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Planification des transports : l’expertise internationale imprime sa marque

5.2 Composer avec l’originalité de la planification vietnamienne

5.2.2 La planification du transport urbain à l’échelon central

A ce niveau, les différentes responsabilités (planification du développement des infrastructures, gestion des routes, synchronisation du développement des transports avec l’utilisation des sols) sont partagées. La prise de décision est fragmentée et émane de plusieurs ministères (voir Annexe 5.4). Toutefois, pour saisir les choix établis en matière d’aménagement et de développement du secteur des transports, ce que l’on cherche à comprendre c’est le poids dans la décision finale de telle ou telle institution. Bien que le consensus des différentes agences ministérielles soit requis pour obtenir l’approbation du Premier Ministre, le processus de décision mobilise différents corps ministériels.

5.2.2.1 Le Ministère des Transports, l’institution légitime

Cette institution a pour fonction d’assurer la gestion et le développement du transport routier, ferroviaire et fluvial, maritime et aérien à l’échelle nationale. Le Ministère émet aussi les politiques et les normes que les échelons inférieurs doivent appliquer. Toutefois, même si cette institution est légitime pour organiser le transport urbain, elle ne possède aucun service spécifiquement dédié à ce secteur. De même, il n’existe pas de commission interministérielle en la matière bien que le thème de la mobilité urbaine relève d’une approche multisectorielle. Cependant, si le MOT ne parait pas tenir d’une même main les rênes du transport urbain, le ministère s’appuie sur deux structures externalisées, le « Transport Engineering Design Incorporated » (TEDI) et le « Transport Development Strategy Institute » (TDSI), pour en garantir la cohérence. Ces entités officient comme « consultants gouvernementaux ». La première œuvre dans la dimension opérationnelle, avec la réalisation d’études, d’outils de planification et d’équipements de transport ; la seconde est associée à la dimension stratégique, avec l’élaboration des politiques publiques.

Créé en 1962, le TEDI était à l’origine une société d’ingénierie spécialisée dans le domaine des infrastructures de transport appartenant au Ministère. Elle était chargée de la conception d’infrastructures. En 1995, sous l’impulsion de la réforme touchant les entreprises d’Etat, TEDI a été partiellement privatisé. Elle s’est ensuite constituée en corporation regroupant cinq entreprises différentes. La corporation a créé parallèlement des joint-ventures, dont par exemple APECO avec le consultant japonais Pacific Consultant International, et une dizaine de filiales. Pour le compte du MOT, cette corporation réalise de nombreuses études238, des plans sectoriels et assume également le rôle de maître d’œuvre public externe. TEDI enregistre désormais des bénéfices importants239 et grâce à sa position aux côtés du ministère, la société est en situation de monopole pour la conduite d’études et la réalisation d’équipements de transport à travers tout le pays.

La seconde structure, le TDSI, est chargée d’élaborer les stratégies du MOT à l’échelle nationale, régionale, provinciale, urbaine et de conduire des études. Pour bien différencier les deux structures

238

On peut citer récemment l’étude sur le tracé du 4ème périphérique de Hanoi, les études sur la construction des autoroutes urbaines en élévation qui devraient doubler les ceintures périphériques n°2 et n°3, ou encore les propositions de réhabilitation du pont Long Biên.

239

Le TEDI a doublé ses revenus entre 2009 et 2010 avec un bénéfice record de 30 millions USD (Giao

liées au MOT, le TDSI s’occupe de l’élaboration des politiques alors que le TEDI est spécialisé dans la réalisation des plans et des infrastructures. Le TEDI, société « actionarisée », reste sous le contrôle indirect du MOT, alors que le budget et le programme du TDSI sont supervisés par le ministère. L’institut peut toutefois entreprendre des études sur des bases contractuelles avec des villes ou d’autres clients, comme le sont les bailleurs de fonds internationaux. D’après un ancien cadre du TDSI, cette activité permet d’apporter des revenus substantiels aux employés. Toutefois, l’institut est tenu de reverser une partie des gains (environ 20%) obtenus dans le cadre de son activité de consultance à son institution de tutelle. Depuis le début des années 1990, le TDSI a multiplié les partenariats institutionnels avec l’expertise internationale. Cette structure est ainsi devenue un interlocuteur incontournable pour tisser des coopérations dans le domaine des transports en général et dans le secteur du transport urbain en particulier.

