• Aucun résultat trouvé

L’aide internationale au Vietnam et l’ancrage de la coopération urbaine à Hanoi

2.1 De l’acteur au secteur, les mouvements de recomposition de la coopération

2.1.2 Le réagencement des dispositifs multilatéraux

A la fin des années 1970 et au début des années 1980, seules quelques agences des Nations-Unies95, comme le Programme des Nations Unies pour le Développement, ont maintenu des représentations au Vietnam. Le PNUD a conservé durant les années 1980 certaines activités, notamment en matière d’expertise dans le secteur de la construction96. Alors que les acteurs de l’aide multilatérale faisaient leur retour au Vietnam au début des années 1990, le PNUD a été chargé par le gouvernement vietnamien d’assurer leur coordination lors de l’organisation de la première conférence des bailleurs de fonds du Vietnam qui s’est tenue à Paris les 9 et 10 novembre 1993. Cette conférence marqua officiellement la reprise des activités des Institutions Financières Internationales (IFI) dans le pays.

Les prêts engagés par la Banque mondiale au Vietnam avaient été suspendus en 1978 sous la pression du gouvernement américain (Gwin, 1997). Ce dernier était en mesure d’imposer son véto au sein des instances de décisions des institutions Bretton Woods et de bloquer toute décision à l’encontre du Vietnam. Toutefois, il ne pouvait pas s’opposer au passage d’experts à Hanoi. D’après Martini (2007, p.190), quelques missions du FMI se sont rendues au Vietnam dans les années 1980. Celles-ci ont fait la promotion de réformes concernant la privatisation de ressources contrôlée par l’Etat, encouragé l’établissement d’un code d’investissement pour les entreprises étrangères, et prôné l’arrêt du système

95

A la suite de la réunification du Vietnam, les agences onusiennes ont ouvert des bureaux de représentation à Hanoi : le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) en 1977 ; le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) en 1977 ; l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (UNIDO) en 1976 ; le Fonds d’équipement des Nations unies (FENU – UNCDF) en 1978 ; l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) en 1977 ; le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) en 1976 ; l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en 1978. La plupart de ces agences ont relancé leurs activités au Vietnam au début des années 1990. Pour certaines, comme la FAO ou le PNUD, des activités ont perduré au Vietnam durant la décennie 1980. Actuellement, le Vietnam compte une quinzaine de coopérations avec des organisations internationales.

96

de subventions dans les secteurs industriel et agricole. Ces missions prenaient place dans le cadre des consultations des membres de l’institution dont le Vietnam réunifié faisait partie depuis 1976.

Coopération Multilatérale active en 2010

Année officielle

d’activité Remarques

Banque mondiale (groupe) 1993 Dès 1990, organisations de missions d’équipes d’économistes auprès du gouvernement vietnamien Fonds Monétaire International 1956

Le Sud-Vietnam était membre du FMI, lors de la réunification du pays, la République Socialiste du Vietnam a conservé cette adhésion

Banque Asiatique de

Développement (1966) 1993

Le Sud-Vietnam était membre à partir de 1966. Après une période de suspension, en 1995 la BAD a accordé ses premiers prêts au Vietnam.

Banque d'Investissement Nordique 1996

La Banque cofinance des projets dans les domaines de prédilection des coopérations bilatérales scandinaves (Suède, Norvège, Danemark), en particulier dans le secteur de l’eau.

Fonds de Développement Nordique 1989

Le fonds est actif dans sur le thème du changement climatique. Il cofinance des projets sous forme de subventions.

Fonds du Koweït 1979

Ce fonds a été particulièrement actif dans l’aide alimentaire, sanitaire dans les années 1980, désormais les crédits sont orientés vers l’appui au développement de l’industrie pétrolière.

Fonds International de Dév. de

l'OPEP 1978

Ce fonds a œuvré dans le domaine de l’aide alimentaire et sanitaire dans les années 1980. En 2011, signature d’un accord sur le financement à hauteur de 22,5 millions USD d’un projet dans le secteur de la santé.

C’est au regard de ces liens que l’historien Gabriel Kolko (1997, p.33) précise que les réformes du đổi

mới s’inspirent en partie des mesures prescrites par le FMI97. A la fin des années 1980, à la demande du gouvernement vietnamien, le FMI, la Banque mondiale et la Banque Asiatique de Développement ont envoyé à Hanoi des délégations pour travailler sur des plans anticipant la reprise des prêts. Comme l’a indiqué Phạm Chi Lan98, en 1988 et 1989, des missions de travail se sont succédé avant la reprise des relations officielles avec les IFI. Avec humour, elle précise qu’en amont de l’octroi des premiers prêts, « David Dollar [économiste de la Banque mondiale] a été le premier dollar que le Vietnam ait perçu »99. Pour cette économiste, le retour de la Banque mondiale a permis de fournir une assistance

97

Concrètement, le résultat de ses mesures s’est soldé par : la suppression des subventions, le contrôle des budgets, l’ajustement du taux de change et la dévaluation du dông, la libéralisation des prix, l’établissement de forfait pour le système de santé et l’éducation.

98

Economiste, Phạm Chi Lan a été membre de la Commission de recherche auprès du Premier Ministre sur les questions de relations internationales et d’économies extérieures.

