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La chronique en panjabi Gall bāt

Chapitre IV : Les activités des marxistes (1947-1959)

4.1 Les activités du pôle marxiste en faveur du panjabi entre 1947 et 1955 .1 Activités du groupe progressiste

4.1.3 Mian Iftikharuddin et Imroz .1 Mian Iftikharuddin

4.1.3.4 La chronique en panjabi Gall bāt

Mais la présence du panjabi dans Imroz ne s’est pas limitée à des poèmes. Entre 1951 et 1953 Imroz a publié une chronique hebdomadaire en panjabi intitulée Gall bāt « Discussion », donnant ainsi le coup d’envoi au journalisme en panjabi au Pakistan. L’idée de Mian Iftikharuddin, qui avait des ambitions toujours plus grandes pour le panjabi – était de lancer un journal en panjabi, mais Rauf Malik lui avait conseillé de consacrer plutôt une page au panjabi (en raison sans doute de la difficulté de trouver des écrivains maniant la prose panjabie). Il raconte ainsi la création de la chronique gall bāt :

Ek din sab log aise baiṭhe hue the, gappeṃ lagā rahe the, Qāsmi ṣāḥab bhī baiṭhe hue the. Myāṃ iftixāruddin ne kahā : ‘Yār, panjābī dā axbār kaḍhiye !’. Maiṃ kahyā : ‘Myāṃ ṣāḥab panjābī dā axbār dair nāl niklegā, tusīṃ imroz vic ikk ṣafḥa panjābī dā šurū‘ kar deo’ – ‘Hāṃ yār gall baṛī cangī kītī tūṃ’. Kehne lagā ‘Qāsmi ṣāḥab panjābī dā ṣafḥa šurū‘ karo !’. O

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panjābī dā ṣafḥa šurū‘ kartā, onāṃne Ẕahīr Bābar nūṃ kahyā jiṛā ki onāṃ dā bhāṃjā vī sī cunāṃce panjābī dā ṣafḥa pehlī daf‘a šurū‘ hoyā

« Un jour nous étions tous assis au bureau d’Imroz et discutions le coup, Ahmad Nadim Qasmi était assis avec nous, et Mian Iftikharuddin a déclaré : ‘Il faudrait publier un journal en panjabi’, j’ai dit alors : ‘Myan ṣāḥab, publier un journal en panjabi prendra du temps, publions d’abord une page en panjabi dans Imroz. Il a répondu : ‘Ah tu as bien parlé !’ et s’adressant à Ahmad Nadim Qasmi lui a dit ‘Qasmi ṣāḥab, commencez à publier cette page. Ahmad Nadim Qasmi a commencé à publier cette page, il s’était adressé pour cela à Zahir Babar son neveu…C’est comme ça que la page panjabi a commencé »417.

En fin de compte, ce ne sera pas une page qui sera publiée mais une chronique étalée sur deux colonnes (soit une moitié de page). Et Zahir Babar, écrivain progressiste (il sera d’ailleurs arrêté en 1951 pour une courte période pendant les purges anti-marxistes) la prend en charge418. Cette chronique paraît avec plus ou moins de régularité chaque vendredi jusqu’au 3 Juillet 1953. Rédigée d’abord par Zahir Babar, elle est ultérieurement déléguée à différents collaborateurs comme Abdullah Malik, Faqir Mohammad Faqir et Ahmad Rahi. Elle disparaîtra en juillet 1953. Imroz était le seul journal pakistanais de son temps à éditer une chronique en panjabi.

