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Les activités de la Punjabi Cultural Society

Chapitre V Le mouvement conservateur (1950-60)

5.1. Activités, programmes et idéologie des conservateurs entre 1950 et 1960. 1 Le début des activités et la réunion de 1950

5.1.6 La Panjabi cultural society (1954)

5.1.6.2 Les activités de la Punjabi Cultural Society

La Punjabi Cultural Society a à son actif l'organisation de deux événements un symposium poétique le 16 juin 1954 et des réunions littéraires hebdomadaires.

-Pour se faire connaître, la Punjabi Cultural Society organise un grand symposium poétique panjabi, le 16 juin 1954 au théatre en plein air de Lawrence garden, au cours duquel les poètes du panjabi Ustad Hamdam, Ustad hamdam, Firoz Din Sharf, Maulana Bakhsh Kushta, Faqir Mohammad Faqir, Joshua Fazal Din et les poètes de l’ourdou Ahmad Nadim Qasmi, Sufi Tabassum, Hafiz Jalandhari, Qayum Nazar et Abdul Majid Salik récitent leurs poèmes678. Le ministre en chef du Panjab Feroz Khan Noon assiste à ce symposium et d’après Chaudhry Afzal Khan :

Onāṃ ais mušā‘ire nūṃ baṛā ṣalāḥyā te panjābī adab dī taraqqī la’ī har košiš vic sarkārī madad dā v‘ada kītā.

« Il a loué ce symposium et promis l’aide du gouvernement pour chaque initiative visant au développement de la littérature panjabie »679.

La participation du ministre en chef est un événement considérable, et montre l’importance que le gouvernement accordait aux initiatives lancées par la personnalité du monde littéraire et journalistique qu’était Abdul Majid Salik.

Quant aux déclarations faites par Feroz Khan Noon, elles restent prudentes : il se prononce sur le développement de la littérature panjabie, non sur une possible expansion de son champ d’utilisation ou une possible amélioration de son statut. Ces déclarations sont néanmoins historiques : pour la première fois un homme politique aussi important (qui est à la tête du gouvernement de la province) exprime une forme de soutien à un mouvement en faveur du panjabi. Même si aucune initiative du gouvernement n’a suivi, cette participation et ces déclarations sont un succès en soi.

-La Punjabi Cultural Society organise des réunions chaque vendredi au YMCA de Lahore, comparables à celles de l’association des écrivains progressifs ou du Ḥalqa-e arbāb-e

żauq (une ou deux pièces en prose et une pièce poétique sont lues et commentées lors

d’une séance présidée par une personnalité littéraire). Deux nouveaux écrivains qui vont jouer plus tard un rôle important dans le champ panjabi ont rejoint en cours de route la Punjabi Cultural Society : Asif Khan et Raja Risalu. Ces derniers ont eux-même organisé certaines séances, comme le rappelle Raja Risalu dans ses mémoires:

Punjabi Cultural Society nāl juṛe ho’e hor buzurgāṃ vicoṃ caudhrī Moḥammad Afẓal, Professor Ṣafdar Mīr, Jošuā Faẓal Dīn šāmil san. Jošuā Faẓal Dīn horī sabb toṃ pehlāṃ tašrīf lyānde te farmānde : ‘Calo bhāī, kārvā’ī šurū‘ karo !’ Ikk velā ajehā āyā ki sāre buzurg

677 Salik 1964 : 40-41.

678 Khan, Mohammad Afzal. 1960 : 54.

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apṇe apṇe kammāṃ vic rujh ga’e, koī Lāhoron bāhar calā gayā vaġaira. ‘Punjabi Cultural Society’ dā kamm Moḥammad Āṣif Xān te mere supurd ho gayā. Asīṃ kāfī ‘arṣe takk Society de jalse karvānde rihe.

« Parmi les vétérans affiliés à la Punjabi Cultural Society figuraient Chaudhry Mohammad Afzal, le professeur Safdar Mir et Joshua Fazal Din. Joshua Fazal Din arrivait toujours le premier et disait :’allons-y commençons la séance’. Il fut un temps ou tous ces vétérans étaient occupés, l’un s’était éclipsé de Lahore, l’autre était ailleurs et la gestion de la Punjabi Cultural Society m’a été confiée ainsi qu’à Asif Khan. Nous avons ainsi organisé des réunions pendant un certain temps »680.