Les rôles dévolus au TEDI et au TDSI sont importants, puisque ces structures constituent la force d’action du MOT dans le secteur du transport urbain. Ce sont là des acteurs de premier plan dans le développement du réseau de transport hanoien sur lesquels l’échelon provincial s’appuie pour élaborer ses plans et construire ses équipements. Leur poids est également renforcé en raison de l’évolution récente de leur organisation. Grâce à ses nombreux partenariats et à l’instauration de coopérations institutionnalisées, le TDSI a accumulé une expertise désormais reconnue. La puissance commerciale et financière confère également un rayonnement national et désormais international au TEDI240.

5.2.2.2 Le Ministère de la Construction, l’institution « pilote »

En amont de la planification produite sous l’égide du MOT, le Ministère de la Construction (MOC) fixe dans les schémas d’aménagement urbain dont il supervise l’élaboration les grandes orientations du développement des infrastructures de transport. Lorsqu’un plan issu du MOC est approuvé par le gouvernement, celui-ci est ensuite décliné par d’autres ministères (transport, ressources naturelles et industrie) en plans sectoriels.

L’examen des étapes relatives à la production du plan sectoriel de transport fondé sur les orientations du schéma directeur de Hanoi de 1998 illustre le morcèlement des compétences en matière de transport des acteurs relevant du niveau central (figure 5.7). L’attention portée à la production de ce plan livre une explication sur la lenteur du processus de planification : cinq années ont été nécessaires entre l’approbation du plan du MOC et la livraison du plan sectoriel en 2003. De son côté, pour atténuer cette inertie, le MOC revendique une responsabilité accrue dans le domaine des déplacements, puisqu’il est déjà le principal responsable en matière d’aménagement urbain (Rosier, 2003).

240

On pourra se référer à la recherche produite dans le cadre PRUD intitulée « Les consultants internationaux et leurs rapports à l’ingénierie locale dans les infrastructures urbaines au Vietnam (et prolongement sur le cas du Cambodge) » (Baye et al., 2004). Les auteurs ont mis en évidence l’activité de l’ingénierie locale vietnamienne. Le TEDI, dans le domaine des transports, y est présenté comme une organisation issue de l’ingénierie publique connaissant une forte diversification de ses activités et de ses partenariats au Vietnam et à l’étranger (principalement au Laos et au Cambodge).

Figure 5.7 : Les étapes de l’élaboration du plan sectoriel des transports de Hanoi pour 2020

Source : figure de synthèse élaborée grâce aux informations transmises par un cadre retraité du TDSI, 2010. Après l’extension des limites administratives de Hanoi intervenue en 2008, l’élaboration du dernier schéma directeur a également laissé entrevoir des difficultés de coordination entre les différents ministères et le niveau central et provincial. Les experts étrangers associés à l’élaboration et à l’évaluation du schéma directeur pour Hanoi en 2030 ont émis plusieurs recommandations auprès du MOC au sujet du développement du réseau de transport métropolitain. Selon eux, le schéma directeur dans sa version définitive privilégiait les équipements routiers au détriment du transport public. Egalement, certains tracés routiers manquaient de justifications et pouvaient altérer l’équilibre général de l’organisation spatiale du schéma proposé. Sur ces points, des précisions dans le plan s’imposaient. Lors de la dernière réunion du comité d’évaluation du schéma directeur, la réponse d’un des responsables du MOC a été la suivante : « le plan sectoriel du transport du Nouveau Hanoi sera approfondi et traité par le Ministère des Transports, cela après approbation par le Premier Ministre du plan proposé par le Ministère de la Construction »241.

En clair, la question des transports urbains n’a pas pu être arrêtée lors de la production du schéma directeur piloté par le MOC, seules les orientations ont été dressées. L’inertie observée précédemment dans le cadre de la formulation du plan de 1998 se répète.

