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La deuxième conférence des progressistes (1949)

Chapitre IV : Les activités des marxistes (1947-1959)

4.1 Les activités du pôle marxiste en faveur du panjabi entre 1947 et 1955 .1 Activités du groupe progressiste

4.1.1.2. La deuxième conférence des progressistes (1949)

Les objections de M.D.Taseer et les attaques de H.Askari n’ont pas dissuadé les progressistes d’exprimer leur soutien aux langues et cultures régionales, et ne les a pas empêché d'affirmer la nécessité d’en faire un véhicule pour leur propres idées ; la conférence qu’ils organisent à Lahore les 11, 12 et 13 novembre 1949 en est la manifestation.

Nous pouvons suivre le déroulement de chaque session et de chaque débat, grâce au compte-rendu détaillé qu’en a fait Abdullah Malik de la conférence dans son pamphlet Mustaqbil hamārā hai « L’avenir est à nous »360, et grâce également au numéro 7/8 de la revue Saverā (1950), qui reproduit un certain nombre de textes lus pendant la conférence (p.10-61).

Le manifeste (Manšūr) des progressistes pakistanais est lu et adopté au cours du deuxième jour de la conférence (12 novembre)361, il rappelle la nécessité de préserver les langues régionales et aussi de les utiliser comme véhicules d’idées progressistes. Quand à les choisir comme medium d’instruction, les progressistes n’y font pas même allusion, de peur sans doute de causer un scandale similaire à celui de la conférence de 1947. Les progressistes déclarent ainsi que :

Ab tak hamne muxtalif qaumīyatoṃ ke adab y‘anī sindhī, pašto, bangālī aur panjābī vaġaira se baṛī ġaflat bartī hai. Hamārā farẓ hai ki ham in zubānoṃ ke qadīm aur jadīd adab ko ġaur se paṛheṃ. Aur isse faiẓ ḥāṣil kareṃ. Ham a‘ilān karte haiṃ ki ham un zubānoṃ ke adīboṃ ko apnī teḥrīk meṃ bulā’eṃge aur un zubānoṃ ko bhī apne xiyālāt kā żarī‘a banā’eṃge. Is ṯaraḥ ham na ṣirf un zubānoṃ kī baqā aur taraqqī meṃ ḥiṣṣa leṃge balki ‘ām logoṃ ke

359Askari 1948 : 1132.

360Malik, Abdullah. 1950.

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jażbāt aur xiyālāt ko aur unkī zindagī ke masā’il ko zyāda behtar ṯarīqe par samajh sakeṃge aur apnī teḥrīroṃ meṃ peš kar sakeṃge

« Jusqu’à maintenant nous avons grandement négligé les littératures des peuples du Pakistan, soit celle du sindhi, du pachto, du bengali, du panjabi. Notre devoir est de lire avec attention la littérature ancienne et moderne de ces langues. Et d’en tirer profit. Nous déclarons que nous inviterons des écrivains de ces langues dans notre mouvement, et adopterons ces langues comme moyen d’expression. Ainsi, non seulement nous contribuerons à la préservation et au progrès de ces langues, mais nous pourrons mieux comprendre les sentiments et idées des gens ordinaires et les problèmes auxquels ils font face dans leurs existence, et pourrons mieux les dépeindre dans nos écrits »362.

La conférence applique à la lettre ce programme. Comme cette conférence se déroule à Lahore, en terre panjabie, des poètes panjabis sont invités par les progressistes à présenter leurs textes sur la scène du théâtre en plein air de Lawrence Garden où se déroule la conférence. Le 11 novembre le poète paysan Allah Rākhā Sājid lira sur la scène un poème :

Āzādī vāṃḍ la’ī amīrāṃ Ḥiṣṣa pāke nāl vazīrāṃ Gall tere hor zanjīrāṃ Uṭh eke dā n‘ara lāke

« Les riches se sont partagés l’indépendance Ils en ont réservé une part aux ministres Et plus de chaînes sont venues t’enchaîner

Lève toi et et crie ‘égalité »’363.

