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Une coopération urbaine, des logiques d’action

3.2 Les coopérations « poids lourds », entre aide financière et aide conceptuelle

3.2.1 Le financement et l’expertise, le double atout de la coopération japonaise

3.2.1.1 Des capitaux volumineux assortis de conditions d’utilisation attrayantes

Au premier abord, la ligne stratégique de l’aide bilatérale japonaise dans le secteur du transport urbain à Hanoi se veut pragmatique et vise à assister les autorités à résorber la congestion routière. Pour y parvenir, la coopération japonaise suggère deux types d’actions : densifier et moderniser le réseau routier existant ; construire de nouveaux équipements de transport, surtout des lignes de métro de type Urban Mass Rapid Transit (UMRT)145. Le premier volet de l’offre en coopération japonaise repose sur des propositions de financement pour la construction d’équipements routiers (autoroutes, ponts, routes en élévation, diffuseurs autoroutiers), dans le but de renforcer l’accessibilité de la région capitale et de favoriser son développement économique. Le second volet de cette offre porte sur une assistance financière et technique relative à l’installation de lignes d’UMRT. Cette option vise notamment à résorber le phénomène de congestion dans les arrondissements centraux et péricentraux de la capitale.

Mais derrière ces propositions techniques de l’offre en coopération japonaise apparait une autre logique d’action qui relève d’une logique financière singulière. Pour la construction de méga-infrastructures de transport, la coopération japonaise se démarque de ces consœurs par sa capacité à mobiliser des capitaux volumineux, sans l’adjonction d’autres sources budgétaires extérieures, et par sa capacité à proposer des conditions de financement attrayantes, mais impliquant en contrepartie le recours à une expertise et à des technologies d’origines japonaises.

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Il s’agit là de modes de transport ferroviaire urbain de haute capacité. En France, le système de lignes de RER exploité en région parisienne est considéré comme un UMRT.

Nom du projet Montant des crédits approuvés (millions USD) Année de signature du prêt Taux d’intérêt (en %) Période de remboursement / période de grâce Type d’aide Transport infrastructure

development project in Hanoi 152 1998 1,8 30/10 Liée/déliée

Red River bridge construction project (I, II, III, IV) 517

1999/2001/2003

/2005 1,8 40/10 Liée/déliée

New national highway n°3 and regional road network construction project section Hanoi-Thai Nguyen

153 2004 1,3 30/10 Liée/déliée

Nhat Tan bridge construction

project (I, II) 415 2005/2010 0,4 40/10 Liée

Hanoi city ring road n°3 342 2007 1,2 30/10 Liée/Déliée

Hanoi city urban railway construction project (Line 1) (Engineering/Study)

57 2008 0,01 40/10 Liée

Hanoi city urban railway construction project: Nam Thang Long – Tran

Hung Dao section (Line 2) (I)

180 2009 0,2 40/10 Liée

Noi Bai International Airport

/ Terminal 2 252 2009 0,2 40/10 Liée

Expressway Noi Bai International Airport to Nhat Tan bridge (I)

80 2009 1,2 30/10 Liée/Déliée

Pour illustrer notre propos, nous avons étudié le cas de plusieurs méga-projets financés par la coopération japonaise et examiné leur modalité de financement (le tableau 3.2 rend compte de manière synthétique de ce travail). On relèvera tout d’abord que dans cette liste le crédit le plus faible accordé par le Japon pour la réalisation du « Transport infrastructure development project in Hanoi » en 1998 était de 152 millions USD. Pour donner un ordre d’idées, la même année, le second donateur bilatéral du Vietnam, en l’occurrence la France, décaissait à l’échelle du pays 66 millions USD146. Cela souligne l’intérêt majeur du Japon pour le financement de projets de transport, mais aussi sa capacité à mobiliser des capitaux volumineux. La seconde remarque que nous formulons porte sur les conditions financières d’emprunt. Le gouvernement japonais propose des prêts à faibles taux d’intérêt, ces derniers sont quasi-nuls lorsque le financement apporté est « lié »147. Concernant les informations relatives aux taux d’intérêt, à la période de remboursement et à la période de grâce, nous avons

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Données Ministère des Affaires Etrangères japonais (www.mofa.go.jp/policy/oda/data/01ap_ea02.html) 147

Les prêts les plus avantageux proposés par la coopération japonaise sont les prêts « STEP » (Special Terms for Economic Partnership). Ces prêts présentent des conditions d’emprunt préférentielles (taux d’intérêt compris entre 0,01% et 0,3% ; période de grâce de 10 ans ; période de remboursement entre 30 et 40 ans) et sont octroyés pour financer des projets d’infrastructures (ponts, tunnels, aéroports, routes, métro). En contrepartie, l’emprunteur, pour la réalisation des projets, s’engage à utiliser des équipements et du matériel fournis par des entreprises japonaises, à recourir à une technologie et à un savoir-faire d’origine japonais. Les soumissionnaires choisis dans le cadre des appels d’offres sont des firmes japonaises ou des joint-ventures dans lesquelles le partenaire japonais est « leader ».

