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Profil du quotidien Imroz et sa position sur la question linguistique

Chapitre IV : Les activités des marxistes (1947-1959)

4.1 Les activités du pôle marxiste en faveur du panjabi entre 1947 et 1955 .1 Activités du groupe progressiste

4.1.3 Mian Iftikharuddin et Imroz .1 Mian Iftikharuddin

4.1.3.2 Profil du quotidien Imroz et sa position sur la question linguistique

Le quotidien Imroz est lancé le 4 mars 1948 à Lahore, en parallèle au Pakistan Times. Faiz Ahmed Faiz rédige son premier éditorial, et Chiragh Hassan Hasrat est son premier rédacteur en chef. Son tirage est assez limité au début (8000 exemplaires en 1949), mais il augmente au fil des années pour atteindre entre 25000 et 30000 exemplaires en 1958. Et il dépasse donc en tirage son concurrent conservateur, le quotidien Navā-e vaqt410 (dont le tirage se limite à 19000 exemplaires). Il est donc le journal le plus lus de la province du Panjab.

Chiragh Hassan Hasrat, qui a des sympathies pour les progressistes, mais n’est pas lui même progressiste quitte Imroz en juillet 1951, avec 8 autres journalistes411. La nouvelle équipe venue les remplacer est essentiellement marxiste : elle comprend A.N.Qasmi (qui

407Iftikharuddin 1971 : xv.

408Iftikharuddin 1971 : 391-392.

409Rauf Malik déclarait lors d’un entretien à Lahore le 27 juillet 2018 :

Vo panjābī ke bahut acche muqarrir the, dehātoṃ meṃ panjābī kisānoṃ meṃ panjābī ki taqrīreṃ karte the aur even assembly meṃ angrezī bolte bolte panjābī meṃ šurū‘ ho jāte the.

« C’était un très bon orateur du panjabi, dans les campagnes, parmi les paysans, il faisait des discours en panjabi, et, même à l’assemblée, pendant un discours en anglais, commençait à parler panjabi. »

410Usmani 2016 : 243.

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sera le rédacteur en chef d’Imroz jusqu’en 1959), Abdullah Malik, Hamid Akhtar, Hamid Hashmi, Zahir Babar412. Et le journal s’impose vite comme un bastion marxiste.

L’orientation politique d’Imroz reflète celle de Mian Iftikharuddin et de son parti : Imroz critique l’ingérence impérialiste anglo-américaine dans la politique nationale et internationale, ainsi que le rôle intrusif du bloc occidental dans les pays nouvellement indépendants au Moyen-Orient et en Asie413.

En outre, journal d’opposition, il s'attaque aux riches propriétaires terriens (et autres privilégiés) qui se sont immiscés au sein de la Ligue musulmane et la manipulent de l’intérieur, tentant de maintenir les classes laborieuses et leurs représentants loin du pouvoir.

En ce qui concerne la question linguistique, les positions d’Imroz (exprimées à maintes reprises dans des éditoriaux de 1948 et 1953) évoluent en fonction du parcours politique de Mian Iftikharuddin : tant que Mohammad Ali Jinnah est vivant, Imroz soutient sa décision de n’accorder le statut de langue nationale qu’à l’ourdou414. Ce soutien à l'ourdou va de pair avec les positions anti-coloniales du journal. L’adoption de l’ourdou est souhaitable pour Imroz car elle signifie un rejet de l’anglais, vestige de la période coloniale qui n’a plus lieu d’être. On lit ainsi dans un éditorial du 15 Avril 1948 :

Is zamāne meṃ har qaum jo ġairoṃ kī ġulāmī se āzādi ḥāṣil karti hai uskā sabse pehlā ye kām hotā hai kī vo apne hāṃ se ġair qaum kī zubān kī syādat aur bartarī ko xatam kartī hai. 1924 ke b‘ad Turkī aur Irān ne yehī kiyā. Aur un logoṃ ko jo ġair zubān meṃ bolnā aur ismeṃ ḥisāb rakhnā ek imtyāzī cīz samajhte the. Aisā karne se ḥukmā ne man‘a kar dyā. Aur unheṃ majbūr kiyā ki vo qaumī zubānoṃ ko apne liye vaja-e imtyāz samjheṃ. Afsos se kehnā paṛtā hai ki Pākistān meṃ ab tak aisā nahīṃ hu’ā aur badastūr angrezī ko sarkārī daftaroṃ aur ġair-sarkārī ḥalqoṃ meṃ vohī bartarī ḥāṣil hai jo barṯānvī ‘ehd meṃ thī aur angrezoṃ ke jāne kā uspar koī aṡar nahīṃ hu’ā

