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1) La pertinence de l’appui sur le droit constitutionnel formel

Il convient d’appuyer la présente étude sur le droit formellement constitutionnel, c’est-à- dire le droit dont les normes sont susceptibles de déroger à toute autre norme de l’ordre juridique considéré. M. Eisenmann présente le droit formellement constitutionnel de la façon suivante :

« Tout comme le principe de légalité signifie en dernière analyse que seule la loi peut déroger à la loi, le “principe de constitutionnalité” signifie que seule une loi constitutionnelle peut déroger à une loi constitution- nelle. »113

Ce droit est généralement identifiable au fait d’être contenu dans un texte ou un ensemble de textes qualifié de « constitution ». La modification de ces énoncés suppose une procédure spécifique, spécialement contraignante, comme c’est le cas en France et en Allemagne114. Au

Royaume-Uni au contraire, les Acts of Parliament, quoi qu’ils prennent la forme de législation ordinaire, doivent être qualifiés de formellement constitutionnels dès lors qu’ils sont suscep- tibles de déroger à toute autre norme juridique britannique. La définition la plus généralement admise est celle de Dicey, qui affirme, dans des termes proches de ceux employés plus tard par Eisenmann :

« Le principe de la souveraineté parlementaire signifie ni plus ni moins que ceci : le Parlement ainsi défini a, selon la constitution anglaise, le droit de faire ou défaire toute loi quelle qu’elle soit, et plus encore que nulle personne ou corps n’est reconnu par les lois d’Angleterre comme ayant le droit de surpasser ou écarter la législation du Parlement »115.

113 EISENMANN (Charles), La Justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d’Autriche, Paris, LGDJ, 1928, X-307 p., p. 21.

114 Ainsi les procédures prévues à l’article 89 de la Constitution française et 79 de la Loi fondamentale allemande. 115 DICEY (Albert Venn), Introduction to the Study of the Law of the Constitution [Introduction à l’étude du droit

de la Constitution], 10e éd., Londres et New-York, MacMillan et St Martin’s Press, 1959, CXCVIII-535 p., p. 39-40 : « The principle of Parliamentary sovereignty means neither more nor less than this, namely, that

Parliament thus defined has, under the English constitution, the right to make or unmake any law whatever; and, further, that no person or body is recognised by the law of England as having the right to override or set aside the legislation of Parliament. »

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Le rapport entre constitutionnalité continentale et constitutionnalité britannique est par- faitement connu des auteurs d’outre-Channel et il n’est en rien révolutionnaire d’étudier les Acts of Parliament britanniques sous l’angle du droit formellement constitutionnel. La plupart des auteurs de manuels britanniques s’emploient d’ailleurs à démystifier la constitution du Royaume-Uni, en usant des mêmes outils théoriques que les constitutionnalistes continentaux. M. Leyland présente ainsi la constitution britannique :

« Une constitution codifiée, comme forme de droit d’un ordre plus élevé, sera généralement retranchée. Un outil procédural spécifique (par exemple un référendum ou une majorité plus large et une ratification fédérale) doit être employé pour y introduire des changements, ce qui rend la constitution codifiée relativement plus difficile à modifier. Au contraire de la plupart des autres constitutions, la constitution du Royaume-Uni n’est pas retranchée. En conséquence elle est relativement flexible, au sens où tout aspect peut en être modifié par la voie de législation ordi- naire et certains aspects peuvent être modifiés par convention »116.

S’il convient de se démarquer de M. Leyland quant au fait de traiter les conventions comme du droit dans sa définition, la pratique constitutionnelle britannique est effectivement à prendre spécialement en compte. Dicey et Bagehot, chacun pour sa part, soulignent que la pra- tique de la constitution britannique doit être connue autant que son droit. Dicey reproche ainsi à Blackstone de présenter, déjà, une vision incomplète de la vie constitutionnelle britannique : « les termes utilisés par les commentateurs étaient, quand il les a employés, irréalistes, et connus comme tels » ; plus loin, il ajoute que « le lecteur, disons, du premier Livre de Blackstone, peut difficilement discerner le droit dont il est question sous les irréalités du langage par lequel ce droit est rapporté »117. Bagehot ne dit pas autre chose quand il compare la constitution à un

homme vieilli mais portant encore les vêtements de sa jeunesse, pour dire que ce que l’on en

116 LEYLAND (Peter), The Constitution of the United-Kingdom - A Contextual Analysis [La constitution du Royaume-Uni - une analyse contextuelle], 2e éd., Oxford et Portland, Hart Publishing, 2012, XXVII-333 p. 2 : « a codified constitution, as a form of higher order law, will generally be entrenched. A specified procedural

device (eg a referendum or a higher majority plus federal ratification) must be followed to introduce changes, which makes a codified constitution relatively difficult to amend. In contrast to most others, the UK constitution is not entrenched. In consequence, it is relatively flexible, in the sense that any aspect can be changed by way of ordinary legislation and certain aspects can be modified by convention ».

117 DICEY (Albert Venn), Introduction to the Study of the Law of the Constitution [Introduction à l’étude du droit de la Constitution], op. cit., respectivement p. 9 (« the terms used by the commentators were, when he used

them, unreal, and know to be so ») et 12 (« the reader of, say, the first Book of Blackstone, can hardly discern

the facts of law with which it is filled under the unrealities of the language in which these facts find expres- sion »).

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voit est identique au passé, mais que ce que l’on n’en voit pas est entièrement changé. Pour Bagehot, cette difficulté est traitée en distinguant la « constitution en dignité » de la « constitu- tion efficiente » 118.

Malgré les spécificités de la hiérarchie britannique des normes, étudiées infra, une cons- tante demeure : la soumission des juridictions et plus largement de l’ensemble des organes créa- teurs de droit subordonnés aux Acts of Parliament. M. Leyland le résume :

« Il est important de noter que les décisions des cours (y compris la Cour su- prême, anciennement la Chambre des Lords) peuvent être modifiées et surpassées par des lois postérieures. Ainsi, la décision de la Chambre dans l’affaire Burmah Oil v Lord Advocate a conduit le parlement bri- tannique à adopter la loi sur les dommages de guerre de 1965, d’effet rétroactif. Les cours acceptent la validité des lois du parlement et ainsi valident le concept de souveraineté parlementaire. »119

L’appui sur un droit formellement constitutionnel britannique semble effectivement pos- sible autant que pertinent.

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