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L’apologie de Dr Aziz-ul Hassan Abbasi

Chapitre V Le mouvement conservateur (1950-60)

5.2 La revue Panjābī (1951-1960)

5.2.3 Défense et illustration de la langue panjabie

5.2.3.2 L’apologie de Dr Aziz-ul Hassan Abbasi

Dr Aziz ul Hassan Abbasi déclare dans son apologie (Āsīṃ te Sāḍḍī bolī « Nous et notre langue »766) que la langue panjabie est un bouclier qui protège les panjabis contre une acculturation qui les mènerait à la décadence et les ferait disparaître en tant que peuple. L’adoption de l’anglais ou de l’ourdou risque d'entraîner cette acculturation. Sauvegarder le panjabi permettra d’y résister.

Cet argument avait été esquissé par Faqir Mohammad Faqir dans son essai Nīm firangī « Un être à moitié blanc » 767, dans lequel celui-ci avait ridiculisé les panjabis anglicisés qui ne savent plus parler leur langue et conclu que :

Jiṛā bandā apṇī zubān toṃ dūr hondā ai, o aṣal vic apṇe aṣle toṃ dūr hondā jāndā ai, te jinūṃ apṇā aṣlā visar jā’e o dīn dunyā jogā na’īṃ reh jāndā.

« L’individu qui s’écarte de sa langue s’écarte de ses racines, et celui qui s’écarte de ses racines n’a plus aucune place dans ce monde »768.

Cet argument est développé et amplifié par Dr Aziz ul Hassan Abbasi. Faqir Mohammad Faqir avait décrit le péril que représente l’anglicisation. Dr Aziz ul Hassan Abbasi mentionne également ce péril, mais il en pointe un deuxième : l’ourdouisation.

Dr Aziz ul Hassan commence son essai en décrivant le complexe diglossique qui affecte les classes panjabies éduquées et les pousse à utiliser l’ourdou ou l’anglais avec leurs enfants. Puis il expose sa thèse : l’adoption d’une langue conduit à l’adoption d’une culture, et à la disparition de sa propre culture.

763 Khan, Sardar 1955 : 31. 764 Khan, Sardar 1956b. 765 Khan, Sardar 1956b : 8. 766 Abbasi 1953. 767 Faqir 1952c. 768 Faqir 1952c : 4.

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Ais Pākistān vic panjābī bhrāvāṃ te behnāṃ (xāṣkar angrezī paṛhe hoyān) nūṃ koī Rabb vāsṯe dā apṇī bolī nāl vair ai. Āp te āp onāṃ ne ai vair apnyāṃ aulādāṃ nūṃ vī sikhā dittā ai. Onāṃ de gharāṃ vic panjābī dī thāṃ yā te urdu bolī jāndī ai yā angrezī. Ai bhole lok ais gall nūṃ na’īṃ samajhde ki har qaum dī bolī os qaum de culture dā żarī‘a ai. Har qaum dā culture os qaum de maraṇ jyoṇ dā sabab ai. Jis qaum ne apṇī bolī chaḍke dūsryāṃ dī bolī bolṇi šurū‘ kar ditti te samajh lo kī o qaum huṇ thoṛe dināṃ dī paroṇī ai. koī aqalmand insān ais gall toṃ inkār na’īṃ karegā ki dūsrī parā’ī zubān dā sikhṇā te bolṇā os zubān de bolaṇ vālyāṃ dyāṃ dūsryāṃ gallāṃ vī lāzim te ẓarūrī karegā

« Au Pakistan nos frères et sœurs panjabis (et surtout ceux qui ont appris l’anglais) sont les ennemis de leur propre langue. Et le pire est qu’ils ont transmis ce sentiment d’hostilité à leurs enfants. Dans leurs maisons on parle ourdou ou anglais à la place du panjabi. Ces simplets ne comprennent pas que la langue d’une peuple est le véhicule de sa culture. La culture d’un peuple est ce qui le maintient en vie. Un peuple qui a abandonné sa langue et commencé à parler d’autres langues est condamné à court terme. Aucun être sensé ne refusera de reconnaître qu’apprendre une langue et la parler a des implications inévitables pour un individu »769.