« En cette époque qui est la nôtre, où chaque peuple se libère de l’esclavage dans lequel les puissances étrangères les ont maintenu, la première initiative est toujours d’annihiler la domination et la suprématie des langues de ces peuples étrangers. C’est ce que les turcs et iraniens ont fait après 1924. Ces peuples considéraient auparavant que savoir parler et compter dans cette langue étrangère était un signe de distinction. Mais leurs nouveaux gouvernants leur ont interdit cette pratique. Et les ont forcé à voir dans la connaissance de leur langue nationale une marque de distinction. Il est à déplorer que cela ne s'est pas passé ainsi au Pakistan, et que l’anglais jouit encore dans les milieux gouvernementaux et non gouvernementaux de la même supériorité que celle dont il jouissait du temps des anglais, et que le départ des anglais n’a rien changé. »

412Usmani 2016 : 114-119.

413Usmani 2016 : 139.

414On lit ainsi dans un éditorial paru le 27 mars 1948 dans Imroz :

Hameṃ xūšī hai ki Qā’id-e ‘aẕam ne sarkārī zubān ke bāre mein vāẕeḥ ṯaur par urdu kī bartarī kā iqrār kyā hai aur ye bāt hai bhī ṣaḥīḥ ki urdu ke sivā aur kisī zubān ko Pākistān kī sarkārī zubān qarār nahīṃ diyā jā saktā. Albatta ṣūboṃ ki sarkārī zubān ke bāre mein Qā’id-e ‘aẕam ne ṣūbā’ī zubānoṃ ke intixāb kī jo āzādi ‘aṯā farmā’ī hai vo ‘ain munāsib hai aur mauq‘a hai ki ab mašrīqī Pākistān mein urdu bangālī jhagṛā hameša ke liye xatam ho jā’egā.

« Nous sommes heureux que Mohammed Ali Jinnah ait en matière de langue officielle rappelé la suprématie de l’ourdou et il est tout à fait juste de dire qu’il n’y a pas de langue à part l’ourdou qui puisse être déclarée langue officielle du Pakistan. En même temps la liberté que Mohammed Ali Jinnah a donnée aux provinces dans le choix de leur langue officielle, est parfaitement acceptable et il est temps que la querelle entre l’ourdou et le bengali qui a vu le jour au Pakistan oriental soit définitivement enterrée ».

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Pendant cette période initiale, les droits du panjabi et des autres langues régionales ne sont pas mentionnés. Pour Imroz, La priorité n’est pas de donner des droits à ces langues mais de remplacer l’anglais au plus vite, et l’ourdou est le meilleur candidat pour cela. Les événements du 21 février 1952 à Dhaka vont entraîner un revirement. L’attitude du gouvernement est dénoncée en termes clairs dans l’éditorial du 25 février 1952, et cette dénonciation est suivie le 1er mars 1952 par un éditorial intitulé Zubān kā masla « La question de la langue » clarifiant la position du journal sur le statut du bengali et des autres langues régionales:

Urdu Pākistān ke kisī ṣūbe ke mādrī zubān nahīṃ lekin ye ek ḥaqīqat hai ki urdu ko hamāre mulk meṃ lingua franca kī ḥaiṡyat ḥāṣil hai.

Dūsrī ṯaraf Pākistān kī mut‘adad ṣūbā’ī zubāneṃ haiṃ jinmeṃ bangālī sabse zyāda taraqqī-yāfta hai balki b‘aẓ pehlūoṃ se to bangālī adab urdu adab se bhī kuch āge hai. Ḥaqīqatpasandāna nuqta-e naẕar se dekhye to ye amr vāẕeḥ hai ki Bangāl meṃ urdu ko is ḥad tak paṛhā likhā yā samjhā nahīṃ jātā jis ḥad tak maġrībī Pākistān meṃ. Balki mašrīqī Bangāl meṃ urdu kā kam-o beš vohī ‘ālam hai jo maġrībī Pākistān meṃ bangālī kā hai (…) Jo ḥaẓrāt urdu ke sāth sāth bangālī zubān ko sarkārī ḥaiṡyat dene ke muxālif haiṃ aur is naẕārye ke ‘alambardāroṃ ko fifth columnist kehne se bhī gurez nahīṃ karte unheṃ nihāyat ṭhanḍe dil se socnā cāhiye ki urdu ke sāth bangālī ko bhī sarkārī ḥaiṡyat dene se Pākistān ke donoṃ ḥiṣṣoṃ meṃ ittiḥād-o ittifāq kī fiẓā qā’im hogī. Aur tamaddun-o ṡaqāfat kī vaḥadat ke taṣavvur meṃ iẓāfa nahīṃ hogā ?

