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Les essais en ourdou sur la langue et littérature panjabi publiés dans Imroz

Chapitre IV : Les activités des marxistes (1947-1959)

4.1 Les activités du pôle marxiste en faveur du panjabi entre 1947 et 1955 .1 Activités du groupe progressiste

4.1.3 Mian Iftikharuddin et Imroz .1 Mian Iftikharuddin

4.1.3.5 Les essais en ourdou sur la langue et littérature panjabi publiés dans Imroz

Une série d’essais en ourdou sur la littérature classique et folklorique du panjabi paraissent également dans Imroz: 21 essais sont publiés entre 1951 et 1955. Cette série débute avec la publication de Ḍholak gīt « Les chansons chantées avec l’accompagnement du tambourin », un essai d’Abdul Qadir Rashk, publié le 2 juillet 1951. Ces essais, même si ils sont écrits en ourdou, sont rattachables au petit mouvement pour le panjabi qu’a lancé le pôle marxiste. Ils sont écrits par des écrivains connus par ailleurs pour leur contribution poétique en panjabi (Ahmad Rahi, Abdul Majid Bhatti, Afzal Parvez, Ghulam Mustafa Tabassum, Rahat Gujrati, Jamil Malik etc), et complémentent leur travail d’activisme littéraire. Leur but est de revaloriser la littérature et le folklore panjabi.

On peut diviser thématiquement ces essais en deux classes : les essais sur la littérature et ceux sur le folklore.

-Les essais sur la littérature sont au nombre de 15. 13 sont consacrés à la littérature classique et 2 à la littérature contemporaine 424. A ce stade, les auteurs indiens ou l’héritage littéraire sikh ne font l’objet d’aucun essai. En matière de littérature classique, Vāris Shah est l’auteur le plus étudié : 9 essais lui sont consacrés entre 1951 et 1955 425. Les autres poètes étudiés sont Ghulam Rasul Alampuri 426, Mian Mohammad Bakhsh427 et Hashim Shah428. Ces essais sont purement informatifs. Ils suivent à peu près le même format, débutant par un aperçu biographique puis recensant les thèmes et figures de style qu’affectionne l’auteur traité. Le ton est souvent celui de la célébration ou du panégyrique,

424Il s’agit d’un essai sur Afzal Parvez de Jamil Malik : Afzal Parvez kī panjābī šā‘irī ke sehtmand pehlū « Les aspects sains de la poésie panjabie d’Afzal Parvez » (Imroz 10/17 Mai 1954) et d’un essai sur 3 poètes populaires contemporains de Faqir Mohammad Faqir : Šumālī maġrībī Pākistān ke tīn panjābī šā‘ir « Trois poètes populaires du panjabi du nord du Pakistan occidental » (Imroz 15 aout 1954).

425Abdul Majid Bhatti Panjāb kā ek munfarid šā‘ir Vāriṡ Šāh « Un poète unique du Panjab, Varis Shah » (Imroz 20/27 aout 1951), Afzal Parvez Rāṃjhā aur Vāriṡ Šāh « Ranjha et Varis shah » (Imroz 17 septembre 1951), A. Hamid Vāriṡ Šāh kā ek kirdār « Un personnage de Varis Shah » (Imroz 25 février 1952), Afzal Parvez Hīr Vāriṡ Šāh aur kahāvaṭeṃ « Hīr Varis Shah et les proverbes » (Imroz 3 mars 1952), Ahmad Rahi Panjāb ke avāmi adab aur saqāfat kā ṣaḥīḥ tarjumān Vāriṡ Šāh « Un vrai représentant de la littérature populaire et de la culture du Panjab Varis Shah » (Imroz 28 février 1953), Ghulam Mustafa Sufi Tabassum Vāriṡ kī Hīr « Le poème Hīr de Varis Shah « (Imroz 28 février 1953), Abdul Majid Bhatti Vāriṡ Šāh aur bhāg bharī « Varis shah et ‘la chanceuse’ « (Imroz 31 aout 1953).

426Arshi Panjāb kā ek ātišbayāṃ šā‘ir Ġulām Rasūl « Un poète flamboyant du Panjab Ghulam Rasul » (Imroz 19 avril, 17-24 mai, 12 juillet 1954).