Puis il décrit les conséquences de l’adoption de l’anglais en ayant recours à l’ethnotype du pakistanais occidentalisé aux mœurs libres:

Asīṃ jamāndrū ġulāmāṃ ne angrezī ḍiḍh bharaṇ de kāraṇ sikhī sī te odā jo kujh phal milyā o sāḍḍe sāmṇe ai. Pehlāṃ te angrezī dī bimārī mardāṃ vic ī rahī, fīr jadoṃ ai bimārī ranāṃ nūṃ vī lag ga’ī te sāḍḍī qaum dā beṛā ī ġarq ho gayā. Oho bešarmī te be- ḥayā’ī, oho lālyāṃ te powder, oho nange sar te bheṛe ḥāl bāzārāṃ vic dhakke khāndyāṃ phirdyāṃ ne. Ranāṃ nāloṃ pehlāṃ quṣūrvār mard nikle, jināṃ pajāme yā šalvār dī thāṃ patlūn, ṭopī yā pagṛī dī thāṃ hat, te chūġe dī thāṃ coat pānā šurū‘ kar dittā. Natīja ai hoyā ki o āp te onāṃ dyāṃ ranāṃ ṣāḥab te mīmāṃ baṇ ga’e.

« Nous autres ,esclaves de naissance, avons appris l’anglais pour subsister et devons maintenant faire face aux conséquences. La maladie de l’anglais a d’abord été limitée aux hommes, mais lorsqu’elle a atteint les femmes le retentissement a été terrible pour notre peuple : indécence et vulgarité, rouge à lèvres et maquillage. Les femmes ont commencé à sortir au marché sans se couvrir la tête, avec des vêtements moulants. Mais avant les femmes, les coupables ont été les hommes, quand ils ont commencé à porter des pantalons à la place des pajama et shalwar, des couvres chefs anglais à la place des chapeaux traditionnels et des turbans, et des manteaux à la place des robes. Le résultat est que les hommes sont devenus des ṣāḥab et leurs femmes des madames »770.

Puis Dr Aziz ul Hassan Abbasi en vient à décrire les conséquences de l’adoption de l’ourdou, arme utilisée par les mohajirs venus d’Inde pour asservir et acculturer le peuple panjabi. Il introduit alors un second ethnotype : celui du mohajir mangeur de feuilles de bétel (pān) et efféminé. Et il met en garde les lecteurs : en adoptant l’ourdou le peuple martial panjabi (un peuple de lions et lionnes) se transformera en peuple efféminé :

Panjāb de dušman Jamunā pār toṃ āke ainūṃ ṯarāṃ ṯarāṃ de lālac dhoke deke barbād karaṇ dī košiš kar rihe ne, jidā vaḍḍā hathyār onāṃ dī bolī ai. Ais hathyār nāl o do šikār mārṇā cāhnde ne. Pehlā ai ki sāḍḍī bolī ī koī na rahe. Dūjā ai ki jadoṃ sāḍḍī bolī ī koī na rahegī te fīr sāḍḍā culture vī na rahegā. Jadoṃ asīṃ apṇī bolī te culture bhulāṇe gāṃvā baiṭhe te dūsryāṃ de ġulām baṇāṃge. Os ġulāmī vic Panjāb de šer te šernyāṃ kī hoṇge ? Żara mulāḥiẕa hove ! Mard mohḍe te ḍāng dī thāṃ hath vic pānāṃ dī ḍabbī te chālyāṃ dī poṭlī, pag dī thāṃ sir te do palī ṭopī, pinḍe te vel yā bārīk malmal dā pheṭyāṃ vālā kurtā, te ṭāṃgāṃ te cūrī dā xwāja sarāvāṃ vālā pajāmā (…) Hīr Rāṃjhā Sassī Punnuṃ te Mahīvāl dī thāṃ pūrab de šā‘irāṃ de urdu dīvān paṛhe jāṇge.

769 Abbasi 1953 : 50.

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« Les ennemis du Panjab sont venus de l’autre côté de la rivière Yamuna et tentent de le détruire par la tentation et l’entourloupe, et leur arme principale est leur langue. Ils veulent abattre deux gibiers avec la même arme: d'’abord ils vont tenter de faire disparaître notre langue . Car lorsque notre langue sera effacée notre culture elle aussi le sera. Et lorsque nous auront oublié et perdu notre langue et notre culture nous serons les esclaves des autres. Que deviendront les lions et lionnes du Panjab sous l’effet de cet esclavage ? Voyez par vous-même : Les hommes ne porteront pas un bâton sur l’épaule mais auront dans la main une boite pleine de pān et une petite boite remplie de noix de bétel, et à la place du turban un chapeau avec des pans qui se rabattent, et sur le corps une kurta en fils de soie ou de vel et aux jambes un pajama étroit à la façon de ceux que portent les eunuques (…) Et ils liront à la place des épopées de Hir Ranjhan, Sassi Punnun et Sohni Mahival les recueils poétiques des poètes de l’est »771.

