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La création de l’académie panjabie (1957) et la fin du mouvement conservateur (1960)

Chapitre V Le mouvement conservateur (1950-60)

5.1. Activités, programmes et idéologie des conservateurs entre 1950 et 1960. 1 Le début des activités et la réunion de 1950

5.1.8 La création de l’académie panjabie (1957) et la fin du mouvement conservateur (1960)

Le mouvement panjabi conservateur avait franchi les unes après les autres les étapes du parcours de légitimation des mouvements linguistiques contemporains : il avait mobilisé une équipe de sympathisants, avait produit un discours et un programme, fondé une revue et deux organisations, et organisé une conférence. Il ne lui restait maintenant plus, pour compléter son parcours de légitimation, qu’à franchir une dernière étape : l’étape de la reconnaissance officielle, marquée par la création d’une académie.

Cette étape avait été déjà franchie par trois mouvements : le Sindhī Adabī Board (qui faisait office d’académie sindhie) avait été fondé en 1951, l’académie bengalie (bangla akademi) en 1955, et l’académie pachto en 1955. Ces institutions étaient, nous l’avons vu, non seulement chargées du développement et de la diffusion des langues régionales, mais également destinées à assurer un contrôle de l’état sur la production écrite dans ces langues, à éviter les dérives nationalistes, et à produire une littérature conforme à l’idéologie officielle.

Le panjabi en faveur duquel des activités étaient menées depuis 1949/50, pouvait prétendre de façon crédible à avoir une académie, et la fidélité du groupe conservateur aux valeurs de l’état n’était plus à prouver. Une académie panjabie pouvait donc leur être confiée. Mohammad Baqir, après un voyage à Karachi, avait annoncé en juillet 1957 dans un essai de Panjābī intitulé Ikk ṣalāḥ « Une suggestion », que des pourparlers étaient en cours avec le gouvernement central au sujet de la création d’une académie panjabie :

Sindhī Adabī Board Karācī vic kamm pyā kardā ai, pašto akādemī vāle šāyad kujh aise ṯaraḥ dā kamm karaṇ dā irāda pa’e karde ne. Sāḍḍā vī ai farẓ ai ki asīṃ vī ‘Panjābī adabī board’ banāke onāṃ cīzāṃ nūṃ agge lyāye jiṛyāṃ Pākistān dī šān nūṃ vadhāwaṇ (…) Maiṃ ṣāḥab-e iqtidār lokāṃ nāl gall kītī ai. O kehnde ne : ‘Tusīṃ ai kamm ẓarūr karo, te Pākistān de ais ḥiṣṣe dyāṃ xūbyāṃ nūṃ ẓarūr lokāṃ nūṃ daso, te asīṃ tuhāḍḍī madad karāṃge’.

« A Karachi le Sindhī Adabī Board est actif, et les membres de l’académie pachto ont sans doute l’intention de les imiter. Nous avons le devoir de créer un Panjabi Adabī Board comité littéraire panjabi afin de rendre visible les éléments qui contribuent au rayonnement du Pakistan (…) j’ai déjà parlé à quelques hommes de pouvoir et ils disent : créez cette institution, montrez aux gens les qualités de cette région du Pakistan, et nous vous aiderons »698.

On le voit, ainsi, le gouvernement pose déjà une condition à l’établissement de l’académie panjabie : elle ne sera approuvée que si elle projette une image positive (et non critique ou politique – voire nationaliste) du Panjab.

Le processus de fondation de l’académie panjabie est ainsi décrit par Mohammad Baqir dans un entretien avec Maqsud Sāqib :

698 Baqir 1957 : 8.

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Mere grāīṃ Šaix Mumtāz Ḥasan marḥūm sābiq finance secretary ḥukūmat-e Pākistān mere vaḍḍe pur-xulūṣ te āzād xiyāl sajaṇ san. Ikk din Karācī vic ministry vic baithyāṃ hoyāṃ kehṇ lage : ‘Yār sindhī akādemī vī banī ho’ī ai, pašto akādemi vī hai, panjābī dī koī gall na’īṃ. Tusīṃ ‘Panjābī adabī akādemi’ banāo maiṃ tuhānūṃ vī dūjyāṃ akādemyāṃ vāṃgar grant dyāṃgā’.