427Afzal Parvez Qiṣṣa Saif ul Mulūk « L’épopée de Saif ul muluk » (Imroz 8 octobre 1951). 428Abdul Salam Khurshid Sassī Punnū (Imroz 21 juillet 1952).

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et parfois même de la surestimation. En témoigne l’essai de Ghulam Mustafa Sufi Tabassum paru le 28 février 1953 Vāriṡ kī Hīr «Le poème Hīr de Varis Shah »:

Xiyāl kijiye ki aṣal vāq‘e se koī do sau baras b‘ad ek šā‘ir is bhūle bisre afsāne ko az sar-e nau tāza kartā hai. Aur ismeṃ na’ī zindagī ke rang bhartā hai, bilkul isī ṯaraḥ jaise Firdausī ne Šāhnāme meṃ aivān kī qadīm tārīx kī bosīda haḍḍyoṃ meṃ az sar-e nau jān ḍāl dī thī – yā Niẕāmī ne Xusrau Širīṃ aur Laila Majnūṃ ke vaqt ke āġoš meṃ soe hue kirdāroṃ ko bedār kiyā thā….Hīr aur Rāṃjhā ke kirdār hamāre sāmne ab isī ṯaraḥ zinda ḥarkat karte hue naẕar āte haiṃ. Aur dunyā-e adab ke ek vasī‘ ufaq par calte dikhā’ī dete haiṃ. Aur unke qadam Romeo Juliet, Širīn Farhād aur Vāmiq-o ‘Ażrā ke sāth uṭhte haiṃ. Ab Kīdo kā kirdār hameṃ Muxtār aur Yago kī yād dilātā hai, aur Sahetī zanān-e Miṣr kī ham-āhang dikhā’ī detī hai…Ġaraz Vāriṡ Šāh ne apne fanī kamāl se un kirdāroṃ ko ek meḥdūd dā’ire se nikālkar ek hamāgīr ḥaiṡyat ‘atā kī hai. Aur ab vo ṣirf panjābī šā‘irī yā panjābī rūmānvī adab hī ke ‘anāṣir nahīṃ balki ‘ālamgīr adabī ‘alāmāt ban ga’e.

« Imaginez donc que quelques deux cents ans après que cet événement ait eu lieu un poète fasse à nouveau revivre cette histoire oubliée. Et lui insuffle une nouvelle vie, de la même manière que Firdausi avait insufflé une nouvelle vie dans l’histoire ancienne de la cour – ou de la même manière que Nizami avait redonné vie aux personnages de Khusrau et Shririn et de Laila et Majnūn qui dormaient dans le giron du temps…Les personnages de Hīr Ranjha évoluent maintenant devant nos yeux, vivants. Et se déplacent sur le vaste horizon du monde des lettres. Ils avancent en compagnie de Romeo et Juliette, Shirīn Farhad et Vamiq et Azra. Le personnage de Kīdo nous rappelle ceux de Mukhtar et Yago, et Saheti ressemble aux femmes d’Egypte. Varis Shah a donc, par la grâce de son talent, extirpé ces personnages de l’espace limité ou ils évoluaient et leur a donné une dimension universelle. Ils ne sont plus à présent seulement des éléments de la poésie panjabie ou de la littérature romantique panjabie mais des symboles universels. »

Il s’agit ici, à l’aide de comparaisons avec des œuvres classiques consacrées (de Firdausi, Nizami et Shakespeare), de revaloriser une œuvre issue d’une littérature souvent victime d’une dépréciation socio-culturelle.

Une autre stratégie de revalorisation consiste à montrer à quel point la démarche d’un auteur classique est restée actuelle, et à mettre en valeur son message social, toujours pertinent dans la société contemporaine. L’essai Panjāb ke ‘avāmī adab aur ṡaqāfat kā ṣaḥīḥ tarjumān Vāriṡ Šāh « Un vrai porte parole de la littérature et culture populaire du Panjab : Varis Shah » d’Ahmad Rahi, publié le 28 février 1953 donne le sentiment que Varis Shah était un écrivain progressiste avant l’heure, concerné par les problèmes du peuple et qui a démontré dans son épopée le poids des inégalités sociales sur les individus :

