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LA SCENE DE LA COOPERATION URBAINE A HANOI : LE JEU DE L’ACCOMMODATION ET DE LA PRESCRIPTION

1.2 Les secteurs spécifiques de la coopération dans la ville socialiste 65

1.2.3 Le produit de la coopération s’impose dans le paysage urbain de Hanoi

Les travaux de Logan (1995, 2000) puis ceux de Cerise (2009) ont livré un examen détaillé de la production architecturale et urbaine conjointe entre le Vietnam et l’Union Soviétique. Nous en présentons ici les principales marques. Nous éclairons également la production de cette période en nous référant à l’exemple de la construction du pont Thăng Long, l’une des rares infrastructures de transport ayant été érigée dans la capitale vietnamienne avec l’assistance de l’expertise soviétique.

L’empreinte de la période collectiviste se matérialise avant tout dans le paysage urbain de Hanoi par la construction de bâtiments et d’édifices célébrant l’amitié entre le Vietnam, l’Union Soviétique et les pays « frères » du bloc socialiste ou des pays « non alignés ». Les « cadeaux » des différentes coopérations prennent la forme d’équipements à caractère social, comme les hôpitaux allemand et suédois, ou culturel, comme le palais de l’amitié entre le Vietnam et l’Union Soviétique (tableau 1.3).

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Il existe aussi le cas de Vietnamiens de l’étranger revenus au Vietnam à la fin des années 1990 pour cette fois-ci investir. L’un des plus importants groupes d’investissements qui prospère actuellement dans le pays est le groupe Vincom. L’un de ses fondateurs avait été envoyé en Ukraine pour y réaliser un doctorat en physique. Il est désormais l’un des plus importants investisseurs vietnamiens de l’étranger.

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Logan (1995, p.446) citant Prikhodko “Pervyi otryad molodykh zodchikh-V'etnamtsev”, Stroitel'stvo i

arkhitektura, 1966, 8, pp. 36-40 et Dang Thai Hoang, Hanoi's Architecture in the Nineteenth and Twentieth Centuries; Hanoi : Nha Xuat Ban Xay Dung, 1985, (en langue vietnamienne), p.33.

Type de réalisation Date Architectes

associés Remarques

L’institut Polytechnique de Hanoi (Bach Khoa) 1965

E.S Budnik et P. Kuznetsov

Premier bâtiment construit avec l’aide de l’Union Soviétique

Mausolée de Hô Chi

Minh 1969-1975

B.S Mesentsev puis G.G. Isakovich

Réalisation majeure établie sur l’esplanade de Ba Đình après son réaménagement à la fin des années 1950. Sa conception a mobilisé une large équipe d’architectes vietnamiens supervisée par une expertise soviétique.

Pont Thang Long 1974-1985 Participation de Kanyghin

Projet engagé par la coopération chinoise et achevé grâce à l’aide technique et financière de l’Union Soviétique.

Bâtiments administratifs 1970-1985

Sous la direction d’architectes soviétiques

Ministère de la Construction, Ministère de l’Agriculture et des forêts, Ministère de l’Industrie, Bureau de la statistique, reconstruction de la partie centrale de la gare de Hanoi, siège du Comité Populaire de Hanoi.

Palais de l’amitié

soviétique vietnamienne 1985

Sous la direction de G.G. Isakovich

Financée par l’Union Soviétique, la conception du projet a mobilisé des architectes vietnamiens (Nguyen Truc Luyen) et introduit des éléments de design locaux et une prise en compte des conditions climatiques de Hanoi. Conception de l’ancien square Chi Lăng et statue de Lénine 1985-1987 A.A. Tyurnkov et G.G. Isakovich

Face à la tour du Drapeau et sur l’emplacement d’un jardin aménagé par les Français en 1900.

Musée Hô Chi Minh 1990 Sous la direction de G.G. Isakovich

Les plans sont lancés en 1978. Le bâtiment est réalisé par une équipe d’architectes et d’ingénieurs tchèques et vietnamiens sous la direction de Isakovitch.

Un autre produit caractéristique de cette période de coopération a été la réalisation des unités d’habitations collectives : les Khu Tập Thể (KTT). Ces unités ont été construites et conçues quasi exclusivement par des architectes vietnamiens83, mais sur des modèles importées de Chine et surtout d’Union Soviétique. Trois générations de KTT se distinguent : les appartements en bande, les unités de voisinage et les ensembles adaptés (immeubles isolés dans le tissu urbain constitué, ou comportant des commerces au rez-de-chaussée) (Cerise, 2009, pp. 481-544). Les deux premières générations ont été développées entre 1957 et 1979, alors que la dernière a été adaptée après 197984. Pour les architectes vietnamiens, la construction des KTT avait une signification particulière ; Lê Hồng Kế précise qu’ils étaient fiers de ce résultat, ils apportaient ainsi une forme de modernité, un progrès social et technique à la société et surtout des nouveaux lieux de vie moderne comme l’étaient les ensembles de Trung Tự, Kim Liên ou Giảng Võ (illustration 1.3). La construction de certains

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A travers les travaux de Cerise (2009), il semble que la construction des premiers KTT, entre 1957 et 1972, ait été réalisée avec l’aide d’experts issus des pays « frères ». En revanche, à partir de 1972, la production des KTT fut l’œuvre des architectes vietnamiens et des institutions locales.