Le 18 aout 1951 est publiée pour la première fois la chronique Gall bāt. Cette première chronique est signée par un certain Šerā (abréviation populaire de Sher Dil), pseudonyme derrière lequel se cache un auteur dont l’identité n’a pu être révélée jusqu’à ce jour. La chronique commence de façon anodine par la description d’un dimanche :

Itvār dā din sī. Āsmān te cāroṃ pāse badlyāṃ murġābyāṃ vāṃgoṃ tairdyāṃ payāṃ san te din de bārah vaje inj lagdā pyā si ki bas rāt paike pa’ī te meṃh vasyā ki vasyā. Eho jihe vele mauj melā karaṇ de utte kisdā jī na’īṃ cāhvegā ? Aise la’ī te maiṃ vī uṭhke ikk dost de ghar vall ṭur pyā

« C’était un dimanche. Les nuages nageaient de chaque côté dans le ciel comme des canards et alors qu’il n’était que midi on avait le sentiment qu’il allait bientôt faire nuit et que la pluie était imminente. Dans ces moments là qui ne voudrait pas s’amuser ? Je me suis donc levé et je suis allé voir un ami. »

Suit alors la discussion entre le narrateur et son ami, qui porte sur l’actualité et les tensions récentes entre l’Inde et le Pakistan. La narrateur déclare :

Ai Nehrū jī vī vaḍḍe bhole bādšāh haṇ. Yā fīr o sāri dunyā nūṃ bholā samajhde ne. Ikk pāse tāṃ o aman aman dyāṃ duhā’ī dende ne. Te dūje pāse Pākistān dī sarḥadāṃ utte apṇī sārī fauj jam‘a kar la’ī ai. Onāṃ toṃ koī puche : ‘Bholyo, jai tusīṃ apṇe nūṃ aman dā nišān kehnde o tāṃ fīr bhalā ai. Faujāṃ dī kī loṛ sī ? Siddhī gall tāṃ ai ve ki aman de cakkar vikhāṇ nāl yā aman dī gall karaṇ nāl kujh na’īṃ bandā. Apnyāṃ faujāṃ sarḥadāṃ toṃ haṭā lo tad tuhānūṃ aman dā nāṃ leṇā bhī sajdā ai’

417Entretien avec Rauf Malik, Lahore 16 mars 2018.

418 Zahir Babar (1928-1998), originaire d’Angah, district Khushab, était bien le neveu d’Ahmad Nadim Qasmi. Ce dernier s’était chargé de son éducation et de sa carrière. Il l’avait fait venir à Lahore, l’avait aidé à finir ses études (Zahir Babar avait passé un MA), et l’avait fait engager à Imroz. Zahir Babar gravit rapidement les échelons, devenant assistant rédacteur, puis rédacteur, et enfin rédacteur en chef. Il s’était fait connaître pour ses éditoriaux sans concession. Il publie quelques essais de critique littéraire et écrit quelques nouvelles, mais il reste avant tout un journaliste. Il est à noter que sa carrière avait commencé avec la rédaction de la chronique en panjabi Gall bāt, et qu’il reste si engagé pour le panjabi que même après la saisie d’Imroz par le gouvernement en 1959 il a fait en sorte que Gall bāt (qui avait fini par s’étendre sur une page entière) ne disparaisse pas. (Qasmi 2007 : 38-47 et Akhtar, Hamid. 1999 : 66-68).

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« Ce Nehru, c’est vraiment un grand roi naïf. Ou bien il pense que le monde entier est naïf. D’un côté il parle de paix, et de l’autre il place toute son armée aux frontières du Pakistan. Que quelqu’un lui demande donc : ëh, bêta, si tu te dis vraiment un symbole de paix, alors quel besoin avais- tu de placer tes armées ici ? En vérité, cela ne sert à rien de montrer que l’on est pour la paix ou de seulement en parler. Si tu retires tes armées de la frontière alors on pourra considérer que tu parles de paix… »

L’emploi de ce style oralisé, qui contraste avec le style élevé et formel caractéristique des autres articles d’Imroz, produit un effet comparable au poème social de Rahat Gujrati présenté plus haut : c’est le peuple qui s’exprime ici, avec sa faconde et son bon sens.