Vāriṡ Šāh ne Panjāb ke logoṃ ko bahut qarīb se dekhā, aur unke masā’il ko suljhāne kī košiš kī. Šāyad b‘aẓ dost kaheṃ kī vo ek rūmānī šā‘ir thā, uskā ‘avām se koī t‘alluq na thā, usne Hīr aur Rāṃjhā kī ‘išqya dāstān ko šā‘irī ke qālib meṃ ḍhāl diyā, aur bas ! Hīr aur Rāṃjhā vāq‘e’ī ek ‘išqya dāstān hai. Magar Vāriṡ Šāh ne is dāstān ko jis andāz se bayān kiyā hai is bayān ke liye usne jis juzviyāt ko farāham kiyā hai vo use meḥẓ ek ‘išqya dāstān se buland kar detī hai. Vāriṡ Šāh ne baṛe fankārāna andāz meṃ ye vāẕeḥ kar dyā hai ki amīr kī beṭī kī šādī ġarīb se nahīṃ ho saktī.

« Varis Shah a observé le peuple du Panjab de très près, il a tenté de résoudre leurs problèmes. Des amis diront peut-être qu’il était avant tout un poète romantique, et n’avait aucun lien avec le peuple, qu’il s’est contenté de mettre en poésie l’histoire d’amour de Hīr et Ranjha, et c’est tout ! Il est vrai que ‘Hīr et Ranjha’ est une histoire d’amour. Mais le style que Varis Shah a adopté pour narrer cette histoire, et les détails qu’il a fournis en font plus qu’une simple histoire d’amour. Varis Shah a – de manière très artistique – montré que la fille d’un riche ne peut pas se marier avec un pauvre. »

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-Les essais sur le folklore sont au nombre de 6 et portent sur le folklore des régions centrales de Majh et Doab 429. Comme le manifeste de la conférence de 1949 l’avait montré les marxistes prétaient une attention particulière aux littératures dans les langues régionales, car elles pouvaient aider à comprendre les sentiments et problèmes du peuple. Cette démarche les a tout naturellement orientés vers l’étude du folklore, littérature qui émane directement des masses. Abdul Qadir Rashk, Abdul Majid Bhatti et Rahat Gujrati ont donc rédigé en ourdou des essais sur les chants folkloriques de leur région, publiés dans Imroz. Quelques travaux existaient déjà en ourdou sur les chants folkloriques du Panjab : il s’agit des recueils de Devinder Satyarthi Maiṃ hūṃ xāna-ba doš « Je suis un nomade » (1941) et de Gāe jā Hindūstān « Inde, continue de chanter ! » (1946), ainsi que de deux essais de Sa‘adat Hassan Manto (Dehātī bolyāṃ « Les couplets campagnards »430), inclus dans son recueil d’essais publié en 1944. Si Satyarthi adopte dans son analyse une approche relativement rigoureuse, mettant en évidence les contextes de performance et décryptant les commentaires sociaux que contiennent certains chants, Manto adopte une approche résolument romantique et idéalisante : il voit dans les chants folkloriques avant tout l’expression de sentiments amoureux, et imagine à partir de ces chants la vie sentimentale des personnes qui les chantent. Et il loue abondamment leur fraicheur et leur inventivité.

Les essais d’Abdul Qadir Rashk, Abdul Majid Bhatti et Rahat Gujrati se rattachent à la tendance Manto. Ces auteurs ont un penchant pour l’idéalisation, et propagent dans leurs essais le stéréotype (qui domine les écrits de Manto sur le folklore) de la riante campagne, dans laquelle les sentiments et émotions sont purs et l’expression naturelle et spontanée. Quelques lignes extraites de l’essai d’Abdul Qadir Rashk ḍholak gīt « Les chansons chantées avec l’accompagnement du tambourin » (publié le 2 juillet 1951) le montreront:

Hamāre gīt jażbāt aur vāridāt kī aisī taṣvīreṃ haiṃ jinke xad-o xāl meṃ jins aur jins ke šaux rang bhī haiṃ, jinkā t‘alluq akhaṛ aur bharpūr javānī se hai, ārmān bharī naẕroṃ se hai, hastī bharī fiẓāoṃ se hai, jinkī ba-daulat zindagī aisī ‘ašva-ṯarāz ḥasīnā ban jātī hai jiskī seḥr-afrīnyoṃ se ek pal kabhī najāt mumkin na’īṃ.