Puis le 12 novembre ce sera au tour d’un poète progressiste, Ahmad Rahi, de réciter un poème en panjabi. S’adressant aux paysans et travailleurs présents dans l’audience il les assure que :

Mil mazdūro ate kisāno dukhlaḍe mere vīro (…) Maiṃ vī ikk mazdūr hāṃ, sāthi maiṃ rāje ghar jamyā na’īṃ

Kāl te bhukh dā jhagṛā mere la’ī vī hone thamyā na’īṃ Sāḍḍyāṃ naẕmāṃ sāḍḍyāṃ faṣlāṃ sāḍḍī meḥnat kakhoṃ sastī

Sāḍḍe xūn de bāl ke dīve meḥlāṃ vic hove xarmastī « Travailleurs et paysans, mes frères malheureux (…) Je suis moi aussi un travailleur je ne suis pas né dans un palais Nos poèmes et nos moissons sont moins chers qu’une poignée de poussière Dans les palais on s’amuse en allumant des bougies moulées dans notre sang »364. Ce poème – le premier poème panjabi écrit pas Ahmad Rahi- sera acclamé par l’assistance365.

Le panjabi devient véhicule d’idéologie révolutionnaire et marxiste, et par ce biais un dialogue se crée entre le poète paysan et le poète progressiste citadin, puis entre le poète progressiste et les prolétaires du public.

Mais les progressistes ne se contentent pas de réciter et faire réciter sur la scène des poèmes en panjabi. Ils vont aussi, au cours de cette conférence, se pencher sur le statut

362Malik, Abdullah. 1950 : 82-83

363Malik, Abdullah. 1950 : 65.

364Saverā 7/8 (1950) : 47-48. 365Malik, Abdullah. 1950 : 84.

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de cette langue, se demander quels sont les obstacles à son développement, et quel sera son avenir.

L’écrivain Sharif Kunjahi va répondre à quelques unes de ces questions pendant la séance du 13 novembre 1949, au cours de laquelle il lit un essai en panjabi366. Cet essai est Ūṃṭ te baddū « Le chameau et le bédouin », texte important, premier manifeste en faveur du panjabi après la création du Pakistan367.

Dans son essai, Sharif Kunjahi commente certaines positions récentes des défenseurs de l’ourdou, répond aux arguments fréquemment utilisés par les adversaires du panjabi et analyse les raisons historiques qui ont conduit les musulmans panjabis à avoir une perception négative de leur langue. Et certaines des stratégies de défense utilisées dans cet essai (dissocier le panjabi des sikhs, ou faire appel au principe d’antériorité) apparaîtront fréquemment dans le discours des activistes panjabis.

Il nous semble nécessaire de présenter ici de larges extraits de ce texte fondateur368 : Ikk sī baddū te ikk sī ūṃṭ, te syālāṃ dī ṭhanḍī ṭhār rāt. Baddū apṇe tambū vic vaṛke suttā hoyā sī. Jadoṃ rāt dūnghī ho’ī ūṃṭ ne apṇī būthī andar vāṛke akhyā : ‘Māiṃnūṃ pālā pyā lagdā ai żara dhoṇ andarvār kar leṇ de’. Baddū nūṃ os te taras ā gayā, te ūṃṭ horāṃ jhaṭ apṇī daiṛh do gaz lammī dhoṇ tambū vic vāṛ dittī. Jhaṭ pichoṃ baddū de pairāṃ nūṃ ūṃṭ ne fīr ṭohyā. One puchyā : ‘Oe huṇ kī āhṇā ai ?’. Ūṃṭ akhyā : ‘Jai ākhīṃ tāṃ thoṛā jihā khisak ke hor aggāṃ ho jāṃ ? Guṭṭ baṛī pa’ī ṭhardī ai’. Baddū maṇ gayā te āxir ḥisāb ai hoyā je ūṃṭ horī andar te baddū horī bāhar.