Combien de temps ces réunions ont-elles duré ? Au dire de Chaudhry Fazal entre 6 mois et 1 an681. D’après Safdar Mir un an. Celui-ci écrit dans son essai Daggā te agg « La petite marmite et le feu »:

Punjabi Cultural Society ikk sāl tā’iṃ panjābī de classical te ajoke adab bāre haftvār tanqīdī ikaṭh kardī rahī. Kujh nave paṛhe likhe likhārī sāmne ā’e jiṛe lokāṃ dī zubān vic gall karaṇ vic ghān na’īṃ san samajhde. Ai society agge kyoṃ na cal sakī ? Ai ikk vakhrā qiṣṣa ai. « La Punjabi Cultural Society a organisé pendant un an des réunions autour de la littérature classique et de la littérature contemporaine. Quelques nouveaux écrivains éduqués y ont participé, qui considéraient qu’il n’y avait rien de mal à s’exprimer dans la langue du peuple. Pourquoi cette société a-t-elle du s’arrêter ? C’est là une autre histoire »682.

Safdar Mir s’est bien gardé de narrer cette autre histoire. Pourquoi la Punjabi Cultural Society a t’elle cessé ses activités ? Le désintérêt et le manque de soutien des vétérans (mentionné par Raja Risalu), absents ou trop ‘occupés’ pourrait être l'une des raisons. Un écart idéologique et générationnel entre les nouveaux arrivants dans le champ panjabi (Safdar Mir, Asif Khan, Raja Risalu), et la vieille garde (représentée par Abdul Majid Salik, Faqir Mohammad Faqir et Joshua Fazal Din) pourrait être une deuxième raison (Safdar Mir préférait sans doute ne pas le mentionner). Cet écart avait finalement poussé les nouveaux arrivés à déserter cette organisation et à créer la leur, le Panjābī Majlis « Société panjabie » à laquelle nous consacrerons notre quatrième chapitre.

L’absentéisme des aînés et le mécontentement des nouveaux arrivants n’ont pas donné de grandes chances de survie à la Punjabi Cultural Society, dont les débuts avaient pourtant été si encourageants.

Documenter les réunions de la Punjabi cultural sociey est pratiquement impossible. Aucun membre n’a rédigé de compte rendu des séances et les textes lus pendant les séances n’ont pas été publiés, car la période d’activité correspond à un moment creux en matière de publication en panjabi : la revue Panjābī est interrompue momentanément, et la page panjabie d’Imroz n'existe pas encore.

Il reste néanmoins un témoignage d’une réunion mémorable, qui avait eu lieu dans les derniers mois de 1954, séance organisée par Raja Risalu et Asif Khan et présidée par Abdul Majid Salik. Le poète populaire Ustad Daman et l’écrivain ourdou Sa‘adat Hassan Manto y avaient été invités. Manto était censé y lire sa première nouvelle panjabie. Cette réunion a tellement marqué les esprits que l’on en trouve 3 récits (Par Amrita pritam, Raja Risalu et Akmal Alimi), et qu’elle figure également dans le film ‘Manto’ du réalisateur pakistanais Sarmad Khoosat (2015).

680 Risalu 2008 : 60.

681 Khan, Mohammad Afzal. 1960 : 55.

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Nous présentons ici la version d’Akmal Alimi. Elle donne une idée assez exacte de l’atmosphère de ces réunions littéraires en panjabi au caractère informel et convivial:

Ham log board room pahūṃce to sāre cār baj cuke the. Kamrā logoṃ se bharā hu’ā thā. Log Manṭo kī ṣūrat dekhkar lehlehā uṭhe (…) Mere sāthyoṃ ne mujhe qehr-ālūd nigāhoṃ se dekhā aur meḥfil ke ṣadar Maulana ‘Abdul Majīd Sālik ne mujhe ḍāṃṭ pilā’ī : ‘Bhā’ī kārkunoṃ ko to vaqt par ā jānā cāhiye !’ (…) Ustād Dāman naẕm paṛh rahā thā ‘Kāle bādal’. Manṭo ne Dāman ko majbūr karke mazīd tīn cār naẕmeṃ sunīṃ.

Ab Manṭo kī bārī thī, usne pehle to apne afsāna na likh sakne kī m‘ażrat kī aur phir apnī taqrīr kā ‘unvān batāyā : ‘Panjābī bolyāṃ’. Log caukanne ho ga’e. Manṭo ne panjābī bolyoṃ kī t‘arīf meṃ zamīn-o āsmān ke qallābe milāne šurū‘ kar diye. Vo apnī teḥrīroṃ meṃ kabhī is jurm kā murtakab nahīṃ hu’ā thā magar āj vo panjābī adab se apnī bepanā ‘aqīdat kī binā par ye sab kuch keh rahā thā. Usne bolyāṃ paṛhnī šurū‘ kar dīṃ, bolyāṃ jinmeṃ ḥusn thā, jin meṃ javānī thī, ‘išq thā, aur ‘aurat kā vo jāndār taṣavvur thā jo dunyā bhar ke kisī adab ko naṣīb nahīṃ hu’ā. Manṭo har bolī par muxtaṣar tabṣira kartā thā aur phir us ke liye koī ‘unvān tajvīz karke bolī sunātā thā (…).