T‘alīm de secretary Šaix Šarīf vī sāḍḍe grā’īṃ y‘anī Gujrānvāle de san. Dūe din ‘arẓī likhī ga’ī te ikk hazār grant dā check vī mil gayā. Akādemī dā nāṃ y‘anī ‘Panjābī adabī akādemī’ onāṃ vī Mumtāz ṣāḥab ne rakhyā. Šarṯ ai sī ki ais grant nāl panjābī dī koī kitāb na’īṃ chāpī jā’egī. ‘Kyonjai ai portfolio Panjāb dī sarkār dā ai. Par tusīṃ Panjāb, panjābī tārīx te Panjāb de art te hor gallāṃ de bāre kitābāṃ chāp sakde o’.

« Mon voisin de village Sheikh Mumtaz Hassan, ancien secrétaire des finances du gouvernement du Pakistan, était un ami, un ami sincère et aux idées libres. Un jour, alors que nous étions assis ensemble au ministère, il m’a dit : ‘Une académie sindhie a été fondée, et une académie pachto aussi. Ce ne sera donc pas un problème de fonder une académie panjabie. Si tu la mets en place je te donnerai des subventions comme je l'ai fait pour les aux autres académies’.

Le secrétaire à l’éducation Sheikh Sharif était lui aussi un voisin de Gujranwala. J’ai écrit une requête le jour suivant, et reçu un chèque de mille roupies. Le nom Panjābī adabī akādemī a aussi été choisi par Mumtaz Hassan. Et une des conditions imposée par le gouvernement était que l’académie ne publie pas de livres en panjabi. Car seul le gouvernement du Panjab pouvait subventionner des publications en panjabi. Mais on m’a dit que je pouvais publier des livres à propos du Panjab, de son histoire, de ses arts et d’autres choses de cette sorte »699.

Une académie panjabie est donc fondée à condition qu’elle ne publie pas d’ouvrages en panjabi. La stratégie des représentants de l’état qui l’approuvent et la subventionnent semble claire : il s’agit de conserver un contrôle maximal sur cette institution et d’éviter une dérive vers un discours régionaliste ou nationaliste que l’utilisation d’une langue vernaculaire rendrait plus aisée.

En bref, il s’agit d’éviter que cette nouvelle académie emprunte la voie du Sindhī Adabī Board, qui, avec les fonds de l’état, avait publié, à sa création, un livre comme le Paiġām-e laṯīf « LPaiġām-e mPaiġām-essagPaiġām-e dPaiġām-e Shah Abdul Latif Bhittai » dPaiġām-e G.M.SayPaiġām-ed (qui contPaiġām-enait unPaiġām-e glorification de la culture sindhie et une critique de la philosophie du poète Iqbal), avait contribué à produire un discours nationaliste700. Cet aspect avait du être évoqué au cours de discussions entre Mohammad Baqir et Mumtaz Hassan et Sheikh Sharif, car, à son retour à Lahore, devant faire face à la colère de Faqir Mohammad Faqir et Abdul Majid Salik à qui il avait du expliquer que l’académie panjabie qui leur était confiée ne publierait pas de livres en panjabi, Mohammad Baqir leur avait déclaré :

Akādemī kā maqṣad tang-naẕrī par mabnī ṣūbā’ī ‘alāḥdagī-pasandī ke jażbāt ko havā denā nahīṃ balki Panjāb kī ‘iṣmat ujāgar karke Pākistān ke ittiḥād ko aur maẓbūṯ karnā hai. Doctor ṣāḥab aur Sālik ṣāḥab is vaẓāḥat se mutma’īn ho ga’e.

« Le but de l’académie n’est pas d’encourager des sentiments séparatistes fondés sur des préjugés régionaux mais en mettant en avant la pureté du Panjab afin de renforcer l’unité du Pakistan. Cette explication a satisfait Le docteur Faqir Mohammad Faqir et Abdul Majid Salik » 701.