Bilkul eho jehī kahāṇī ajj Panjāb vic duhrā’ī jā rahī ai. Te o din dūr na’īṃ jadoṃ ūṃṭ horī andar hoṇge te baddū horī bāhar til pa’e cabaṇge. ‘Ajīb gall ai ve je Sarḥad vic pašto te a‘itrāẓ na’īṃ, Bangāl vic bangālī te a‘itrāẓ na’īṃ, Sindh vic sindhī te a‘itrāẓ na’īṃ. Othe dyāṃ madarsyāṃ vic jai bāl kuṛyāṃ onāṃ zubānāṃ vic paṛhaṇ likhaṇ tāṃ te urdu dā bannā na’īṃ māryā jāndā. Par jai koī kahe ‘Panjāb de schoolāṃ vic vī panjābī nūṃ dasaṇ deyo !’ tāṃ inj rolā pai jāndā ai. (…) Jai Pākistān dī aṣal zubān urdu ai (ġalṯī nāl b‘aẓ thāṃvāṃ de lok hor hor bolyāṃ bolaṇ lag pa’e te sānūṃ o ġalṯī na’īṃ karṇī cāhīdī) sānūṃ urdu ī likhṇī bolṇī cāhīdī ai.

« Il était une fois un bédouin et son chameau dans une froide nuit d’hiver. Le bédouin dormait dans sa tente et lorsque la nuit était bien avancée le chameau a passé sa tête dans la tente et a dit : ‘Il fait froid, puis-je rentrer mon cou dans ta tente ? Le bédouin a eu pitié de lui et le chameau a introduit son long cou dans la tente. Un peu plus tard le chameau a remué les pieds du bédouin et lui a dit ‘pourrais tu te pousser un peu, j’ai froid aux pattes. Le bédouin accepta,et finalement, le chameau resta dans la tente et le bédouin se retrouva dehors .

La même histoire se répète au Panjab en ce moment : bientôt monsieur le chameau sera à l’intérieur (de la tente) et monsieur le bédouin rongera son frein dehors. Il est étrange que l’on ne s'oppose pas à l'utilisation du pachto au NWFP, ni à celle du bengali au Bengale, ni à celle du sindhi au Sindh ; si les enfants des écoles de ces régions étudient, apprennent à lire et écrire dans leurs propres langues, cela ne porte pas tort à l’ourdou, mais si l’on dit que l’on doit enseigner le panjabi dans les écoles du Panjab alors cela déclenche un tollé général ! Si la véritable langue du Pakistan est l’ourdou (les habitants

366Malik, Abdullah. 1950 : 92.

367Il nous a fallu identifier ce texte car l’on sait seulement, d’après le rapport d’Abdullah Malik que Sharif Kunjahi a lu un essai ‘’en panjabi en faveur de la langue panjabie’’. Néanmoins, des recoupements ainsi que le témoignage d’Abdul Rauf Malik nous ont permis d’établir que l’essai en question est Ūnt te baddu, dont une version a été publiée dans la page panjabie d’Imroz le 13 mars 1955, et repris avec quelques modifications dans le volume d’essai Jhātyāṃ « Aperçus » publié en 1960 (Kunjahi 1960 : 19-22).

368La version de que nous citons ici est la version qui avait été publiée dans la page panjabie d’Imroz le 13 mars 1955.

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d’autres régions ont par erreur commencé à parler d’autre langues, et c’est une erreur que nous ne devons pas répéter !) alors nous devons lire et écrire seulement l’ourdou ».

La parabole du bédouin et du chameau ,qui occupe le premier paragraphe est une réponse humoristique à des militants tels que Maulvi Abdul Haq et Maulana Salahuddin Ahmad qui demandent que le Panjab devienne une terre d’accueil pour l’ourdou. Sharif Kunjahi prédit que l’ourdou (le chameau) abusera de l’hospitalité du panjabi (le bédouin), et le panjabi se retrouvera ostracisé et dépossédé de son propre territoire (sa tente). Le paragraphe suivant, est une réponse aux déclarations récentes de M.D.Taseer qui refusait que le panjabi soit utilisé comme medium d’instruction au Panjab. Il va exprimer encore une fois sa perplexité par rapport à l'idée que le Panjab est un sanctuaire de l’ourdou, et répondre à deux arguments des adversaires du panjabi : le panjabi n’est pas une langue originale (son lexique – ses « ailes » – vient d’autres langues), et le panjabi est la langue des sikhs