Dr Aziz ul Hassan Abbasi en vient alors à citer en exemple un peuple qui a perdu sa culture et sa langue : les Camyār ou sindhis, ancien marchands, ancien bâtisseurs des civilisations de Mohenjodaro et Harappa, qui n’ont pas su résister aux aryens hindous et ont été réduit par eux au rôle de parias :

Dunyā dī ikk hor qaum vī ai, jināṃ nūṃ asīṃ chūhre te camyār kehṇe āṃ. Ai numāṇe badqismat apṇe vele dī ikk baṛī ḥukūmat te tehżīb de bheṛe lekh te badqismatī dī muṃh boldī taṣvīr haṇ, jināṃ vaḍḍe okhe vele apṇe culture nūṃ sambhāl na sake. ai chūhre te camyār (Jinūṃ maiṃ agge toṃ sindhī kahāṃgā) jisdī vaḍyā’ī Mohenjoḍāro Haṛappā te dūsryāṃ thāvāṃ ne ṡābit kīti onāṃ dī aulād haṇ. Ai sindhī tehżīb aṭhā’ī sau varhe Ḥaẓrat ‘Īsā de vele toṃ pehlāṃ hindūstān vic apṇī vaḍyā’ī vikhā ga’ī (…) Vasṯī Asia vicoṃ hindūāṃ de vaḍḍe veḥšī āryā Afġānistān de rāste Hindūstān vic āe te holī holī o aidhar odhar vadhaṇ lage. O jadoṃ junūb vall utre te Haṛappe te Mohenjoḍāro vālyāṃ nāl ṭakkar hoi. Ai sindhī saudāgar-peša ārām te ‘aiš de ‘ādī jangal de nange veḥšyāṃ nāl laṛā’ī vic hār ga’e. Natīja ai hoyā ki onāṃ dī ḥukūmat te tehżīb barbād kar dittī ga’ī (…) Ajj os qaum dī ḥālat ai ve ki o apṇe āp nūṃ insāniyat de utte ikk baṛā vaḍḍā dāġ samajhdī ai. Ajj odā parchāvāṃ ī ikk hindū nūṃ palīt karaṇ vāsṯe kāfī ai.

« Il existe un autre peuple que nous connaissons sous le nom de chūhre ou chamyār (intouchables). Ces pauvres êtres damnés sont une image parlante de la triste destinée d’un grand empire et d’une civilisation, qui n’a pas su préserver sa culture dans des temps difficiles. Ces intouchables (qu’à partir de maintenant j’appellerai sindhis) sont les descendants de ces individus dont des lieux comme Mohenjodaro et Harappa prouvent la grandeur. Cette culture sindhie avait atteint son apogée 800 ans avant la naissance du christ (…) Les sauvages hindous sont venus plus tard de l’Asie centrale, après avoir traversé l’Afghanistan sont arrivés en Inde, et se sont propagés dans tout le pays. Lorsqu’ils sont descendus dans le sud ils sont entrés en contact avec les habitants de Harappa et Mohenjodaro. Les marchands sindhis, habitués au confort et aux plaisirs ont dû affronter ces sauvages nus et ils ont perdu, résultat leur empire et leur culture ont été détruits (…) Et maintenant l’état de ce peuple est tel qu’il se considère une simple tâche sur la face de l'humanité. Et son ombre suffit à souiller un hindou »772.

Et Dr Aziz ul Hassan conclut :

Eho ḥāl panjābyāṃ dā ho’egā jai onāṃ ne apṇī panjābī dī thāṃ urdu bolnī šurū‘ kīti (…) Jis šaxṣ yā qaum de vic ai xiyāl paidā ho gayā ki dūsryāṃ dī bolī yā ṯarīqa hacchā ai o qaum kadī taraqqī na’īṃ kar sakdī kyoṃki o dūsryāṃ dī żehnī ġulām ai.

« Voilà ce qui se passera si les panjabis commencent à parler ourdou à la place de leur propre langue (…) L’individu ou le peuple qui pense que la langue ou les manières des autres sont meilleures que les siennes ne peut pas progresser parce qu’il reste mentalement l’esclave des autres »773.

Cet essai présente, comme on le voit, une vision stéréotypée et xénophobe des peuples, présentant les hindoustanis et sindhis comme des peuples ramollis et décadents, alors

771 Abbasi 1953 : 50-51.

772 Abbasi 1953 : 53.

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que les panjabis apparaissent comme un peuple supérieur de lions et lionnes, un peuple martial encore libre de toute dégénérescence. Quant à l’arrivée des mohajirs, elle est comparée à celle des aryens contre lesquels les habitants de Mohenjodaro et Harappa ont dû lutter : leur migration est considérée comme une invasion.

Cette position anti-urdu est assez atypique, et il est difficile de savoir jusqu’à quel point elle était partagée par les membres du groupe conservateur. La publication de cet essai dans Panjābī prouve néanmoins que ces positions rencontraient une forme d’approbation.

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