« Nos chansons présentent une image des sentiments et des accidents de la vie dans laquelle on peut voir apparaître les couleurs brillantes de la sensualité ; et cette sensualité est celle de l’orgueilleuse et généreuse jeunesse, celle des regards pleins de désir, des atmosphères pleines de vie, grâce auxquels l’existence devient une belle coquette, dont le charme ne cesse de vous poursuivre. »

Les auteurs d’essais sur le folklore s’opposent aux préjugés qu’ont généralement les classes éduquées, qui voient dans les chansons folkloriques des séries de paroles vulgaires et sans sophistication. Pour eux, ces chansons relèvent de la littérature. Et ils

429Abdul Qadir Rashk Ḍholak gīt « Les chansons chantées avec l’accompagnement du tambourin » (Imroz 2 juillet 1951), Rāhat Gujrāti Māhyā (Imroz 22 octobre 1951), Afzal Parvez Māhyā ke rūp « Les formes du māhyā » (Imroz 12,19, 26 novembre 1951), Abdul Majid Bhatti Panjābī gīt jo pāṃc daryāoṃ kī zamīn par basne vāli behneṃ gātī haiṃ « Les chansons panjabies que les sœurs qui habitent dans le pays des cinq rivières chantent » (Imroz 1er octobre 1952), Abdul Qadir Rashk Panjāb ke lok gīton meṃ ‘auratoṃ kā ḥiṣṣa « Le rôle de la femme dans les chansons folkloriques du Panjab » (Imroz 3 mai 1954), Abdul Qadir Rashk Panjāb meṃ behnoṃ ke gīt « Les chansons des sœurs au Panjab » (Imroz 18, 25 janvier 1954).

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ne ratent pas une occasion de louer leurs qualités. Le 22 Octobre 1951 Rahat Gujrati déclare dans un essai sur le genre du Māhyā431 :

Māhyā panjābī ke lok gītoṃ meṃ ek hamā-gīr šohrat kā ḥāmil hai (…) Xiyālāt aur zubān ke a‘itbār se panjābī adab meṃ iskā koī ḥarīf nahīṃ hai. Māhyā ke boloṃ meṃ jām‘eyat, m‘anvyat, aṡar, rif‘at-e taxayyul aur nazākāt-e xiyāl badarja-e attam maujūd hotī hai. Aur ye vohī ṣinf hai jiske żarī‘e insānī jażbāt ke har pehlū kā iẕhār nihāyat laṯīf pairāye meṃ kyā jā saktā hai.

« Parmi les chansons folkloriques du panjabi le māhyā jouit d’une immense popularité (…) Dans la littérature panjabie sa langue et ses idées n’ont pas été surpassés. Les paroles des māhye sont compactes, pleines de sens, d’effet, d’imagination et de nuances. Et c’est un genre dans lequel on peut de façon extrêmement délicate exprimer toutes les facettes des sentiments humains. »

Il s’agit ici d’une démarche parallèle à celle que nous avons vue à l’œuvre dans le domaine littéraire, de revalorisation de ce corpus folklorique trop souvent déprécié. La revalorisation passe ici par l’attribution aux chants folkloriques des mêmes qualités que les critiques attribuent aux ġazals ou aux poèmes en ourdou, textes dont la littéralité est incontestée.

4 2. Imroz, fer de lance du mouvement panjabi marxiste entre 1955 et 1959

Après l’interdiction du parti communiste et de l’association des écrivains progressistes en 1954, le journal Imroz sera le dernier bastion du pôle marxiste. Mais sa survie sera de courte durée : en avril 1959 Imroz, ainsi que le quotidien anglais Pakistan Times et la revue ourdou Lail-o Nahār « Les jours et les nuits » – tous les trois propriétés de Mian Iftikharuddin seront nationalisés432. On peut considérer qu’à partir de cette date ces journaux – directement placés sous le contrôle du gouvernement – cessent d’être les porte-paroles du pôle marxiste. Mais avant cela, Imroz avait pendant quatre ans (1955-1959) poursuivi la tâche de promotion du panjabi débutée en 1951, et publié une page hebdomadaire en panjabi ainsi qu’un certain nombre d’essais en ourdou sur le panjabi, son folklore et sa littérature.

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