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Circuler à Hanoi : une mobilité conditionnée

4.2 Une capitale en cours d’asphyxie sous le regard de l’expertise étrangère

4.2.2 Une chaussée progressivement accaparée

Dans le sillage des premières études exploratoires, d’autres travaux réalisés entre les années 1990 et 2000, également préparés sous l’égide de coopérations internationales, ont complété et actualisé les données existantes sur la mobilité à Hanoi. A la différence des premières expertises, certains de ces travaux ont été effectués au préalable ou concomitamment à l’engagement de projets d’infrastructure192, d’autres ont associé directement des services de l’administration locale193.

Compte tenu de l’imposante part modale que représente la motocyclette (plus de 70% en 2004), Hanoi a été considérée dès le début des années 2000 comme une ville « moto-dépendante » (Khuat Viet Hung, 2006). En outre, en raison d’une croissance économique accélérée, de près de 10% par an entre

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Le rapport souligne par exemple qu’une des premières priorités doit être accordée à la création d’un anneau routier de grande capacité autour de la zone centrale incluant un passage ouest-sud/ouest vers le quartier de Giang Vo et le long de la rue La Thanh (SIDA, 1993, p.12).

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Citons par exemple le “Master Plan of Urban Transport for Hanoi City” (JICA 1997), l’étude de faisabilité du “Hanoi Urban Transport Development Project” (MVA Asia Limited, 2006) ou encore le plan HAIDEP (Almec, 2007).

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Nous faisons ici référence à l’étude réalisée en 2007-2008 en collaboration avec le Tramoc (Centre de gestion du transport public de Hanoi) en vue de la préparation du projet Ecotrans 2.

2001 et 2008 (PPJ, 2010), d’une croissance démographique rapide (de l’ordre de 3% par an depuis 1999) et de la hausse du nombre de véhicules individuels (motocyclettes et automobiles) dans une ville à la forme urbaine compacte et à l’urbanisation incontrôlée (ibid., 2006), la capitale a été touchée par un phénomène de congestion qui s’avère désormais chronique (illustrations 4.1 et 4.2). Dans les travaux d’expertises, la congestion routière apparait alors comme le problème majeur à régler pour améliorer les conditions de déplacements urbains (gestion du trafic, sécurité routière), avant même les nuisances (pollution atmosphérique, pollution sonore) que le trafic génère (Ngo Tho Hung, 2010). Surtout, il s’agit d’éviter que la congestion routière n’affecte le développement économique de la capitale, comme cela se produit dans plusieurs métropoles à l’échelle mondiale (Sweet, 2011).

Si les études portant sur les déplacements urbains soulignent que le nombre de motocyclettes est important (Hanoi en 2009 comptait 3,7 millions d’unités immatriculées, soit 600 motocyclettes pour 1000 habitants), l’impact supposé de la hausse du nombre d’automobiles194 reste encore peu traité dans ces travaux. Les observateurs s’interrogent évidemment sur le moment où la motocyclette laissera la place à l’automobile et certains signalent que « l’augmentation du nombre de voitures en circulation, aussi faible soit-il, aura des conséquences significatives sur la congestion urbaine » (MVA Asia Limited, 2006). Mais si l’on aborde le problème de la congestion sur un plan méthodologique en ne considérant que des critères quantitatifs, comme le font l’ont fait jusqu’à la fin des années 2000 la plupart des études sur le sujet, celles-ci montrent en fait que les difficultés de circulation sont causées par la hausse des véhicules privés, en l’occurrence celui des motocyclettes, puisqu’elles s’avèrent au regard des chiffres plus nombreuses que les automobiles. Malgré les mises en garde et les hypothèses concernant l’impact de la hausse des automobiles sur les conditions de circulation, peu d’études financées par l’aide internationale ont examiné le problème de congestion urbaine en diversifiant leurs critères d’analyse.

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Depuis le début des années 2000, avec la croissance économique remarquable que connait la capitale vietnamienne (autour de 10% par an), la hausse du niveau de vie des citadins et leur envie de posséder un symbole de réussite sociale, les ventes d’automobiles ont fortement progressé entre 2005 et 2010. L’essor de l’automobile au Vietnam est marqué par une demande de plus en plus forte et par une offre commerciale et un circuit de distribution qui se sont progressivement structurés. Malgré une volonté politique de limiter l’importation d’automobiles par la mise en place de droits de douane élevés, le parc automobile de Hanoi connait une progression annuelle de l’ordre de 13 %.

Illustration 4.1 : Congestion routière – Intersection Chua Boc/Tây Son

Source : de l’auteur, 2011

4.2.2.1 L’introduction d’une démarche innovante pour examiner la congestion urbaine

En 2007, une étude engagée dans le cadre du projet Ecotrans195 a toutefois développé une méthodologie innovante concernant l’observation des conditions de circulation. Des experts franciliens et allemands ont assisté leur partenaire, le Centre de gestion des transports publics (Tramoc), à conduire des comptages routiers de manière à rendre compte du phénomène de congestion en s’appuyant sur de nouvelles variables. L’étude avait pour objectif de comparer l’occupation de la chaussée et la consommation en carburant des différents modes de déplacement (figure 4.4) afin de démontrer l’économie d’énergie et d’espace que favorise le service du transport public par autobus.

