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Les essais en ourdou sur la langue et littérature panjabie dans Imroz

Chapitre IV : Les activités des marxistes (1947-1959)

4.1 Les activités du pôle marxiste en faveur du panjabi entre 1947 et 1955 .1 Activités du groupe progressiste

4.2.2 Les essais en ourdou sur la langue et littérature panjabie dans Imroz

Même si un grand nombre d’essais sont à présent écrits directement en panjabi et apparaissent dans la page panjabie, des essais en ourdou consacrés à la langue, littérature et au folklore panjabi continuent de paraître dans les pages générales d’Imroz. Au total 33 essais en ourdou sont publiés entre 1955 et 1959, parmi lesquels un tiers est écrit par des auteurs confirmés du panjabi (Afzal Parvez, Faqir Mohammad Faqir, Sharif

443 Le manifeste de 1949 des progressistes déclare que :

Uske bar-‘aks ham taraqqīpasand jadīd adab ko zindagī kā ā’īna hī nahīṃ samajhte balki zindagī ko badalne aur behtar banāne kā żarī‘a aur vasīla bhī taṣavvur karte haiṃ. Ham adab barā-e zindagī, adab barā-e jad-o jehd aur adab barā-e inqilāb ke naẕariye ko apnī teḥrīk kā sang-e mīl xiyāl karte haiṃ

« Au contraire, nous autres écrivains progressifs ne considérons pas la littérature comme seulement le miroir de la vie, mais comme un moyen de changer et d’améliorer la vie. Nous considérons comme fondements de notre mouvement la notion que la littérature doit changer la vie, contribuer à la lutte des classes et préparer à la révolution » (Malik, Abdullah 1950 : 79).

444Il déclarait ainsi dans son essai Jadīd urdu adab mein inḥeṯāṯī rujḥānāt « Les tendances décadentes de la littérature ourdou moderne » :

Ek āxirī rujḥān qunūṯiyat kā hai (…) Šā‘irī meṃ to zyādatar ye rujḥān hameṃ virṡe mein milā hai. Lekin hamārī klasīkī šā‘irī kā zamāna to vo thā jab samāj ki behtarī kā koī rāsta naẕar nahīṃ ātā thā, zindagī rukī rukī sī thī aur isliye qunūṯiyat kī chāp samajh mein āti hai. « Une dernière tendance est celle du pessimisme (…) en poésie cette tendance est largement héritée des anciens. Mais à l’époque ou notre poésie classique était produite on ne voyait pas de possibilité d’amélioration de la société, la vie stagnait et c’est la raison pour laquelle on voit à cette époque une telle emprise du pessimisme » (Minto 1956 : 211-212).

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Kunjahi, Abdul Rauf Malik, Asif Khan, Arshad Multani). On peut les diviser thématiquement en trois groupes :

-Un premier groupe est formé par les essais sur la littérature panjabie, au nombre de 12. La littérature classique occupe une part importante dans ce groupe : 6 essais sont consacrés aux poètes soufis445. Et la littérature panjabie indienne n’est plus ignorée : 4 essais de ce groupe lui sont consacrés (dont deux à Amrita Pritam) 446. La littérature contemporaine pakistanaise reçoit elle aussi une certaine attention : deux essais y sont consacrés 447.

-Une deuxième groupe est formé par les essais sur la littérature folklorique, au nombre de 12. La tendance à étudier le folklore des régions limitrophes du Panjab que l’on observait dans les essais en panjabi sur le folklore publiés à la même époque se précise ici : 7 essais sont consacrés aux chants folkloriques siraikī 448 et 5 au chants folkloriques du Pothohar 449. Ces essais marquent par ailleurs une progression vers une analyse plus méthodique et scientifique du folklore, délivrée du sentimentalisme et du romantisme des précédents auteurs (Abdul Qadir Rashk, Rahat Gujrati et Abdul Majid Bhatti). Ils sont en majorité écrits par docteur Mehr Abdul Haq et Afzal Parvez, et présentent sur un ton neutre des spécimens de chants folkloriques classés par thème, en mettant l’accent sur leur contexte de performance, ainsi que sur leur lien avec la structure économique et sociale des campagnes450