699 Baqir 2013 : 208.

700 Levesque 2016 : 321.

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L’académie panjabie est donc fondée fin 1957, son bureau est installé près du musée de Lahore puis il déménage au 12 G Model town. Son directeur est Mohammad Baqir et Faqir Mohammad Faqir et Abdul Majid Bhatti sont membres du conseil d’administration702. La promesse faite aux représentants de l’état est tenue : l’académie publiera 4 livres entre 1958 et 1960 et ces quatre premiers livres ne seront pas en panjabi mais en persan703. Les deux premiers livres publiés sont deux volumes intitulés Panjābī qiṣṣe farsī meṃ « Histoires panjabies en persan », dont Maulana Abdul Majid Salik écrit la préface. Cette publication sera suivie du Tārīx-e Koh e Nūr « Histoire du diamant Koh-e Nūr » de Faqir Sayed Nur-ud Din et du Dīvān de Ghanimat Kunjahi704.

En 1958, le gouvernement du Panjab accorde une donation à l’académie, qui devrait permettre à l’académie de publier des livres en panjabi705. Mais ce ne sera qu’en 1960, soit trois ans après sa création, que l’académie publiera son premier livre en panjabi : une édition complète de Hīr Vāriṡ Šāh, dont le texte est établi par Sheikh Abdul Aziz, père de l’historien K.K. Aziz.

L’académie panjabie financera à partir de l’automne 1959 la revue Panjābī : dans une lettre à Shafi Aqil Faqir Mohammad Faqir lui annonce que l’académie a pris en charge la revue et que le numéro de septembre-octobre 1959 sera publié avec son concours706. Mais on ne sait pas si c'est le cas des 3 numéros suivants, jusqu’à ce qu’elle cesse d’être publiée (en mars 1960).

La création de l’académie panjabie est le dernier coup d’éclat du groupe conservateur. Le groupe sera en effet dans les années qui suivent fortement affecté par deux événements : le décés d’Abdul Majid Salik en 1959, et la cessation de Panjābī en mars 1960.

Le manque d'argent sera une des raisons invoquées pour l’arrêt de Panjābī par Shafi Aqil707 et Junaid Akram708, mais nous entrevoyons une autre raison : Panjābī devait faire face à une sérieuse concurrence. Panjābī n’est plus la seule revue panjabie publiée au Pakistan car deux autres ont été lancées en janvier 1958 et janvier 1960 : Panj daryā et Panjābī adab. Le style de ces revues est nouveau et original, et elles attirent les nouvelles voix de la littérature panjabie (Munir Niazi, Afzal Randhava, Anis Nagi, Safdar Mir). La revue Panjābī se trouvait donc dans une certaine mesure démodée et dépassée, et n’obtenait peut être pas assez d’abonnements.

Mohammad Baqir et Faqir Mohammad Faqir continueront après 1960 leurs activités en faveur du panjabi à partir de deux plate-formes différentes : Mohammad Baqir perpétuera les activités de l’académie panjabie jusque dans les années 1980, et Faqir Mohammad Faqir deviendra le rédacteur en chef de la revue Ḥaqullah (fondée par Masud Khaddarposh en 1963) et de la revue Lehrāṃ (fondée par Akhtar Hussain Akhtar en 1965).

702 Faqir 1959a : 393.

703 Junaid Akram nous a averti qu’une raison pour le choix du persan est que Mohammad Baqir avait aussi reçu des subventions du centre culturel iranien de Lahore (Entretien avec Junaid Akram, Lahore 29 juillet 2018).

704 Liste des publication de la Panjābī adabī akādemī dans Panjābī fevrier-mars 1960 p.56). 705 Baqir 2013 : 209.

706 Faqir 1959a : 394.

707 Aqil 2000 : 89.

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Néanmoins, avec l’arrêt de la revue Panjābī, le mouvement conservateur – dont elle était le fer de lance et le porte-parole - qui avait commencé en 1950, prend fin.

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