Les chroniques qui suivront seront signées par Zahir Babar, et adopteront un ton plus formel. Zahir Babar commente l’actualité dans sa chronique, et ses commentaires reflètent parfaitement l’orientation politique anti-impérialiste du journal. Il écrit ainsi le 25 aout 1951 :

Ais hafte de bāre vic agar mausam vāle daftar dī iṣṯilāḥ vic gall kariye tāṃ mausam vaḍḍā xarāb rahyā. Hindūstān te Pākistān de utte pehle varge badal cha’e ho’e ne. Asiā de dūje mulkāṃ dā bhī ai ḥāl ai. Korea vic badal chuttaṇ dī ummīd xatm hondī naẕar āundī ai. Irān dā masla ose ṯaraḥ aṭkyā hoyā ai. Vietnam vic jang jārī ai. Miṣr de bāre vic anglo amrīkī samrājyāṃ dā gāṭhjoṛ kāmyāb hondā naẕar āndā ai. Dūje ‘arab mulkāṃ de lokī bhī aināṃ sāmrājyāṃ dī sāzišāṃ dā šikār haṇ.

« Cette semaine, si l’on parle comme le bureau de météorologie nationale, on dira alors que le temps n’a pas été clément du tout. Des nuages ont continué de recouvrir l’Inde et le Pakistan. Et ça a été la même chose dans les autres pays d’Asie. Il n’y a plus d’espoir que les nuages quittent la Corée. Le problème d’Iran n’est toujours pas résolu. La guerre continue au Vietnam. La coalition anglo américaine impérialiste semble gagner en Egypte. Les autres pays arabes sont victimes de complots ourdis par ces impérialistes. »

Puis, le 1er septembre 1951, en accord avec la ligne idéologique du journal, il s’en prend à la Ligue musulmane :

Ai muslim league vī hikk oprī jamā‘at ai. Pākistān de vujūd vic āvaṇ toṃ pehle tāṃ ai ikk saccī te succī syāsī jamā‘at sī. Lekin jad toṃ Pākistān banyā ai ai jamā‘at vazāratāṃ te ṣadāratāṃ de cakkar vic pai ga’ī ai…Muslim league dī ai ḥālat vekhke b‘aẓ purāṇe te muxliṣ leagui ais jamā‘at nūṃ chaḍ ga’e. Jiṛe piche reh ga’e onāṃ dī huṇ burī ḥālat ai.

« La Ligue musulmane est vraiment un drôle de parti. Avant la création du Pakistan c’était un parti politique dans le vrai sens du terme. Mais depuis que le pays a été créé il ne se soucie que de placer ses membres dans les ministères et à la présidence…En voyant ce qu’était devenu la Ligue musulmane, un certain nombre de vieux membres sincères de ce parti l’ont abandonné419. Et ceux qui sont restés ne sont pas en bonne posture. »

Zahir Babar donne aussi dans ses chroniques la parole aux lecteurs. Il reproduit en intégralité des lettres de lecteurs qui protestent contre l’introduction d’une chronique en panjabi dans un journal prastigieux comme Imroz, ou saluent cette initiative. Et le débat se déplace petit à petit vers un débat ourdou/panjabi qui prend de l’ampleur au fil des lettres, fidèlement reproduites dans chaque chronique. Parmi les défenseurs de l’ourdou figure Asghar Ali, résident de Gujrat, qui déclare, dans une lettre citée par Zahir Babar dans sa chronique du 8 septembre 1951 :

Panjābī vic aiṇṇī jān na’īṃ ai ki asīṃ ais la’ī pūrā column vaqf kariye. Sāḍḍā farẓ ai ki asīṃ panjābī dī thāṃ te urdu nūṃ taraqqī diye. Ai košiš kariye kī sāḍḍe bacce panjābī nūṃ bhulaṇ te urdu nūṃ apṇī zubān samjhaṇ.

419L’auteur fait sans doute là référence à Mian Iftikharuddin, ‘membre sincère’ de la ligue musulmane, qui venait de la quitter.

