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Les fondateurs du mouvement conservateur .1 Faqir Mohammad Faqir (1900-1974)

Chapitre V Le mouvement conservateur (1950-60)

5.1. Activités, programmes et idéologie des conservateurs entre 1950 et 1960. 1 Le début des activités et la réunion de 1950

5.1.2 Les fondateurs du mouvement conservateur .1 Faqir Mohammad Faqir (1900-1974)

Le principal architecte du mouvement panjabi conservateur est Faqir Mohammad Faqir. Il est né à Gujranwala dans une famille qui avait émigré du Kashmir au milieu du XIXème siècle. La profession ancestrale de sa famille est l’Ḥikmat, ou médecine traditionnelle arabe. Faqir Mohammad Faqir reçoit une éducation traditionnelle, fondée sur l’apprentissage du Coran et de l’arabe en plus de l’apprentissage de la science ancestrale de Ḥikmat. Il aurait aussi été initié au soufisme très jeune, et à la confrérie Qadiryya, et aurait prêté serment auprès de Khwaja Mohammad Karimullah, célèbre soufi et autorité religieuse de Gujranwala, et lui-même poète de l’ourdou, du panjabi et du persan582. Il avait d’ailleurs préfacé le Divān de Khwaja Mohammad Karīmullah – qui était mort en 1942583. Cette proximité avec le soufisme le marquera : il consacrera la majeure partie de ses essais critiques à des poètes soufis.

Faqir Mohammad Faqir interrompt ses études en 1915 et entame une formation de laborantin au Lahore Medical College. Il travaille quelque temps à Lahore puis retourne à Gujranwala où il pratique la médecine traditionnelle et ouvre sa propre clinique (c’est la raison pour laquelle le titre ‘docteur’ précède généralement son nom). Puis il déménage quelques années plus tard à Lahore et devient fournisseur du gouvernement (en objets en fer, armoires et coffres584) et s’enrichira jusqu’à posséder une voiture dans ces temps ou elles sont extrêmement rares, voiture donc il fera don à Mohammad Ali Jinnah en visite à Lahore. Il avait en effet accueilli avec enthousiasme la déclaration de Lahore en 1940,

581 Salik 1956a : 4.

582 Jafri. 1991 :44.

583 Entretien avec Junaid Akram à Lahore le 29 juillet 2018.

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et s’était engagé dans ces années là auprès de la Ligue musulmane585. Néanmoins, après la création du Pakistan ses affaires périclitent et en 1950 il sera un homme ruiné survivant de menus travaux alimentaires586.

Faqir Mohammad Faqir mène une carrière littéraire parallèlement à ses affaires. Il est devenu en 1914 l’élève du poète d’expression panjabie Ibrahim Adil et, à cette époque, écrit ses premiers poèmes (en panjabi), qu’il récite dans des symposiums poétiques à Gujranwala. Puis il commence à déclamer des poèmes pan-islamiques en panjabi dans les réunions du prestigieux Anjuman-e ḥimāyat-e islām « Association pour le soutien de l’islam » de Lahore587. Ces poèmes seront réunis dans un premier recueil poétique publié en 1924 sous le nom de Ṣadā-e Faqir « La voix du fakir ».

Au Anjuman-e ḥimāyat-e islām il rencontre Allama Iqbal, Zafar Ali Khan, Sir Shahabuddin, Hafiz Jalandhari 588. Il rend visite régulièrement à Allama Iqbal qui appréciait sa poésie589. Il aurait même tenté de convaincre Allama Iqbal d’écrire en panjabi590. Faqir Mohammad Faqir participe également aux symposiums poétiques populaires qui se tiennent dans les parcs de Lahore591, et y fait la connaissance des grands poètes populaires panjabi de son temps : Kushta, Lal Din Qaisar, Babu Firoz Din Shraf, Karam Amritsari. Son deuxième recueil, Nīle tāre « Les étoiles bleues » est publié en 1939. Mais la consécration vient avec la rédaction de Sangī « Le camarade » en 1939, un long recueil de poèmes moraux dont il présentera le manuscrit au maharaja de Patiala (celui-ci ordonnera qu’il soit publié et récompensera Faqir Mohammad Faqir d’une importante somme d’argent592). Faqir Mohammad Faqir a fait preuve dans sa pratique d'écriture d’une constance remarquable, sa poésie étant toujours en panjabi.