445Arshi Panjābī ke ‘aẕīm šā‘ir Ġulām Rasūl ke kalām meiṃ hajv-o żam « La satire dans la poésie de grand poète du panjabi Ghulam Rasul » (Imroz,17-24 janvier 1955), Maulana Mohammad Afzal Qadir Ḥaẓrat Sulṯān Bāhū (Imroz, 26 juin, 2 juillet 1955), Faqir Mohammad Faqir Panjābī kā š’ola-navā šā‘ir Ġulām Rasūl « Un flamboyant poète du panjabi : Ghulam Rasul » (Imroz, 8 juillet 1956), Arshad Multani Panjābī zubān ke ‘aẕīm šā‘ir Xwāja Ġulām Farīd « Un grand poète de la langue panjabie : Khwaja Ghulam Farid » (Imroz,7 juillet 1957), Pir Ghulam Dastgir Sayed Bulle Šāh (Imroz, 15-22 décembre 1957), Arshi Vāriṡ, ek muballiġ-e islām « Un prédicateur de l’islam : Varis Shah » (Imroz, 31 Mai 1959), Abu Yahya Imam Khan Sayed ‘Alī Ḥaidar kā kalām « La poésie de Sayed Ali Haïder » (Imroz,26 juillet 1959).

446Abdul Rauf Malik Mašrīqī Panjāb kā nayā panjābī adab « la nouvelle littérature panjabie du Panjab oriental » (Imroz, 21 aout 1955), Somar Anand Panjābī kī nāmvar šā‘irā Amritā Pritam « Une poètesse illustre du panjabi : Amrita Pritam » (Imroz, 2 septembre 1956), Sharif Kunjahi Amritā Pritam ke na’e š‘erī majmū‘e par ek naẕar : ‘Sunehṛe’ « Un regard sur le nouveau recueil poétique d’Amrita Pritam : ‘Les messages’ » (Imroz, 17 mars 1957), Sharif Kunjahi Jagtār Papīhā, panjābī kā ek nauxez gītkār « Un tout nouvel auteur de chansons panjabies : Jagtar Papiha » (Imroz, 4 aout 1957).

447Faqir Mohammad Faqir Panjābī ġazal kā ek jā’izā « Une étude du ġazal panjabi » (Imroz, 4 novembre 1956), Ahmad Sharif Aḥmad Ẕafar ki panjābī šā‘irī « La poésie panjabie d’Ahmad Zafar » (Imroz, 23-30 juin 1957).

448Les 7 articles ont été écrits par le docteur Mehr Abdul Haque : Faṣloṃ ke gīt multānī zubān meṃ « Les chansons des récoltes en langue multanie » (Imroz, 22 février 1959), Loryān « Les berceuses » (Imroz, 1st mars 1959), Mail gīt aur jhumreṃ multānī zubān meṃ «Les chansons des retrouvailles et les chansons d’Holi en langue multanie » Imroz, 8 mars 1959), Baccoṃ ke khel ke gīt aur bol multānī zubān meṃ « Les chansons chantées pendant les jeux par les enfants en langue multanie » (Imroz, 15 mars 1959), Muzāḥya gīt multānī zubān meṃ « Les chansons humoristiques en langue multani » (Imroz, 12 avril 1959), Jagrāte ke gīt multānī zubān meṃ « Les chansons des veillées en langue multani » (Imroz, 26 avril 1959), Māhye aur ḍhole multānī zubān meṃ « Māhye et dhole en langue multanie » (Imroz, 17 Mai 1959).

449Aziz Ibn Kamil Poṭhohār ke nāc gāne « Les danses et chants de la région du Pothohar » (Imroz, 14 novembre 1955), Afzal Parvez Thāl aur kiklī (Imroz, 14 octobre 1956), Afzal Parvez Gandum ke gīt « Les chansons du blé » (Imroz, 2 juin 1957), Afzal Parvez Ek poṭhohārī gīt : ‘Sāwṇī’ « Une chanson pothoharie : Sāwṇī » (Imroz, 1er Mai 1958), Afzal Parvez Poṭhohār kā lok nāc : Sammī « Sammī : une danse folklorique du Pothohar » (Imroz, 14 aout 1959).