Aur kyā is ṯaraḥ panjābī, pašto, sindhī, balochī aur kašmīrī zubānoṃ ko bhī ye ḥaq ḥāṣil nahīṃ ho jā’egā kī unheṃ bhī sarkārī ḥaiṡyat ḥāṣil ho ? Aur kyā ba-yak-vaqt sāt zubānoṃ ko sarkārī ḥaiṡyat dī jā saktī hai ? Is ẓimn meṃ hameṃ Bangāl aur bangālī kī munfarid ḥaiṡyat ko dekhnā aur samajhnā hogā.

« L’ourdou n’est la langue vernaculaire d’aucune province du Pakistan, mais elle jouit d’un statut de langue véhiculaire dans notre pays.

D’un autre côté il y a les nombreuses langues provinciales du Pakistan, parmi lesquelles le bengali est la plus évoluée, et même, d’un certain point de vue, on peut dire que la littérature bengalie est plus avancée que la littérature ourdoue. Si nous sommes réalistes, il nous est évident que l’ourdou n’est pas autant lu, écrit et compris au Bengale qu’au Pakistan occidental. En réalité l’ourdou est au Bengale oriental aussi important que le bengali l’est au Pakistan occidental(…).

Les personnes qui refusent de donner au bengali le statut de langue officielle au même titre qu’à l’ourdou et considèrent ceux qui font cette demande comme des agents de l’étranger, devraient calmement penser que si le bengali recevait le statut de langue officielle au côté de l’ourdou, un climat d'harmonie se développerait entre les deux parties du pays. L’idée d’une unité culturelle n’en sortirait elle pas renforcée ?

Cela signifierait il également que les langues panjabi, pachto, sindhi, baloutchi et cachemiri auraient elles aussi droit à un statut officiel ? Peut-on d’ailleurs donner un statut officiel à sept langues en même temps ? Nous devons tenir compte ici de la situation complètement unique du bengali. »

Cette position est prudente. Accorder un statut officiel au bengali ne signifie pas qu’un statut similaire devrait être accordé aux autres langue régionales, car la situation linguistique du Bengale oriental (où l’ourdou est pratiquement inconnu) ainsi que le statut du bengali (qui a une vieille littérature et a été utilisé pendant des siècles dans tous les domaines) sont spécifiques. Quant aux autres langues vernaculaires, elles ne peuvent pas prétendre à la même reconnaissance.

Mais si Imroz ne soutient pas leur droit à être langues nationales ou officielles du Pakistan, il souhaite que leur soit accordé un statut administratif, ou qu’elles deviennent langues d’instruction à l’intérieur des provinces respectives. On lit ainsi dans un éditorial paru le 31 Janvier 1953 les recommandations suivantes:

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Qaumī aur bain-al ṣūbā’ī zubān urdu ke ‘alāva muxtalif ṣūboṃ aur ‘ilāqoṃ kī bolcāl kī zubān ko taraqqī aur našv-o numā kā pūrā mauq‘a diye baġair Pākistān ke ṡaqāfatī aur tehżībī irtiqā‘ kā taṣavvur nahīṃ kyā jā saktā. Lisāniyat kā ye vo ḥaqīqat-āmez naẕāriya hai jispar ham šurū‘ hī se zor dete rahe haiṃ.

Nīz hamne batāyā thā ki urdu kā Pākistān kī kisī bhī ṣūbā’ī yā ‘ilāqā’ī zubān se koī taṣādum nahīṃ hai, albatta urdu aur tamām ṣūbā’ī zubānoṃ ko barṯānvī commonwealth kī mādrī zubān angrezī kī bālādastī aur tasalluṯ se ẓarūr xaṯra lāḥiq hai cunāṃche ḥukūmat kī policy ye honī cāhiye kī sarkārī dafātir se angrezī ko ruxṣat kare aur us vaqt jo zubāneṃ is qābil haiṃ kī āsānī se żarī‘a-e iẕhār ban sakeṃ unheṃ rāsix kar le, nīz pasmānda ṣūbā’ī aur ‘ilāqā’ī zubānoṃ kī taraqqī ke sāmān mohayyā kare tāki vo bhī āge calkar sarkārī dafātir meṃ rāsix ho sakeṃ. Is ẓimn meṃ urdu ko to mulkgīr ṯarīqe se rā’ij kiyā jā’e lekin ṣūbā’ī zubānoṃ ko ṣūboṃ kī ḥudūd meṃ munāsib jaga dī jā’e.