Traumatisé par la partition, il conserve une vision très négative de la communauté sikhe, au point que pendant le régime d’Ayub Khan, lorsque le gouvernement lui offrira de traduire une histoire des sikhs593, il refusera594, invoquant les menaces proférées par master Tara Singh à l’extérieur de l’assemblée du Panjab, qui le hantaient encore595.

5.1.2.2 Abdul Majid Salik (1895-1959).

585 Akram (éd.) 1992 : 114.

586 Entretien avec Junaid Akram à Lahore le 29 juillet 2018.

587 Le Anjuman-e ḥimāyat-e islām avait été établi à Lahore en 1884 par Qazi Hamid ud Din pour éduquer les jeunes musulmans, défendre l’Islam contre les attaques des missionaires et revivalistes hindous de l’Arya Samaj et du Brahmo Samaj, ainsi que pour contrer toute propagande contre l’Islam. Ses réunions avaient fournies une plateforme aux politiciens musulmans indiens ainsi qu’aux poètes porteurs d’un message aux musulmans du pays (Allama Iqbal, Zafar Ali Khan, Hafiz Jalandhari etc).

588Jafri 1991 : 126.

589 Faqir 2000a : 35.

590Mir, Arshad 2011 : 55-56.

591 Akram (éd.) 1992 : 52.

592 Akram 2000 : 10, Jafri 1991 : 131.

593Il pourrait s’agir de ‘A Short History of the Sikhs’ de Teja Singh and Ganda Singh, paru en 1950.

594 Mir, Arshad 2011 : 57.

595 Cet évènement – qui marquera profondément les consciences – est narré ainsi par Subhash Chander Arora : On 23 Mars 1947 a reunion of Panthic Assembly Party was held in the Assembly hall. Master Tara Singh after the brief reunion asked the non-muslim members to follow him outside the assembly hall. Mian Iftikharuddin and other muslim leaders were getting ready to hoist the Muslim League flag over the assembly building proving thereby their power of holding supremacy in Punjab. Master Tara singh drew the sword and boldly shouted that nobody could install the Muslim League flag as long as the Punjab was not divided. He tore the Muslim League flag into pieces. He declared that nobody could be permitted to instal the Muslim League flag by force (Arora 1990 : 22).

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Faqir Mohammad Faqir obtient très vite le soutien de Maulana Abdul Majid Salik qui devient le mentor du groupe conservateur panjabi formé en 1950.

Abdul Majid Salik est né à Batala (district Gurdaspur). Il se lance dans le journalisme très tôt, fondant en 1914 la revue Fānūs « Le candélabre » à Pathankot. En 1920, il devient membre du comité de rédaction de Zamīndār « Le propriétaire terrien », journal anti-colonial de Zafar Ali Khan publié à Lahore, et purge en 1921 une peine d’un an de prison pour avoir écrit un essai considéré par les autorités anglaises comme séditieux596. Il rencontre dans ces années là Ghulam Rasul Mehr, un autre journaliste de Zamīndār, avec lequel il entame une collaboration qui durera toute sa vie. Des différends les opposent à Zafar Ali Khan, et tous les deux démissionnent du comité de rédaction de Zamīndār en mars 1927 et créent en avril 1927 à Lahore un journal rival : Inqilāb « La révolution »597. Inqilāb soutient le Unionist party598, qui en échange le finance 599. Dès 1931, Inqilāb avait soutenu l’idée d’un état séparé pour les musulmans de l’Inde : la traduction en ourdou du discours d’Allahabad d’Allama Iqbal y avait été publié et commenté avec enthousiasme600. Et Abdul Majid Salik, était dans ces années là devenu avec son alter ego Ghulam Rasul Mehr un disciple et visiteur régulier d’Allama Iqbal.