5.2.2.3 Le Ministère des Ressources Naturelles et de l’Environnement, la « clé de voûte »

Au Vietnam, le Ministère des Ressources Naturelles et de l’Environnement (MONRE) est indirectement un acteur majeur de la planification du transport urbain, mais il en assure pourtant l’équilibre. C’est lui qui est responsable de la gestion foncière et qui, parmi ses missions, formule le plan sectoriel relatif à l’usage des terres. Dans la pratique, la planification de l’affectation des sols

241

Propos recueilli lors de la réunion du Comité d’Evaluation du Schéma Directeur de Hanoi pour 2030, vision 2050, le 7 septembre 2010, au Ministère de la Construction.

1998

Le schéma directeur pour 2020 établi par le MOC pour Hanoi est approuvé.

Le document pose les principales orientations pour l’élaboration du plan sectoriel des transports.

2001

TEDI et le TDSI préparent le plan transport de Hanoi pour 2020. Le plan est livré en 2003 par le TEDI. En raison du processus “démocratique” d’examen des documents de planification, tous les ministères (Défense, Ressources Naturelles, Construction, Finances, Plan et Investissement…) ainsi que le Comité Populaire ont eu à apporter des commentaires au plan préparé.

2008

Le plan est révisé. Entre temps les recommandations du plan d’aménagement proposé en 2007 par la coopération japonaise (HAIDEP) sont intégrées au plan transport de Hanoi pour 2020. Ce plan est approuvé par la décision n°90 du Premier Ministre en juillet 2008.

La décision d’élargir le territoire de Hanoi est appliquée le 1er août 2008. La décision n°90 relative aux transports reste valide, mais doit être ajustée au nouveau territoire.

2011

Le nouveau schéma directeur de Hanoi pour 2030, vision 2050, élaboré sous l’égide du MOC a été remis au Premier Ministre en août 2011. Le plan sectoriel pour les transports doit être réalisé sur la base des orientations de développement urbain.

s’élabore sur la base de ratios et se fonde sur une approche quantitative. En somme, cette planification théorique et arithmétique fixe des objectifs peu réalisables et priorisés. A chaque échelle territoriale, les documents produits attribuent une surface déterminée pour le développement d’une fonction. Par exemple, les derniers critères élaborés pour le déplacement dans les « villes spéciales », catégorie à laquelle appartient Hanoi, prévoient de dédier 20 à 26% des sols au transport dans les zones urbaines et 3 à 5% au stationnement (Luu Duc Hai, 2010). Le MONRE se fonde sur ce type de critères pour élaborer ses plans. Or ces objectifs inscrits dans les documents de planification sont rarement atteints.

Cette déconnexion entre les objectifs du plan et la réalité est pointée dans certains travaux de recherche (Mellac et al., 2010) et dans plusieurs rapports d’expertise. Les critiques émanent tant d’experts locaux (Ly Huy Tuan, 2010) que d’experts internationaux (Wilson, 2009). Le discours de ces experts peut être résumé ainsi : les schémas d’aménagement, qu’ils soient pour l’usage du sol, la construction ou les transports, sont dépourvus d’approche stratégique242 et se bornent à multiplier les réglementations techniques. Ce sont des outils censés guider l’investissement, mais les mécanismes à l’œuvre portés par le marché viennent contredire l’approche prescriptive du plan (Wilson, 2009). Ces outils sont fondés sur une vision idéale et non pas sur un diagnostic approfondi de l’existant (Ly Huy Tuan, 2010, p.288). Dans ce contexte, l’écart se creuse entre l’image projetée de la ville et ce qui est concrètement réalisé. Le directeur du Département des Transports de Hanoi reconnait même que : « la planification du développement des transports n’est pas liée à la planification de l’utilisation des terres »(Nguyen Quoc Hung, 2010, p.116).

Bien que les orientations relatives à l’usage des sols soient également tracées dans le schéma produit par le MOC, le MONRE est en mesure de s’opposer ou bien d’accélérer les démarches pour la constitution des réserves foncières nécessaires à la réalisation des équipements de transport. Pour cette raison, entre le MOT et le MOC, le ministère des Ressources naturelles constitue la « clé de voûte » du système de planification des transports urbains. De cette manière, en vertu de ses prérogatives, il conditionne la production des infrastructures sur le territoire de la capitale.

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