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« Le panjabi n’a en lui rien qui justifie qu’on lui consacre toute une chronique. Notre devoir est de développer l’ourdou à sa place. Et de faire en sorte que nos enfants oublient le panjabi et considèrent l’ourdou comme leur propre langue. »

Amanullah, résident de Rawalpindi, écrit une lettre de soutien à Asghar Ali, publiée dans la chronique du 22 Septembre 1951 :

Asġar ‘Alī ṣāḥab kā ye xiyāl ki hamārī qaum ke bacce ek urdu jaisī šā’ista zubān ko apnā leṃ bahut hī mutabarak aur qābil-e teḥsīn hai (…) Is zubān kā koī muqarrara rasm-ul xaṯ nahīṃ hai. Musulmān isko fārsī rasm-ul xaṯ meṃ, hindū devnāgrī meṃ aur sikh gūrmukhī rasm-ul xaṯ meṃ likhte haiṃ, na hī is zubān kī koī jām‘e grammar hai, balki sire se mafqūd hai. Jahāṃ tak Vāriṡ Šāh kī Hīr kā t‘alluq hai ye meḥẓ ek ‘āšiq-o m‘ašūq kā qiṣṣa hai, jo kī bigṛe hue purāne daqyānūsī sanskrit ke alfāẕ meṃ likhā hu’ā hai.

« La suggestion de monsieur Asghar Ali , les enfants de notre peuple devraient adopter une langue sophistiquée comme l’ourdou, est tout à fait louable (…). L’alphabet de cette langue (le panjabi) n’a pas encore été fixé. Les musulmans l’écrivent en alphabet persan, les hindous en devanagari, et les sikhs en gurumukhi. Et cette langue n’a aucune grammaire significative, elle en est totalement dépourvue. Et en ce qui concerne une œuvre comme Hīr de Varis Shah c’est une simple histoire d’amour, écrite dans une langue corrompue avec des mots vieillots dérivés du sanskrit. »

Ces lettres montrent à quel point le discours de défenseurs de l’ourdou comme Maulana Salahuddin Ahmad s’était propagé dans les classes éduquées. L’idée formulée par Asghar Ali que les enfants devraient seulement connaître l’ourdou, et que l’ourdou devrait remplacer le panjabi semble directement provenir des écrits de Maulana Salahuddin Ahmad.

Zahir Babar, en réponse à ces critiques, reproduit dans sa chronique des lettres de lecteurs favorables au panjabi. Et certaines lettres sont de mini-essais ou mini-manifestes, comme cette lettre de Mohammad Tufail, résident de Lahore, reproduite dans la chronique du 8 septembre 1951 :

Kise zubān dī sabb toṃ vaḍḍī xidmat os zubān dī pālnā hondī ai. Ate ai pālnā ai ho sakdī ai ki ais zubān de vaḍḍe vaḍḍe šā‘irāṃ ate likhāryāṃ nūṃ manẕar-e ‘ām te lyānde jāve. Onāṃ de kamm utte soc vicār kīti jāve. Ais toṃ sānūṃ ai pata lagegā kī ai lok ais kamm vic kitthoṃ tīk pahūṃce hoṇe ate onāṃ dā maqṣad kī sī. ‘ām ṯaur te jitthoṃ tīk naẕar dauṛā’ī ga’ī ai panjābī de literature toṃ ai pata caldā ai ki sāre de sāre vaḍḍe vaḍḍe panjābī šā‘irāṃ te likhāryāṃ ne apṇe vele dī society nūṃ sudhāraṇ te adab de kamm toṃ toṛ pahūṃchāṇ dā kamm šurū‘ kītā hoyā sī. Miṡāl de ṯaur te sa’īṃ Madho Lāl Ḥussain, sa’īṃ Bulle Šāh, Bābā Farīd jihe šā‘irāṃ dyāṃ likhyāṃ sānūṃ ikk ajehe ūcce pahāṛ dī ṭaisī te pahūṃcāndyāṃ haṇ ki othe pahūṃcke sāḍḍā thalle lehṇā bahut muškil ho jāndā ai, ate onāṃ dā character dunyāvī ate samājī zindagī utte ajehā aṡar pāwndā ai kī asīṃ badobadī aide vall khiṃche ṭure ānde āṃ (…) Maiṃ panjābī urdu angrezī ate fārsī de literature dā cangī ṯarāṃ nāl muṯāl‘a kītā ai, phir jiṛī xūbī maiṃnūṃ panjābī literature vic labhī ai o ikk xāṣ xūbī ai jiṛī ṣirf ais zubān vic ī pā’ī ga’ī ai ate dūjyāṃ zubānāṃ vic bahut ī ghaṭṭ ai. Miṡāl de ṯaur te panjābī šā‘irāṃ ne š‘erāṃ vic ḍrāme nibhāṇ dā kamm baṛī ḥikmat te xūbī nāl kītā hoyā ai. Ate ai xūbī angrezī de Shakespeare vic bhī na’īṃ mildī (…) Sānūṃ cāhidā ai ki pehlāṃ apṇī zubān de cange cange likhāryāṃ ate šā‘irāṃ de kamm peš kariye te onāṃ dyāṃ xūbyāṃ bayān kariye, fīr onāṃ de kamm nūṃ sāmne rakhke onāṃ de magar lagaṇ dī košiš kariye.