99

Propos tenus dans le cadre du colloque sur le rôle et les activités de la Banque mondiale au Vietnam organisé à Hanoi le 12/10/2009 au centre culturel français pour le lancement de l'ouvrage La Banque mondiale :

chercher le modèle de développement et le cas du Vietnam de J-P Cling, M. Razafindrakoto et F. Roubaud. Tableau 2.2 : Les coopérations du Vietnam avec les institutions financières multilatérales en 2010

Source : Ministry of Planning and Investment (document non publié, Overview of ODA mobilization and

technique au gouvernement vietnamien et de lancer des politiques adaptées et pertinentes dans une période où l’économie du pays était exsangue.

En raison de l’abandon du système d’économie administrée, le FMI a alors considéré dès le début des années 1990 le Vietnam comme un nouveau prétendant possible à son aide financière100. Les réformes engagées et les politiques de stabilisation financière, comprendre par-là le règlement de la dette à laquelle ont contribué la France et le Japon, ont ainsi accéléré le retour d’autres organisations financières dans le pays (tableau 2.2). Toutefois, malgré la reprise des relations avec les institutions financières internationales et l’octroi de prêts dès 1993, le Vietnam est loin d’avoir adopté les préceptes de l’orthodoxie financière libérale diffusée par ces organisations. En 1996 par exemple, la Banque mondiale, le FMI et le gouvernement vietnamien se sont entendus sur la signature d’un « Policy Framework Paper », un document-cadre déclinant des politiques économiques à mettre en œuvre. Ce dernier n’a jamais été appliqué (Hayton, 2010, p.7). L’action de la Banque mondiale au Vietnam ne peut donc pas se résumer à une caricature du Consensus de Washington (Cling et al., 2009). La libéralisation économique ne s’effectue pas à marche forcée, mais bien avec vigilance, et la privatisation des entreprises publiques se déroule par étape, en suivant un modèle d’actionarisation développé par le gouvernement (Gainsborough, 2010). Un autre exemple éclairant le rythme prudent des réformes concerne le domaine foncier. Si la loi foncière qu’a adoptée le Vietnam en 1993 établit un Droit d’Usage du Sol, c’est-à-dire un système où l’abusus et le fructus sont reconnus aux particuliers et où l’usus reste aux mains de l’Etat, ce dernier conserve le droit de reprendre le cas échéant le bien foncier. La reconnaissance d’un droit de propriété foncière absolu ne s’est pas concrétisée au Vietnam, comme la Banque mondiale le préconisait à l’ensemble des pays de l’ex-bloc socialiste pour assurer leur transition du « plan vers le marché » (World Bank, 1996).

Au regard de ces exemples, l’idée à retenir est que le gouvernement vietnamien a certes engagé des réformes qui s’apparentent à celles promues par les institutions financières internationales, mais celles-ci n’ont pas été conduites à leur terme et dans les configurations prodiguées par les bailleurs. En définitive, les autorités se sont passées des services du FMI, mais ont accepté ceux de la Banque mondiale et des autres donateurs. Le Vietnam ne s’est pas converti à l’économie libérale, mais a adopté une économie de marché à orientation socialiste. En d’autres termes, cela signifie que l’économie reste sous le contrôle du Parti grâce à une supervision des entreprises d’Etats et des

joint-ventures, ou encore à travers le réseau des membres du Parti récemment autorisés à s’associer au

secteur privé101. Dans ce contexte, parmi les actions de coopération pouvant être engagées, le financement de projets d’infrastructure urbaine est apparu comme une brèche pour les bailleurs dans laquelle ils pouvaient apporter une aide conceptuelle sans pour autant brusquer le rythme des réformes conduites et agir de manière trop intrusive.

100

Selon le rapport de Dodsworth (1996, p.1-2), le Vietnam était en mesure de rapidement mettre à profit l’aide financière pouvant être accordé par le FMI, puisque la structure de production du pays (et notamment le secteur des hydrocarbures) était capable d’offrir une réponse rapide à une demande tant pour le marché interne qu’à l’export ; et les pays de la zone Asie Pacifique étaient des investisseurs potentiels comme des destinations propices à l’exportation de produits vietnamiens.

101

Depuis quelques années, le cas du Vietnam est ainsi lié au syndrome du « poster boy »102. La Banque mondiale et les autres opérateurs du développement émettent peu de critiques à l’encontre de leur client, puisque ces organisations ont besoin de légitimer leur discours et leurs actions en s’appuyant sur un succès visible des politiques de développement qu’elles prescrivent. L’Indonésie était un « poster boy » de la Banque jusqu’à ce que la crise financière de 1997 ne la déchoie de ce statut. Le Vietnam a donc repris le flambeau. Cependant, le Vietnam est actuellement perçu comme un modèle aux yeux de la Banque, alors même que celle-ci n’a pas pu y conduire les politiques économiques qu’elle souhaitait y mener (Hayton, 2010, p.7). Pour autant, depuis 1993, l’aide de la Banque mondiale, comme des celle des autres donateurs bilatéraux et multilatéraux, a particulièrement été affluente, notamment dans le secteur des infrastructures économiques.

Outline

Documents relatifs