Āsīṃ urdu de xilāf na’īṃ, par ais gall dī samajh na’īṃ āndī je bāqī thāṃvāṃ te ‘ilāqyāṃ nūṃ chaḍke urdu dā ḥaq nirā panjāb koloṃ kyoṃ maṇvāyā jāndā ai ? O Pākistān dī sarkārī zubān ai, te sāre Pākistān la’ī ikko jehī rehṇī cāhīdī ai. Dasaṇ vāle ai bhī dasde ne je panjābī zubān koī zubānāṃ vicoṃ zubān ai ī na’īṃ. (…) Ais de sāre khamb mangvīṃ ne. Ikk o bhī ne jiṛe ais nūṃ sikhāṃ dī zubān samajhde ne. Te aināṃ thūthyāṃ gallāṃ nāl ṡābit karṇā cāhnde ne je panjābī nāl jo kujh ho rihā ai o aise vāhe jogī ai. Zubānāṃ de bāṛe gaveṛ lāṇ vāle te onāṃ dā muṯāl‘a karaṇ vāle jānde ne je jis ṯarāṃ koī insān te koī mulk yā qaum ais dunyā vic vakhrī bālki sek na’īṃ sakdī, aise ṯarāṃ koī zubān ai d‘ava na’īṃ kar sakdī je osdī khamb mangvīṃ na’īṃ te na ai koī faxr vālī gall ai. Daraxt ovā ī havā koloṃ te zavīṃ koloṃ kujh na’īṃ le sakdā jisnūṃ vadhaṇ dī te phalaṇ phulaṇ dī ās na rahī hove. Aise ṯarāṃ zubānāṃ dā t‘alluq mażhabāṃ nāl na’īṃ hondā, thānvāṃ te ‘ilāqyāṃ nāl hondā ai. Mażhab te osnūṃ lokāṃ tā’īṃ apṛaṇ dā vasīla banānde ne. Zubān kise ‘ilāqe vic itnī ī āp muhārī paidā hondī ai jitnī koī hor šai (…) Panjābī ais ‘ilāqe dī zubān onāṃ vaqtāṃ toṃ ai jadoṃ urdu ajjai jamī vī na’īṃ sī. Sikhāṃ dā kade nāṃ nišān vī na’īṃ sī. Gurū Nānak de janam toṃ pehlāṃ vī lok panjābī bolde san.

« Nous n’avons rien contre l’ourdou, mais nous avons de la peine à comprendre pourquoi, dans toutes les provinces et régions du Pakistan, c’est seulement le panjabi qui doit payer un tribut à l’ourdou. C est la langue officielle du Pakistan et son statut devrait être le même dans tout le pays. Certaines personnes disent que le panjabi ne peut pas être considérée comme une langue au même titre que les autres (…) Ses ailes sont empruntées. Certains même considèrent que c’est la langue des sikhs. Ils utilisent ces arguments creux pour prouver que le panjabi mérite le sort qui lui est réservé à notre époque. Les connaisseurs des langues et ceux qui les ont étudiées savent qu’aucun individu, pays ou peuple ne peut s’épanouir sans l’aide des autres ; de la même façon aucune langue ne peut s’enorgueillir de n’avoir pas emprunté ses ailes à d’autres. Seul l’arbre qui n’est pas destiné à pousser et à s’épanouir ne prend rien au sol et à l’air. De cette façon, les langues ne sont pas liées à des religions mais à des lieux et des régions. Les religions utilisent une langue avant tout pour transmettre leur message au gens, une langue naît dans une région aussi naturellement que n’importe quelle autre chose (…) Le panjabi est parlé ici depuis une époque ou l’ourdou n’existait pas encore. Et à cette époque les sikhs n’existaient pas non plus. Les gens parlaient panjabi avant la naissance de guru Nanak. »

Cette dernière affirmation d’antériorité renvoie dos à dos ceux qui considèrent le panjabi comme un dialecte de l’ourdou et ceux qui le considèrent comme la langue des sikhs.

