penser à l’obligation de motivation des actes administratifs, à laquelle Mme Lemasu- rier s’intéresse, cette obligation est inséparable du fait de rendre compte d’une action adminis- trative.

M. Costa, en 1986, s’intéresse également à l’article 15 de la Déclaration de 1789 relati- vement aux Libertés publiques en France et dans le monde. Il est représentatif dans son propos de l’esprit de l’époque : un lien peut être fait entre l’article 15 et les nouveaux droits des per- sonnes face aux administrations mais ce lien demeure purement philosophique. Il écrit :

« Déjà l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen indi- quait que “la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration”. Ce principe – en anglais l’“accountability” – est resté longtemps lettre morte, sauf à mettre en jeu la responsabilité

348 MAISL (Herbert), « Une nouvelle liberté publique : la liberté d’accès aux documents administratifs », in Mé-

langes Robert-Edouard Charlier, Paris, éditions de l’Université, 1981, page 832.

349Condorcet, « Réflexions d’un citoyen non gradué, sur un procès bien connu », Œuvres complètes, 1804, tome XI p. 214, cité par LEMASURIER (Jeanne), « Vers une démocratie administrative : du refus d’informer au droit d’être informé », op. cit.

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politique d’un ministre, chef de son administration, c’est-à-dire sou- vent, du fait de la solidarité gouvernementale, du gouvernement tout entier. Une telle disproportion rendait le principe inapplicable.

« Depuis une quinzaine d’années, un courant d’opinion s’est au contraire des- siné, dans lequel s’inscrit d’ailleurs la loi précitée sur l’informatique. Suivant ce mouvement, l’administration ne peut pas être une bureaucra- tie anonyme. Elle doit être transparente, c’est-à-dire fournir aux ci- toyens les informations qui sont en sa possession au lieu d’en faire la rétention, et aussi expliquer les raisons de son comportement et des dé- cisions qu’elle prend. Plusieurs lois récentes, en France, ont permis des avancées sur la voie de la transparence administrative. »350

M. Mie évoque lui aussi l’article 15 à la même époque et avec la même portée : celle d’un lien d’inspiration. Quoiqu’il aille jusqu’à parler de « mise en œuvre » de l’article 15 de la Dé- claration, il ne mentionne pas la loi du 17 juillet 1978 ni la loi de 1979 imposant la motivation des actes administratifs défavorables351.

Le rendu de compte, entendu comme action de rendre des comptes, est pourtant bien connu des auteurs se penchant sur le fonctionnement des personnes morales : il permet la des- cription de mécanismes de contrôle propre, typiquement, au droit des sociétés.

B. Une relation entre information et contrôle déjà abordée par le législateur

Le droit privé, notamment le droit des sociétés et, plus largement, celui des personnes morales, connaît très bien la problématique du contrôle de l’action des organes chargés de re- présenter un groupe. L’approche patrimoniale domine ce droit depuis ses origines. Les action- naires sont propriétaires d’une entreprise et les travailleurs, depuis le manœuvre jusqu’au pré- sident-directeur-général, sont leurs employés. Les copropriétaires connaissent les mêmes rap- ports avec leur syndic. En s’éloignant de l’activité purement économique, les associations con- naissent un modèle semblable, les salariés et membres du bureau sont soumis à l’assemblée générale.

350 COSTA (Jean-Paul), Les Libertés publiques en France et dans le monde, op. cit., p 147.

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Le droit des archives est également traversé par le rapport entre documentation et con- trôle. Dès la Révolution, le législateur est soucieux de la conservation des documents adminis- tratifs, quoique l’accès à ceux-ci par le public soit alors une question toute secondaire. Il s’agit avant tout que le gouvernement du temps ait accès au savoir de ses prédécesseurs pour pouvoir agir le plus efficacement. La loi est intervenue ponctuellement également avec le souci du con- trôle, spécialement pour l’accès aux documents détenus par les autorités communales. L’accès aux documents favorise le contrôle par la juridiction administrative des activités des collectivi- tés locales, en permettant aux habitants des communes et plus largement à toute personne inté- ressée de s’informer et, par là même, de pouvoir détecter un comportement illégal.

Les années 1970 voient en France la systématisation des mécanismes du contrôle de l’ad- ministration désormais ouverts par la loi à toute personne. L’accès aux fichiers personnels est systématisé avec la loi du 6 janvier 1978352 ; il est alors accompagné d’un droit de rectification

et de suppression. Quelques mois plus tard, c’est toute l’administration ou presque qui est sou- mise au régime déjà connu des communes353, par la loi du 17 juillet 1978354. L’année suivante,

en 1979, la motivation obligatoire des décisions administratives défavorables vient en faciliter la compréhension et, partant, la critique et le contrôle juridictionnel355. Les réformes du statut

des fonctionnaires, incluant l’obligation de renseignement, et du droit des archives, qui suivent, complètent cette floraison législative356.

Les droits propres au contrôle des activités administratives sont connus et inscrits dans la loi, pourtant le lien avec l’article 15 de la Déclaration de 1789 n’est pas évident. En 2015 encore, le représentant du Premier Ministre devant le Conseil constitutionnel estime que cette disposi- tion se limite, au plus, à un objectif à valeur constitutionnel357. Au contraire, comme lui répond

le Conseil, quand la Déclaration énonce que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration », elle énonce un droit que la Constitution de 1958

352 Loi n° 78-17, du 6 janvier 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ; JORF du 7 janvier 1978, p. 227.

353 La loi du 5 avril 1884, article 58, assure la communicabilité des procès-verbaux, arrêtés, comptes et budget de la commune. Cette loi élargit en cela les dispositions de la loi du 5 mai 1855, dont l’article 22 prévoyait certes le secret des séances des conseils municipaux, mais également la communicabilité des délibérations de ces conseils aux habitants de leurs communes.

354 Loi n° 78-753, du 17 juillet 1978, portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal ; JORF du 18 juillet 1978, p. 2851. 355 Loi n° 79-587, du 11 juillet 1979, relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des rela-

tions entre l’administration et le public ; JORF du 12 juillet 1979, p. 1711.

356 Respectivement loi n° 83-634, du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (JORF du 14 juillet 1983, p. 2174), spécialement son article 27 (et malgré l’obligation de secret et de discrétion profession- nels rappelés article 26) et loi n° 79-18, du 3 janvier 1979, sur les archives (JORF du 5 janvier 1979, p. 43). 357 Conseil constitutionnel, 29 mai 2011, Mme Nathalie K.-M. [Délibérations à scrutin secret du conseil munici-

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garantit358. Il s’agit donc bien, selon la juridiction, d’un droit formellement constitutionnel et

invocable par toute personne.

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