Cand aur bolyāṃ sunāne ke b‘ad Manṭo ne ṣadar ko multajī nigāhoṃ se dekhā aur ek ek lafẕ meṃ ye darxwāst kī ‘Ṣāḥab-e ṣadar, maiṃ ikk gandī bolī paṛh sakdā āṃ ?’. Maulanā ‘Abdul Majīd ne (dāeṃ bāeṃ jhānkkar) farāxdilī se uskī ijāzat de dī. Āj unkī sāri ṡaqāfat, tamām gambhīrtā Manṭo ke sīl-e taqrīr meṃ beh ga’ī thī. Manṭo ne ek bolī paṛhi. Log saṭpaṭā ga’e, lekin Manṭo goyā ek rūḥānī taskīn meḥsūs kar rahā thā. Usne gumnām panjābī šā‘ir kī ḥaqīqat-byānī aur jurāt-e iẕhār kā iẕhār karke goyā xūd iskā maqām pā liyā thā.

Manṭo kī bolyāṃ sunkar ustād Dāman kī rag-e š‘eriyat phaṛkī aur ān-e vāḥid meṃ YMCA kā board room Šālīmār Bāġ kā Melā-e cirāġāṃ hokar reh gayā.

Manṭo aur Dāman meṃ muqābla šadīd hotā jā rahā thā. Manto kā ḥāfiẕa āj ġair-māmūlī quvvat kā ṡubūt de rahā thā aur Dāman to xūd šā‘ir thā. Bil-āxir ye m‘āmla xatm hu’ā aur maidān Manṭo ke hāth rahā kyoṃki Manṭo kī bolyāṃ Dāman se zyāda tund-o tez balki tezābi thīṃ.

« Lorsque nous sommes entrés dans la salle du comité il était déjà quatre heures et demie. La pièce était remplie de monde. En voyant Manto les visages des gens se sont éclairés (…) Mes compagnons m’ont regardé avec colère et le président de la séance Abdul Majid Salik m’a réprimandé ‘Mon ami, les membres doivent venir à l’heure’ (…) Ustād Dāman récitait son poème ‘Kāle badal’ (les nuages noirs) et Manto a obligé Daman à réciter trois ou quatre poèmes supplémentaires.

Maintenant c’était le tour de Manto. Il s’est d’abord excusé de ne pas avoir pu écrire sa nouvelle, puis il a annoncé le titre de son intervention : ‘Les couplets (Boliyāṁ) panjabis’. L’audience écoutait avec attention. Manto a commencé à faire un éloge dithyrambique des couplets panjabis. Il n’avait jamais encore commis ce crime dans ses écrits mais aujourd’hui il déclarait son admiration absolue pour la littérature panjabie. Il a commencé à réciter des couplets. Des couplets sur la beauté, la jeunesse, l’amour, et les femmes, couplets qui ,d’après lui, présentaient une vision si vivante de la femme que l’on ne pouvait en trouver l’équivalent dans aucune autre littérature au monde. Manto faisait un commentaire court sur chaque couplet, en proposait un titre, puis le récitait.

Après avoir récité quelques autres couplets Manto a regardé le président de la session d’un air suppliant et lui a demandé : ‘Puis je réciter un couplet grivois ?’ Maulana Abdul Majid a regardé autour de lui, et lui a généreusement accordé son autorisation. Aujourd’hui, toute sa sophistication et tout son sérieux avaient été vaincus par l’éloquence de Manto. Manto a récité un couplet. L’audience s’est indignée mais Manto ressentait une satisfaction presque mystique. En parlant du goût pour le réalisme et de l’audace du poète panjabi anonyme qui avait écrit ces lignes, Manto avait pour ainsi dire pris sa place.

En entendant les couplets que Manto récitait, la fibre poétique d’Ustad Daman s’est réveillée et en un instant la salle du comité s’est transformé en fête des torches (Melā-e cirāġāṃ) du parc de Shalimar.

Une compétition faisait maintenant rage entre Manto et Daman. Manto faisait aujourd’hui preuve d’une mémoire extraordinaire, et Daman qui était lui-même un poète n’était pas en reste. A la fin la compétition a été remportée par Manto, car celui-ci récitait des couplets qui étaient plus hardis voire même plus vitriolés que ceux de Daman »683.

683Alimi 2014 : 31-32.

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