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Dans le paragraphe suivant Sharif Kunjahi examine l’origine des préjugés qu’ont les musulmans panjabis à l’encontre de leur langue : ces préjugés sont nés de la politique des colonisateurs anglais, qui n'ont pas cessé d’appliquer la tactique du ‘diviser pour mieux règner’.

Maiṃnūṃ kaī vārī xiyāl āndā ai je jis ṯarāṃ angrez ne ithe āke ithe dyāṃ qaumāṃ vic phūṭ dā dāna suṭṭ dittā sī ose ṯarāṃ osne zubānāṃ de bāre vī lokāṃ nūṃ ikk dūje de xilāf kītā sī (…) Onāṃ angrezāṃ ī musulmānāṃ de xilāf sikhāṃ nūṃ te sikhāṃ de xilāf musulmānāṃ nūṃ bhaṛkāyā. Te os dā aṡar ai we je ajj panjābī musulmān panjābī zubān nūṃ apṇī zubān na’īṃ giṇde

« Il me semble parfois que comme les anglais cherchaient à semer la discorde entre les peuples, ils ont utilisé les langues pour dresser les gens les uns contre les autres (…) Ils ont dressé les sikhs contre les musulmans et les musulmans contre les sikhs ; résultat : les musulmans panjabis ne considèrent pas le panjabi comme leur langue. »

Enfin, pour conclure Sharif Kunjahi s’attaquera à un troisième argument des adversaires du panjabi : celui de la faiblesse du corpus littéraire de la langue. Il l'admettra en faisant une concession aux adversaires . Mais partant de cette constatation, il appellera à « nourrir » la langue.

Ai kahyā jā sakdā ai je panjābī vic bahutā kujh na’īṃ likhyā gayā. Par ais dā sabab te ai ve je osnūṃ mauq‘a na’īṃ dittā gayā (gūrmukhī vic sikhāṃ batherā kujh likhyā ai). Kise zubān vic ghaṭṭ likhyā hoṇ toṃ ai faiṣla kar leṇā je os dā phakkā ī mār dittā jā’e aināṃ ī ‘ajīb ai jināṃ ai ṣalāḥ karṇā je bhukhe marde nūṃ rotī deṇ dī thāṃ odā sangh ghuṭṭ dittā jā’e. Eho ḥāl bhukhyāṃ zubānāṃ dā ai. Onāṃ de ḍiḍh roṭī mangde ne. Tusīṃ gall vāhte phāyāṃ pa’e vaṭde o.

« On ne peut pas dire qu’il a beaucoup été écrit en panjabi. Mais la raison est que le panjabi n’n a pas eu l’opportunité (les sikhs en revanche ont beaucoup écrit en gurumukhi) ; et décider qu’une langue doit disparaître parce qu’on a peu écrit dans cette langue est aussi aberrant que de tordre le coup à un homme affamé au lieu de lui donner à manger. C’est ce qui se passe avec les langues affamées. Leurs ventres demandent à manger. Et tu prépares la corde que tu glisseras à leur cou. »

Dans cet essai, tout entier consacré à répondre aux défenseurs de l’ourdou et adversaires du panjabi, Sharif Kunjahi ne formule aucune demande concrète et ne propose aucun programme linguistique, mais trois messages clés apparaissent :

1-Le progrès de l’ourdou ne doit pas se faire au détriment du panjabi.

2-Aucune raison ne justifie la non utilisation du panjabi comme moyen d’instruction à l’école.

3- Les générations présentes ont le devoir de nourrir et d’enrichir le panjabi.