Tableau 3.2 : Crédits accordés pour la construction de méga-infrastructures par la coopération japonaise à Hanoi entre 1998 et 2010

Source : à partir des communiqués de presse diffusés sur le site Internet de la JICA (http://www.jica.go.jp) Indications : les chiffres romains (I, II, III…) renvoient aux nombres d’enveloppes de crédits qui ont été alloué pour chaque projet. Par exemple, le projet relatif à la voie rapide entre le pont Nhat Tan et l’aéroport n’a pas encore reçu la totalité des crédits qui lui sont pourtant déjà alloués de manière prévisionnelle.

cherché à faire un rapprochement entre l’offre japonaise et d’autres offres bilatérales. Ne disposant que d’éléments épars, il nous fut difficile de comparer terme à terme les offres entre elles. En attendant, au cours de notre enquête, un consultant vietnamien indépendant nous indiquait que les prêts de l’aide japonaise s’avéraient plus compétitifs que ceux proposés par d’autres coopérations ; le Yen japonais, la devise dans laquelle sont émis ces prêts, présente pour l’emprunteur vietnamien des taux de conversion plus favorables que le dollar US ou l’Euro lors du remboursement.

Mais la raison pour laquelle le gouvernement japonais est en mesure de proposer des conditions financières aussi avantageuses, c’est que l’aide apportée est « liée », ou bien partiellement « déliée », et que ces opérations offrent de manière indirecte, et sur la longue durée, un retour sur investissement à l’archipel, grâce à l’implication de sociétés japonaises. Dans le cas du projet de pont « Nhat Tan », qui est financé grâce à un aide « liée », les entreprises (consultants et maître d’œuvre) participantes sont japonaises. On retrouve par exemple les consultants Nippon Engineering et Chodai, et parmi les entreprises de génie civil, interviennent le keiretsu Sumitomo ou encore la Tokyu Corporation. Lorsque l’aide est partiellement « déliée », d’autres formes de partenariat apparaissent. Dans ces cas, le consultant général est d’origine japonaise et le contractant principal peut être une firme locale ou étrangère. C’est du moins ce que suggère le cas du projet du périphérique n°3 (« Hanoi city ring road n°3 »), dans lequel la supervision est assurée par des firmes japonaises assistées de firmes locales148 et une joint-venture entre une entreprise vietnamienne (Cienco 4) et un groupe de construction sud-coréen (Samwhan) endosse le rôle de maître d’œuvre.

Bien que le Japon s’évertue à délier son aide, comme l’y encourage le Comité d’Aide au Développement de l’OCDE149, dans le secteur stratégique du transport, la logique de l’aide « liée » l’emporte et persiste. En fait, le Japon annonce qu’un prêt est « délié », même si dans les conditions d’utilisation des fonds mis à disposition il requiert que le consultant principal, ou le premier contractant, soit une firme japonaise150. Pour la coopération japonaise, la nuance entre aide « liée » et aide « déliée » apparait à travers la sélection des sous-contractants, qui eux peuvent être des entreprises locales ou étrangères.

Enfin, au-delà des avantages financiers et des contreparties de l’aide « liée », insistons sur le fait que les volumes des prêts japonais sont tels que la coopération japonaise dispose de suffisamment de ressources (financières et techniques) pour mettre en place un système d’assistance complet soutenant la maîtrise d’ouvrage vietnamienne, voire s’y substituant, dans la réalisation et la mise en opération des méga-infrastructures. En ce sens, il se dessine avec l’offre en coopération japonaise la mise sur le marché de l’aide des projets « clés en main » qui, malgré le fléchage de l’utilisation des fonds,

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Il s’agit en l’occurrence des compagnies Oriental Consultant et Katahira & engineering international du côté japonais et de quatre consultants locaux dont le Transport Engineering Design Incorporation (TEDI). 149

Les grandes organisations internationales (OCDE, Union Européenne) plaident en faveur du déliement de l’aide. Le déliement de l’aide, autrement dit la suppression des obstacles juridiques et réglementaires à l’ouverture à la concurrence pour la passation des marchés financés par l’aide, permettrait, d’après l’OCDE, d’accroître l’efficacité de l’aide en réduisant les coûts de transaction et en améliorant la capacité des pays bénéficiaires de définir eux-mêmes la voie à suivre.

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semblent convenir aux autorités vietnamiennes. Au final, l’approche « clés en main » de la coopération japonaise réduit les risques de négociations longues et les problèmes d’interface de gestion entre de nombreux fournisseurs et sous-traitants. La machinerie de l’expertise technique et financière de l’aide japonaise s’en charge.

En attendant, même si l’aide japonaise paraît offrir des conditions d’emprunt très favorables auxquelles s’accommodent les autorités, c’est aussi avec ces propositions de capitaux volumineux que la coopération japonaise exerce une « pression » mesurée et constante sur le gouvernement vietnamien. C’est là un autre aspect de la logique d’action de la coopération japonaise sur lequel nous avons peu d’éléments concrets sur lesquels nous appuyer. Au cours de nos enquêtes, certains consultants vietnamiens ayant accès aux sphères ministérielles nous ont indiqué qu’il arrive que sur la proposition d’offres japonaises de financement, si aucune objection n’est émise de la part de dirigeants politiques, des accords de prêts soient signés, même si les projets ne font pas l’unanimité au sein des instances de décision. Quelques rares projets suscitent toutefois des levées de boucliers, en particulier au sein de l’Assemblée Nationale151. Lorsque des projets sont jugés inadaptés et décalés par rapport aux plans de développement socioéconomiques par des députés, ou encore par des personnalités bien placées dans l’appareil politique du Parti, ces opérations peuvent ne pas aboutir. Mais dans le cas de Hanoi, et en ce qui concerne le transport urbain, nous n’avons pas relevé de telles manifestations.

3.2.1.2 L’expertise, les études et les subventions comme éléments majeurs d’influence et de

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