« Le plus grand service que l’on puisse rendre à une langue c’est de l’élever. Et on ne peut l’élever qu’en promouvant les grands poètes et écrivains de cette langue. Et en se penchant sur leurs écrits. On saura alors à quel point ils ont progressé dans leur tâche, et quel était leur but. En général, lorsqu’on jette un large regard sur la littérature panjabie, on se rend compte que les grands poètes et écrivains du panjabi ont tenté de réformer la société de leur temps et amené la littérature aussi loin que possible. Par exemple, les écrits de poètes comme Madho Lal Hussain, Bulleh Shah et Baba Farid nous font grimper au sommet d’une montagne si haute qu’une fois qu’on l’a gravie il est difficile d’en

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redescendre, et leur tempérament exerce sur notre vie matérielle et sociale une influence telle que nous nous ressentons pour eux une attirance contre laquelle nous sommes incapables de lutter. (…) J’ai étudié en détail les littératures panjabie, ourdou, anglaise et persane, et j’ai trouvé dans la littérature panjabie une qualité qui lui est spécifique, et est rare chez les autres. Par exemple, les poètes panjabis ont écrit des drames en vers avec une grande maîtrise et sagesse. Et cette qualité que l’on trouve en eux, elle n’existe même pas en anglais chez Shakespeare (…) Nous nous devons tout d’abord de partager le travail des meilleurs écrivains et poètes, de mettre en valeur leurs qualités, et une fois que nous aurons leur travail devant nous, de nous engager sur la voie qu’ils nous montrent. »

Nous sommes ici en présence d’une défense non de la langue panjabie mais des poètes panjabis, qui sont des réformateurs (des progressistes avant l’heure), et dont les œuvres dépassent en qualité celles du meilleur auteur dramatique anglais.

L’auteur de cette lettre utilise ici des dispositifs de défense qui présentent des similitudes étonnantes avec ceux que Jean François Courouau a relevés dans les textes des apologistes du français de la Renaissance420. Il invoque d’abord ce que J.F.Courouau appelle ‘Le droit de chef d’œuvre’421, soit la présence d’un corpus littéraire qui octroie une autorité à la langue, et lui permet d’être comparée à d’autres langues à patrimoine littéraire/corpus littéraire constitué tels que l’anglais, l’ourdou ou le persan422. Et d’autre part il pratique une confusion entre langue et littérature (‘Le plus grand service que l’on puisse rendre à une langue c’est de l’élever. Et on ne peut l’élever qu’en promouvant les grands poètes et écrivains de cette langue). Il semble convaincu que les écrivains représentent la langue, et diffuser leur littérature équivaut à la diffuser. Cet amalgame langue-littérature423 a pour conséquence que le programme proposé par Tufail Ahmad est avant tout un programme de promotion de la littérature. Aucune mesure d’aménagement linguistique n’est envisagée.

Il arrive aussi que Zahir Babar réponde lui-même aux critiques du panjabi. Il fait alors généralement appel à ce que l’on pourrait appeler l’’argument populaire’, qui consiste à rappeler que le panjabi mérite attention car il est avant tout la langue quotidienne du peuple. Cet argument apparaît ainsi dans sa chronique du 29 septembre 1951 :

Do karoṛ panjābī har thāṃ te ai zubān ist‘emāl karde. Ghar hove yā bazār, ḍerā hove yā masīt, sajaṇ hovaṇ yā vairī panjābī panjābī de nāl panjābī vic ī gall karegā. Ais toṃ ai gall sujhdī ai ki dilī jażbe de iẕhār la’ī hameša mādrī zubān nūṃ tarjī‘ dittī jāndī ai. Tāṃ fīr ais zubān nūṃ taraqqī kyoṃ na dittī jā’e ?