Il ne semble pas que cet essai ait fait l’unanimité chez les progressistes. Il n’a pas été publié dans le numéro 7-8 (1950) de Saverā aux côtés des essais des autres auteurs lus et « approuvés » pendant la conférence ; Abdullah Malik s’est contenté de le mentionner en quelques lignes - et avec certaines réserves - dans son compte-rendu. Sharif Kunjahi, dans sa condamnation de l’ourdouisation systématique du Panjab était clairement allé trop loin369. Abdullah Malik écrit ainsi :

369L’idée d’un rejet de l’ourdou déplaisait fortement à certains marxistes. Sajjad Zahir, dans son livre Rūšnā’ī « L’encre » paru en 1956, mettra en garde les défenseurs du panjabi contre ce rejet : Ismeṃ koī šak nahīṃ hai ki jab Panjāb meṃ fil-ḥaqīqat ‘avām kā iqtidār hogā to panjābī kā aur bhī furūġ hogā. Lekin Panjāb mein urdu ki taxlīq bhī bahut gehrī hai. Aur ye bhī ġalaṯ hai ki urdu Panjāb ke liye ek ġair yā bīrūnī zubān hai. Urdu aur panjābī kī bunyādī neḥvī

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Šarif kunjahī ne panjābī zubān kī ḥimāyat meṃ panjābī meṃ hī ek maẓmūn paṛhā. Bahut dinoṃ ke b‘ad panjābī meṃ koī acchā maẓmūn sunā thā (…) Ẕāhir hai aisī ḥālat meṃ jab ḥukmarān zabardastī urdu ko ṭhoṃs rahe haiṃ aur muxtalif qaumoṃ kī zubānoṃ ko kuclā jā rahā hai to ẕāhir hai muxtalif qaumīyatoṃ meṃ bhī urdu ke xilāf ek gūna nafrat ubharnā lāzim hai aur badqismatī se Šarif Kunjāhī ke maẓmūn se bhī kisī ḥad tak ye nafrat jhalak rahī thī. Lekin taraqqī-pasand dānišvaroṃ ko zubānoṃ ke masle meṃ bhī jamhūrī ṯarīq ixtyār karnā cāhiye aur tamām zubānoṃ ko pūrī ṯaraḥ phalne phūlne kā mauq‘a denā cāhiye. Ham kisī zubān ko sarkārī zubān kā laqab dekar dūsrī zubānoṃ par ḥamla karne kī rāheṃ kholne kī ijāzat na’īṃ de sakte. Ham tamām zubānoṃ ko barābarī kā darja dete haiṃ. Albatta ham taslīm karte haiṃ kī b‘aẓ zubāneṃ zyāda taraqqī-yāfta haiṃ, b‘aẓ kam haiṃ iskā ye maṯlab bilkul na’īṃ ki kam taraqqī-yāfta zubānoṃ ko ṣirf isliye kucal ḍālā jā’e ki vo pehle hī kuclī huī haiṃ. « Sharif Kunjahi a lu un essai en panjabi écrit en soutien à cette langue. Cela faisait longtemps que nous n’avions pas entendu de bon essai en panjabi (…) Il est clair que lorsque les dirigeants imposent de force l’ourdou et que les langues de différents peuples sont écrasées de la sorte l’on voit apparaître chez certains peuples une sorte de haine pour l’ourdou, et malheureusement cette haine est apparente dans l’essai de Sharif Kunjahi. Les intellectuels progressistes devraient adopter une approche démocratique en matière de langue, et donner à toutes les langues l’opportunité de s’épanouir. Nous ne pouvons pas, en désignant une langue comme langue officielle, ouvrir la voie à une série d’attaques contre les autres langues. Pour nous toutes les langues sont égales. Nous reconnaissons que certaines langues sont plus évoluées que d’autres, mais cela n’est pas une raison pour continuer à écraser les langues qui sont elles mêmes déjà écrasées »370.

Cette dernière phrase - qui paraphrase les dernières phrases de l’essai lu par Sharif Kunjahi - montre bien que pour l’auteur de ces lignes le panjabi figure parmi les langues non-évoluées.

4.1.1.3. Les activités littéraires du groupe progressiste (Les réunions des

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