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Les travaux de Logan (1995, 2000) et de Cerise (2009) renvoient à l’adaptation des concepts de « micro rayons » et de « l’unité de voisinage » utilisés en Union Soviétique pour la construction des unités d’habitation collectives au Vietnam et à Hanoi en particulier (pour les KTT de seconde et troisième génération). Le travail de Pandolfi (2001, pp.76-89) présente ce type d’habitat que l’on retrouve dans de nombreux pays socialistes. Chaque « unité de voisinage » possédait des équipements collectifs de proximité ; les unités étaient elles-mêmes rassemblées autour d’autres d’équipements publics (écoles, centres de soins) et de commerces.

Tableau 1.3 : Les principaux édifices de la coopération de l’Union Soviétique à Hanoi.

ensembles a aussi constitué un acte de résistance des Hanoiens sous les bombardements américains (ibid., pp.183-189).

Dans la ville socialiste, la planification des unités d’habitation croise également la question de la circulation et du transport. Les KTT de seconde et troisième génération contenaient par principe des équipements publics et limitaient ainsi les besoins en déplacement des habitants. Dans ces ensembles la voirie était hiérarchisée selon le type d’unité ou de bâtiment desservi. Enfin, concernant les infrastructures de transport à l’échelle de la capitale, il faut souligner que le nombre de réalisations a été limité, malgré l’importance qui leur était donnée dans les documents de planification. Au regard des indications contenues dans les schémas directeurs de 1960 et de 1981, certains tronçons routiers ont été construits, le pont Thăng Long a été érigé et la ceinture ferroviaire s’inscrivant dans son prolongement a été installé.

Illustration 1.3 : Les unités d’habitations collectives, quartier de Giảng Võ.

Source : Hanoi : d’une ville à une autre, Bertholon et Musil (2011)

Indications : Cette photographie présente des barres d’habitations de type Khu Tập Thể. Celles-ci ont fait l’objet de modifications (extension) de la part des habitants pour agrandir leurs logements, en raison du manque d’espace et de la pénurie de m² de logement à Hanoi à la fin des années 1980 et durant les années 1990. C’est là une des caractéristiques des KTT qu’analyse dans ces travaux Cerise (2009). Une autre spécificité de ces barres d’habitations renvoie à leurs occupants : les logements produits étaient en priorité destinés aux cadres politiques et administratifs.

Les vicissitudes de la construction du pont Thăng Long85

Le pont Thăng Long est le second pont érigé sur le fleuve Rouge après le pont Long Biên qui fut construit au début du 20ème siècle durant la période coloniale française. Inscrit dans le premier schéma directeur de la capitale86 approuvé en 1965, ce projet d’infrastructure a dans la foulée été avalisé par la direction du Parti et par le gouvernement. C’est en 1971 que les autorités ont entamé des négociations avec la République Populaire de Chine pour lui confier la construction de cet ouvrage.

La conception du pont a officiellement débuté en 1974 sous la houlette d’ingénieurs et architectes chinois. A partir de 1976, l’opération a commencé à ralentir en raison de la dégradation des relations bilatérales entre le Vietnam et la Chine. Cette dernière s’étant définitivement retirée du projet en 1978, les autorités vietnamiennes ont confié la reprise de l’opération à une nouvelle équipe d’ingénieurs et d’architectes soviétiques. Dans ce projet, l’Union Soviétique a assuré une assistance technique et financière. Parmi les ingénieurs et architectes soviétiques ayant travaillé sur cette opération, mentionnons la présence de Kanyghin87 qui a participé à de nombreuses réalisations dans le cadre de la coopération entre l’Union Soviétique et le Vietnam. La maîtrise d’œuvre, assistée par les experts soviétiques, a été assurée par l’entreprise de construction Thăng Long appartenant à l’époque au Ministère des Transports.