Après la partition, le Unionist Party disparait et avec lui le journal Inqilāb qui n'est plus publié à partir de décembre 1949. Abdul Majid Salik se déplace alors à Karachi, ou il travaille pour le gouvernement (écrivant sous un faux nom des essais de propagande louant le gouvernement et rédigeant des discours pour Khwaja Nizamuddin, gouverneur général puis premier ministre du Pakistan601).

Abdul Majid Salik est une figure conciliatrice. Il est proche d’éléments ultra-nationalistes tels que Shorish Kashmiri et de défenseurs radicaux de l’ourdou tels Maulvi Abdul Haq, mais il est aussi lié à certains progressistes (on compte A.N.Qasmi parmi ses disciples602), et participe à certaines de leurs activités (il préside leur première conférence de 1947). Il apprécie leur projet social mais n’approuve pas leur position laïque, car il reste profondément religieux603.

L’engagement d’Abdul Majid Salik auprès du panjabi a débuté en 1930, avec la publication d’un essai intitulé Panjābī zubān dā ṣaḥīḥ m‘eyār « La bonne norme de la langue panjabie » dans la revue Panjābī darbār. Il exprime dans cet essai des idées sur le lien existant entre l’ourdou et le panjabi clairement influencées par celles de Shirani :

Mere xiyāl maujib urdu panjābī dī irtiqā‘i ḥaiṡyat dā nāṃ ai. Ḥaqīqat aṣal vic ikko ī ai. Jide vicoṃ kaī šāxāṃ niklyāṃ te ikk šāx bahut vadhī phalī te parvān ho’ī. Moḥaqīqāṃ dī rā’ī ai ai ki urdu panjābī vicoṃ ī nikli ai, ‘ain ose ṯaraḥ jiveṃ rail dā ajjkal vālā engine George Stefanson de rocket vicoṃ niklyā ai. Panjābī ikk daraxt ai te urdu odī ikk ṭehnī.

« D’après moi ‘ourdou’ est le nom que l’on a donné à une forme évoluée de panjabi. La réalité est qu’il n’y a eu au départ qu’une langue originelle. De là sont sorties quelques branches, et une branche s’est beaucoup épanouie, et a grandi. C'est comme le moteur

596 Kashmiri, Shorish. 1967 : 36.

597 Sur la rivalité entre Zamīndār et Inqilāb voir Jalal 2001 : 287-288.

598 Parti laïque fondé en 1923 par Sir Sikandar Hayat, Sir Fazli Hussain, Sir Shahabuddin et Sir Chotu Ram pour représenter les intérêts des grands propriétaires terriens du Panjab. Allama Iqbal y avait été affilié dans les années 20. Ce parti s’était auto-dissout en aout 1947.

599Farooqi 2013 : 94.

600 Farooqi 2013 : 93.

601 Kashmiri, Shorish 1967 : 37.

602Kashmiri, Shorish 1967 : 20.

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des locomotives d’aujourd’hui qui a évolué à partir de la Rocket de George Stefanson. Le panjabi est un arbre et l’ourdou une de ses branches »604.

Abdul Majid Salik cesse de soutenir le panjabi après cet article, par esprit de résistance aux sikhs, dont il est la langue sacrée. Il fait référence à cette période dans son essai Sānūṃ panjābī bolī te faxr ai « Nous sommes fier de notre langue panjabie » paru en Octobre 1951 dans Panjābī :

Pākistān banaṇ toṃ pehlāṃ hindūāṃ te sikhāṃ ne panjābī nūṃ urdu de muqāble vic khaṛā kītā hoyā si. Ais vāsṯe asīṃ panjābī dā nāṃ vī na’īṃ lende sāṃ. Te Urdu dī taraqqī vāsṯe din rāt ikk kar rihe sāṃ. Sikhāṃ ne ṭheṭh sikhāšāhī vic naẕm naṡr likhke te gūrmukhī lipī utte zor deke musulmānāṃ nūṃ panjābī toṃ hor vī āvāzār kītā hoyā sī. Par huṇ Pākistān qā’im ho gayā ai. Panjābī te urdu ikk dūsre dī dušman na’īṃ rahyāṃ. Sagoṃ ikk dūsre dī sajaṇ te ḥimāyatī ho gayāṃ ne.