450Les essais du docteur Mehr Abdul Haque parus dans Imroz seront réunis et paraîtront en 1964 sous forme de livre : Siraikī lok gīt « Les chants folkloriques en siraiki » (Abdul Haque 1964). Il est aussi intéressant de remarquer que cette entreprise systématique de collecte folklorique débutée

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-Un troisième groupe est formé par les essais sur la langue, qui sont au nombre de 9. 6 traitent du panjabi 451, et 3 du siraikī 452. Les questions concernant le statut de la langue et sa diffusion ne sont pas traitées dans ces essais, qui sont en général purement informatifs. Mais deux d’entre eux affichent des positions originales et inédites, et leur parution est le point de départ de débats qui se prolongeront pendant les années qui suivront. Il s’agit de l’essai de Sayed Ali Shah Multani Multānī, vādī - e Sindh kī muštarika zubān « Le multani, langue commune de la vallée de l’Indus » paru en feuilleton les 4 Septembre, 12 Octobre et 7 décembre 1958, et de l’essai Panjābī zubān ke ajzā-e tarkībī « Les éléments constitutifs de la langue panjabie » de Mohammad Asif Khan, paru le 27 Septembre 1959. Nous présenterons ici brièvement ces positions.

4.2.2.1 Sayed Ali Shah et l’affirmation du siraiki

L’affirmation d’une identité séparée pour le siraikī (appellé ‘Multani’ jusqu’en 1964) est faite par Sayed Ali Shah Multani dans son essai. L’auteur453, un des précurseurs du mouvement siraikī y affirme la place centrale du siraiki, langue héritière du sanskrit védique, et descendant d’une langue ancienne qui unifiait toutes les provinces de l’aire géographique connue dans l’antiquité comme Sapta Sindhu (Le pays des sept rivières). Le hindko, le sindhi et même le kutchi seraient dérivés de cette langue. Le siraikī n’est donc en rien un dialecte du panjabi, mais le descendant direct d’une langue ancienne qui s’étendait des confins du Kutch jusqu’à Attock, et son ancienneté dépasse donc celle du panjabi. L’argumentation de Sayed Ali Shah est essentiellement fondée sur des similitudes entre mots de sanskrit védique et mots siraikī contemporains. Il s’agit là d’une sorte de déclaration d’autonomie du siraiki.

Il est à noter que deux ans avant la publication de cet essai le Dr Mehr Abdul Haq – dont les essais sur le folklore siraikī apparaissent avec régularité dans Imroz et était un des fondateurs de la linguistique siraikī et inspirateur du mouvement siraiki454 - avait soutenu à l’université du Panjab en 1957 une thèse intitulée Multānī zubān aur uskā urdu se t‘alluq « La langue multani et son lien avec l’ourdou »455, dans laquelle il avait remis en question la théorie de Mehmud Shirani selon laquelle l’ourdou était né au Panjab, et affirmé que

par Mehr Abdul Haque et Afzal Parvez est contemporaine de celle des folkloristes bengalis et sindhis : Le projet de collection de matériel folklorique de l’académie bengalie débute en 1955, et le projet de collecte folklorique de Nabi Bakhsh Baloch se concrétise à partir de 1957.

451Joginder Shamshir Panjābī zubān kī tārīx « Histoire de la langue panjabie » (Imroz, 18 avril, 20 avril 1955), Joginder Shamshir Panjābī zubān kā irtiqā‘ « L’évolution de la langue panjabie » (Imroz, 30 mai 1955), Joginder Shamshir Panjābī zubān kā rasm-ul xaṯ « L’alphabet du panjabi » (Imroz, 30-31 juillet 1955), Vahid Hussain Panjābī zubān aur uskā rasm-ul xaṯ « La langue panjabie et son alphabet » (Imroz, 7-8 novembre 1955), Joginder Shamshir Panjābī zubān par fārsī kā aṡar « L’influence du persan sur la langue panjabie » (Imroz, 9 septembre/16 septembre 1956), Mohammad Asif Khan Panjābī zubān kī maxṣūṣ āvāzoṃ kā imlā « La notation écrite des sons spécifiques de la langue panjabie » (Imroz, 21-28 décembre 1958), Mohammad Asif Khan Panjābī zubān ke ajzā-e tarkībī « Les éléments constitutifs de la langue panjabie » (Imroz, 27 septembre 1959).