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Cette section s’appuie sur le récit de la construction du pont publié dans le journal Pháp luật. Hoàng Thư, 22/06/2010, Cầu Thăng Long - câu chuyện “tầm nhìn”, [Pont Thang Long, récit d’une « vision »]. Article en ligne : http://phapluattp.vn/20100614111228990p0c1013/cau-thang-long-cau-chuyen-tam-nhin.htm

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Voir les plans d’aménagement de Hanoi de 1956-1960 et 1960-1964, in Lê Hồng Kế (2010). 87

Alexander Alexandrovich Kanyghin a participé à de nombreux projets à Hanoi et au Vietnam entre 1981 et 1987. Issu de l’école de la construction de Moscou, cet architecte travaillait pour la compagnie

Technostroiexport et opéra au Vietnam en appliquant les standards techniques soviétiques (Logan, 2000, p.195). Illustration 1.4 : Inauguration du pont Thăng Long le 9 mai 1985.

Source : Hoàng Thư, Cầu Thăng Long - câu chuyện “tầm nhìn”, [Pont Thang Long, récit d’une vision] 22/06/2010.

Indications : Image de gauche, l’entrée du pont au nord de Hanoi (côté arrondissement Đông Anh). Image de droite, inauguration du monument d’amitié et de coopération entre le Vietnam et l’Union Soviétique situé à l’entrée du pont (coté arrondissement de Từ Liêm).

Cette opération est devenue l’une des priorités du gouvernement en raison de la mise en chantier de l’aéroport de Nội Bài88 au nord de la ville. Le projet finalement proposé en 1979 permettait de lier l’arrondissement de Từ Liêm à celui de Đông Anh, de desservir l’aéroport, de favoriser les connexions avec les zones de production industrielle situées au nord de Hanoi (Thái Nguyên, Vĩnh Yên et Xuân Hoà) et de promouvoir le développement de nouvelles zones de production comme le prévoyait le schéma directeur de 1964 (cf. illustration 1.1b).

Concernant ses fonctionnalités, le pont assure depuis la liaison des réseaux routiers, ferroviaires, électriques et d’adduction d’eau. La structure massive réalisée sur deux niveaux a été dimensionnée pour accueillir un trafic de 6000 véhicules/jour. En fait, comme les déplacements au début des années 1980 étaient assurés à 80% par la bicyclette, le pont n’a pas semblé jouer pleinement son rôle et paraissait surdimensionné. En revanche, la liaison ferroviaire a permis de dériver les trains, notamment les trains de marchandises, de leur passage par le centre de Hanoi. La question du surdimensionnement s’est de même posée pour l’installation de l’aéroport de Nội Bài qui devait être implanté à plus de 65 km du cœur historique de la capitale. Cet écart était en partie imputé au surdimensionnement de l’ensemble du plan d’aménagement de Hanoi à l’horizon des années 2000. Il faut attendre 1991 pour que la voie rapide reliant l’aéroport (Bắc Thăng Long-Nội Bài) au pont soit achevée. Le pont constitue pour l’époque, pour le Vietnam et la région d’Asie du Sud-Est, une prouesse technologique. Il facilite

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La construction de l’aéroport de Nội Bài a été lancée en 1978 pour accueillir des vols internationaux. La réalisation du principal terminal destiné à accueillir les voyageurs a mis plus de 10 ans.

Illutration 1.5 : Le double niveau du pont Thăng Long.

Source : de l’auteur (2010).

Indications : Au niveau inférieur du pont sont établis les réseaux électriques, d’adduction d’eau, la voie ferrée et les voies réservées aux deux roues. Au niveau supérieur, les voies sont réservées au trafic routier.

la continuité de quatre réseaux répartis sur deux niveaux ; le pont ferroviaire présente une longueur d’environ 5 km alors que le pont routier possède une portée de 3 km.

Les premiers travaux ayant débuté en 1979, le pont a finalement été opérationnel au cours de l’année 1984 puis officiellement inauguré en 1985. Cette construction a fait des émules, car très rapidement le gouvernement a impulsé la mise en chantier d’un troisième pont, celui de Chương Dương, parallèle au pont Long Biên. Sa conception a débuté en 1982, et sa mise en service était effective en 1986, soit un an après le pont Thăng Long. De conception plus simple que Thăng Long, Chương Dương a été construit par la même entreprise locale. Ce pont assure essentiellement une liaison routière ; sa conception et son financement sont l’œuvre du seul gouvernement vietnamien.

Bien que le pont Thăng Long ait été présenté comme une réussite technique au Vietnam, sa conception et sa construction ont été soumises aux aléas de la coopération : retrait de l’aide chinoise, reprise en main du projet par l’aide soviétique et évolution du projet. Parallèlement, l’extension des délais et l’augmentation des coûts de réalisation ont été des sujets discutés dans les relations bilatérales entre l’Union Soviétique et le gouvernement vietnamien, sans pour autant que des solutions aient été proposées pour accélérer et mieux encadrer la conduite de ces projets d’infrastructures.

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