« Avant que le Pakistan ne soit créé, les hindous et sikhs avaient joué la carte du panjabi contre l’ourdou. C’est la raison pour laquelle nous ne parlions même pas du panjabi. Et travaillions nuit et jour pour le développement de l’ourdou. Les sikhs avaient dégoûté encore d'avantage les musulmans du panjabi en écrivant de la poésie et de la prose panjabi dans leur style purement sikh et en mettant l’accent sur l’alphabet gurumukhi. Mais maintenant le Pakistan a été créé. Le panjabi et l’ourdou ne sont plus des adversaires. Mais sont devenus des amis et des partisans » 605.

Ainsi, après l’exode des communautés sikhes, Abdul Majid Salik s’est à nouveau engagé pour le panjabi, qui n’était plus le symbole de l’identité sikhe. Mais on peut considérer cet engagement comme un nouvel acte de résistance : comme les ourdouphones nouvellement immigrés à Lahore regardent le panjabi avec mépris, Abdul Majid Salik embrasse sa cause. Le panjabi est pour lui le symbole de l’indépendance et de l’autonomie culturelle du peuple panjabi606. Son fils, Abdul Salam Khurshid, rejoindra lui aussi le groupe panjabi conservateur

5.1.2.3 Mohammad Baqir (1910-1990).

Le troisième chef de file du groupe conservateur est le professeur Mohammad Baqir, qui, face à Faqir Mohammad Faqir et Abdul Salik Majid fait plutôt figure de nouvel arrivé, nouvellement acquis à la cause du panjabi. Celui-ci, comme on le verra sera amené à jouer un rôle de plus en plus important dans le mouvement.

Mohammad Baqir est né à Faisalabad (village Bangla) dans une famille originaire de Gujranwala. Fils d’ingénieur, il a d’abord étudié à la Mission School de Wazirabad, où enseignait le révérend Graham Bailey (qui allait devenir plus tard professeur de panjabi, ourdou et hindi à l’université de Londres) Il fera plus tard un MA persan à l'Oriental College (il sera l’élève de Hafiz Mehmud Shirani), et, après avoir enseigné à Dehradun (Doon School) part, en 1937, faire un PHD à Londres, sous la direction de Graham Bailey. Il rentre en Inde en 1939, et enseigne à l’université du Panjab. Pendant la guerre, il rejoint la British Royal Air Force, et en 1946, de retour en Inde passe les examens de la fonction publique. En poste à Delhi, il supervise l’éducation des musulmans à Delhi, Ajmer, Marwar, Madhya Pradesh, Bengale et également au NWFP et au Baloutchistan607. Au moment de la partition, il opte pour le Pakistan et devient professeur de persan à l'Oriental College, Lahore.

604 Zahid 2001 : 247.

605 Salik 1951b : 9.

606 Comme on peut le constater dans l’essai Urdu dā navāṃ daur (Salik 1951a).

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Mohammad Baqir s’engage en faveur du panjabi, dans un premier temps, comme spécialiste de l’éducation. L’exemple de l’école des missionnaires de Wazirabad, dans laquelle l’anglais et la Bible étaient enseignés directement en panjabi l’a beaucoup marqué et lui prouve que le panjabi peut être utilisé à l’école608. Il est depuis sa jeunesse convaincu que l’utilisation du panjabi comme moyen d’instruction est un remède à l’illettrisme609. Les essais qu’il écrira dans Panjābī exposeront cette position.

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