452Sayed Ali Shah Multani Multānī, vādī - e Sindh kī muštarika zubān « Le multani, langue commune de la vallée de l’Indus » (Imroz, 4 septembre, 12 octobre, 7 décembre 1958), Khalil Jalandhari (pseudonyme de Sardar Khan) Multāni, zubān yā bolī ? « Le multani, langue ou dialecte ? « (Imroz, 9 novembre 1958), Sufi Abdul Majid Multāni zubān ke javāhir reze « Les joyaux de la langue multanie » (Imroz, 10 Mai 1959).

453Sayed Ali Shah 1909-1960, originaire de Taunsa, Muzaffargarh, était bibliothécaire à l’université du Panjab, Lahore. Expert en sanskrit (Faqir 2002 : 370), et le rédacteur en chef de la première revue en siraiki, Panjnad, publiée depuis Karachi à partir de 1950 (Al-Haïderi. 2015 : 26, Shackle 1977: 392).

454Il deviendra le secrétaire du ‘Siraiki adabi Board’ après sa création (Shackle 1977 : 396).

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l’ourdou était en fait né à Multan du siraikī et avait migré à Lahore, et de là à Delhi456. Les deux recherches parallèles de Shah Multani et Mehr Abdul Haq, débouchant sur des affirmations d’antériorité, ont en quelque sorte légitimé l’idéologie sur la base de laquelle s’est développé le mouvement siraiki.

Cet essai déclenche une réponse virulente du linguiste Sardar Khan : Multāni, zubān yā bolī ? « Le multani, langue ou dialecte ? » signé du pseudonyme ‘Khalil Jalandhari’ (9 Novembre 1958) dans lequel celui-ci reprend un à un les rapprochements faits par Sayed Ali Shah Multani entre mots de sanskrit védique et mots siraiki, et montre d’une part que certaines des étymologies sanskrites proposées pour des mots siraikis sont erronées, et d’autre part qu’en utilisant le même système de rapprochement on peut aussi prouver que le panjabi est l’héritier direct du sanskrit védique. Il réaffirme alors que le siraikī n’est qu’un dialecte du panjabi

4.2.2.2 Asif Khan : Le panjabi, langue dravidienne ?

Asif Khan, dans son essai Panjābī zubān ke ajzā-e tarkībī « Les éléments constitutifs de la langue panjabie » publié le 27 Septembre 1959, utilise la même méthode de comparaison lexicale que celle utilisée par Sayed Ali Shah pour remettre en question la notion selon laquelle la langue panjabie est une langue indo-aryenne. Il part du constat que le panjabi a été jusqu’à maintenant déclarée langue indo-aryenne sur la base de son vocabulaire, que l’on dit dérivé du sanskrit, mais s’il y a d’incontestables similarités entre mots sanskrits et mots panjabis, le vocabulaire panjabi présente d’étonnantes similarités avec des mots dravidiens cités par Robert Caldwell dans son livre A comparative grammar of the Dravidian or South Indian family of Languages457 (il cite 13 mots similaires), et avec les mots d’une langue dravidienne isolée : le brahoui (il en cite 9). Ces similarités poussent Asif Khan à se demander si le panjabi appartient réellement à la famille linguistique indo-aryenne.

Cet article pose la première pierre d’une théorie dravidienne que Ain-ul Haque Farīdkoti reprendra et développera dans son essai Panjābī zubān dyāṃ jaṛāṃ « Les racines de la langue panjabie »458. Elle séduira nombre d’activistes du panjabi tels Shafqat Tanvir Mirza, qui dans son livre Adab rāhīṃ Panjāb dī tārīx « L’histoire du Panjab à travers sa littérature » se livrera à des recoupements entre pothohari et langues dravidiennes et aussi Ahmad Salim459.

Ces débats montrent bien qu’Imroz continue la tradition instaurée par la chronique Gall bāt à ses débuts en 1951 : il est un forum, accueillant des avis divergents et parfois inédits sur la question panjabie.

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