« Si on ne donne pas l’occasion de progresser aux langues vernaculaires des diverses provinces et régions qui existent aux côtés de cette langue officielle et de communication entre provinces qu’est l’ourdou alors on ne peut pas imaginer que le Pakistan puisse progresser culturellement et se civiliser. Voilà la vision réaliste de la situation linguistique sur laquelle nous mettons l’accent.

Même si, comme nous l’avons déjà dit, l’ourdou n’entre en conflit avec aucune langue provinciale ou régionale on peut reconnaître que l’ourdou et toutes les langues provinciales mettent sûrement en danger la domination par la langue maternelle du commonwealth, l’anglais, et le gouvernement devrait donc adopter une politique en vertu de laquelle il chasserait l’anglais des administrations et emploierait les langues qui peuvent facilement devenir des véhicules d’expression ; il ferait donc en sorte que les langues provinciales et régionales se développent, afin qu’elles puissent à l’avenir être utilisées dans les administrations. Ainsi, il convient de diffuser l’ourdou dans tout le pays, mais aussi de donner à l’intérieur de chaque province, une bonne place à sa langue vernaculaire ». Mais les mêmes recommandations ne s’appliquent pas au panjabi. Le même éditorial contient la mise en garde suivante :

Vāẕeḥ rahe ki yahāṃ par panjābī ko sarkārī dafātir aur t‘alīm-gāhoṃ meṃ żarī‘a-e iẕhār banāne kā muṯālba nahīṃ kiyā jā rahā hai kyonki ye zubān abhī taraqqī kī us manzil par nahīṃ pahūṃc sakī hai ki use ye darja dyā jā’e.

« Qu’une chose soit claire : nous ne demandons pas ici que le panjabi soit utilisé comme langue administrative ou comme langue d’instruction, parce que cette langue n’a pas encore atteint le stade de son développement qui pourrait lui donner ce statut ».

La distinction entre langues évoluées et non-évoluées que nous avons vue dans le programme d’Abid Hassan Minto est une nouvelle fois utilisée contre le panjabi. Imroz ne lui concède aucun rôle, en tant que langue officielle, ou langue d’instruction, du fait qu’elle n’est pas suffisamment développée.

Pourquoi une telle discrimination ? Nous sommes ici une nouvelle fois face à un discours sur le panjabi qui reproduit la pratique diglossique, un discours perpétuant les mêmes préjugés d’arriération du panjabi qui ont cours dans la société.

Cet éditorial montre néanmoins les limites qu’Imroz s’étaient fixées à cette époque en matière de soutien au panjabi : aucune revendication officielle ou concernant l'éducation. une seule exception à cette stricte ligne idéologique : Imroz demandera dans le même numéro du 31 janvier 1953 la réouverture de classes optionnelles de panjabi415 :

Hameṃ ye m‘alūm karke dukh hu’ā ki Punjab University ke Oriental College meṃ panjābī ke dars-o tadrīs kā koī ehtimām nahīṃ. Ḥālāṃki panjābī zubān-o adab ke imtiḥānāt meṃ har sāl ṯulbā kī ek m‘aqūl t‘adād šarīk hotī hai (…) Ḥālāṃki jab panjābī ke imtiḥānāt meṃ širkat karne vāle ṯulbā maujūd haiṃ to phir university kā farẓ thā ki un ṯulbā kī sahūlat ke

415 Sans doute par solidarité avec Faqir Mohammad Faqir qui avait entamé un mouvement pour la réouverture de ce département, comme nous le verrons dans le chapitre suivant

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liye is zubān ke paṛhne paṛhāne kā bhī inteẕām kartī (…) Ḥairat hai ki university meṃ rūsī aur frāṃsīsī zubānoṃ kī t‘alīm kā inteẕām hai lekin panjābī zubān-o adab is ‘ināyat se meḥrūm hai.

« Nous avons eu la tristesse d’apprendre que le panjabi n’est pas enseigné à l'Oriental College de Lahore, alors que chaque année un nombre important d’étudiants se présente aux examens de langue et littérature panjabie. (…) Puisqu’un certain nombre d’étudiants se présentent aux examens de panjabi, il est du devoir de l’université d’organiser pour eux des cours et de leur donner des enseignants (…) Il est étonnant que le russe et le français soient enseignés à l’université, mais que la langue et la littérature panjabie n’aient pas ce privilège. »

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