« Vingt millions de panjabis utilisent cette langue dans chaque lieu, que ce soit à la maison ou au marché, à la ferme, ou à la mosquée, avec leurs amis ou ennemis. Un panjabi conversera avec un autre panjabi seulement en panjabi. Nous en déduisons donc que pour exprimer les sentiments personnels on préfère toujours sa langue maternelle. Alors pourquoi ne pas déveloper cette langue ? »

420Courouau 2003 et 2004.

421Courouau 2003 : 48-51.

422Nous trouverons d’autres exemples de l’emploi du ‘droit de chef d’œuvre’ dans notre chapitre suivant, sous la plume de membres du groupe conservateur telsque Abdul Majid Salik (Salik, Abdul Majid. 1951b : 38) et Shorish Kashmiri (Kashmiri, Shorish. 1951 : 45-46).

423J.F.Courouau analyse ce type d’amalgame chez les apologistes du français de la Renaissance dans son article de 2003 “ Les apologies de la langue française XVIe siècle et de la langue occitane XVIe-XVIIe siècles naissance d'une double mythographie”. (Courouau 2003 : 46). Son analyse doit beaucoup au chapitre ‘On croit qu'on parle de la langue, mais on parle de la littérature’ du livre d’Henri Meschonnic ‘De la langue française’ (Meschonnic 1997 : 89-110), dans lequel celui-ci présente de nombreux exemples d’amalgame langue-littérature chez les critiques français (Meschonnic 1997 : 96-97).

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Et le même argument fera également son apparition dans sa chronique du 1er decembre 1951 :

Vaise ai ḥaqīqat ai ki koī qaum is vele tak agge na’īṃ vadh sakdī jad tīkar o apṇī qaumī zubān te maqāmī bolyāṃ nūṃ taraqqī na deve. Is vāsṯe sāḍḍe vāsṯe ai ẓarūrī ai ki urdu de nāl maqāmī bolyāṃ nūṃ qat‘an naẕar-andāz na’īṃ karnā cāhīdā ai. Zubān dā maqām paṛhe likhe ṯabqe toṃ na’īṃ nāpā jāndā balki mulk bhar de ‘avām toṃ andāza karnā cāhīdā ai.

« En vérité, c’est un fait qu’une nation ne peut pas progresser tant qu’elle ne développe pas sa langue nationale ainsi que ses langues locales. Il ne faudrait donc pas que, à cause de l’ourdou, nous ignorions les langues locales. La place d’une langue ne doit pas être jugée par le nombre de gens éduqués qui l’utilisent mais par le volume du peuple (‘Avām) qui la parle dans tout le pays. »

On retrouve ici le lexème ‘Avām « Le peuple », pierre de touche du discours des marxistes. Il reste néanmoins que si la nécessité de ‘développer’ (taraqqī denā) le panjabi est soulignée, le mode par lequel cette démarche sera accomplie n’est jamais précisé.

La seule proposition concrète de Zahir Babar en matière de développement du panjabi est la fondation d’une organisation (Anjuman) aux multiples branches, projet qui n’est pas sans rappeller l’Anjuman-e taraqqī-e urdu : cette proposition est présentée dans la chronique du 8 décembre 1951 :

Gall bāt dī maqbūliyat vekhke andāza hondā ai ki panjābī de premī ais bolī nūṃ taraqqī deṇ dā baṛā cāh rakhde ne par ai kamm ainnā sukhlā na’īṃ ki gall bāt de column de żarī‘e pūrā ho jāve. Ais la’ī ẓarūrī ai ki panjābī de sāre premī mil julke hikk majlis yā anjuman dī bunyād rakhaṇ. Ais anjuman dyāṃ šāxāṃ har vaḍḍe šehr qaṣbe ate pinḍ vic hovaṇ. Lahore šehr

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