Figure 4.4 : Les modes de transport urbain en 2008 à Hanoi. Comparaison entre la répartition modale, la surface d'occupation de la chaussée et la consommation de carburant (données exprimées en %)

Source : d’après le relevé de Tramoc, 2008

Les résultats de cette étude montrent ainsi qu’en 2008, l’automobile, qui ne représentait que 4% de la part modale des déplacements urbains, occupait en fait 20% de la surface de la chaussée hanoienne. La plupart des citadins se déplacent certes en motocyclette, 80% des déplacements urbains sont effectués par ce mode de transport, mais les motocyclettes ne représentent que 62% de l’occupation de la chaussée. L’étude du Tramoc (2008) rappelle également que sur la chaussée la surface d’occupation d’une automobile est équivalente à celle de 7 motocyclettes, cela pour un ratio de 1,5 à 2 passagers par auto contre 1,3 pour la motocyclette196. Par conséquent, à surface équivalente d’occupation sur la chaussée, 9 passagers sont transportés par motocyclettes contre 1,5 en automobile.

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Projet relatif à l’amélioration du transport public, en particulier du réseau d’autobus, cofinancé par l’Union Européenne et la coopération décentralisée de la Région Île-de-France et le Comité Populaire de Hanoi. 196

Le nombre de passagers transportés par motocyclette est de 1,3 par véhicule en mouvement; pour les automobiles, on compte entre 1,5 et 2 passagers alors que les bus publics transportent en moyenne 50 personnes et que les bus particuliers en moyenne 25 (Tramoc, 2008, p.25).

Cette étude a donc apporté un nouveau point de vue sur l’usage de la motocyclette et de la voiture en ville en renouvelant les critères d’analyse utilisés pour qualifier et quantifier la congestion urbaine. Elle a précisé de manière chiffrée et argumentée le problème que pose le recours à l’automobile197 dans une métropole où près de 90% des routes dans les arrondissements urbains font moins de 7 mètres de large et seulement 12% du linéaire routier présente des largeurs de voies de plus de 12 mètres (Nguyễn Quốc Hùng, 2010). Cette étude relativise aussi le rôle joué par la motocyclette dans la congestion routière, mais souligne que ce mode de déplacement est responsable de la majeure partie de la consommation en carburant dans la métropole, et donc de la pollution atmosphérique causée par le trafic routier. Bien que supervisée par les experts étrangers pour la formulation des objectifs et de la méthodologie, cette étude a été réalisée par le service du Tramoc. Contrairement aux autres études commandées par les opérateurs du développement sur ce sujet, elle n’a pas été conduite par des consultants privés (locaux ou étrangers). Cette expérience a ainsi contribué directement au renforcement des capacités d’un des services du Comité Populaire de Hanoi.

La plupart des études auxquelles nous avons fait référence, au-delà des données qu’elles produisent, font également état de préconisations qui au final se recoupent sur deux axes. D’abord, ces études conseillent aux décideurs vietnamiens d’engager des financements dans la moderniser du réseau routier. Ce type de recommandations était clairement formulé dans les premiers rapports livrés au cours des années 1990 (SIDA, 1993 ; JICA, 1997). Ensuite, ces travaux insistent sur la nécessité pour la métropole de ne pas se borner à des solutions privilégiant le « tout-routier » et de lancer un vaste chantier de modernisation du transport public, articulé autour de l’exploitation d’un service de bus et de métro. Précisément, les experts suédois relevaient en 1993 que :

« la situation du transport à Hanoi se [trouvait] à un moment décisif. Si la ville [voulait] éviter de faire les mêmes erreurs que plusieurs villes asiatiques et européennes, une politique des transports claire devait être formulée dans un avenir proche » (traduction de l’auteur, SIDA, 1993).

4.2.2.2 Une priorité donnée à l’investissement dans les infrastructures routières

Bien qu’on puisse difficilement vérifier que les études financées par l’aide internationale évoquées dans cette section aient eu une réelle incidence sur les décisions prises par les autorités sur l’organisation du transport urbain, on peut cependant affirmer qu’il existe certaines congruences. Au cours des années 1990, alors que les experts étrangers suggéraient aux pouvoirs publics d’élaborer une politique sectorielle articulant relance du transport public et modernisation du réseau viaire, les dirigeants vietnamiens ont vraisemblablement donné priorité à l’infrastructure routière et retardé la résurgence du service de transport en commun. Plusieurs éléments permettent de penser cela.

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L’étude du Tramoc de 2008 fait cependant l’impasse sur une question connexe à l’usage de l’automobile, celle du stationnement. Les services de police estiment que le nombre de places de stationnement public dans les arrondissements centraux de Hanoi atteignait péniblement les 10 000 places, pour une estimation d’environ 360 000 autos en circulation en 2011. A propos des conditions de stationnement dans la capitale, le

Courrier du Vietnam (02/11/2010) signale en première page que « Le stationnement à Hanoi, [était la]

souffrance des riches ! ». Titre qui résume assez bien les distinctions sociales qu’engendre le développement de la voiture, mais également les problèmes d’usage et de partage des espaces urbains.

D’abord, au début des années 1990, à l’aube de la transition économique du pays, la modernisation et la réhabilitation du réseau routier de la région capitale correspondaient à un besoin essentiel pour relancer l’économie et surtout attirer des capitaux étrangers nécessaires à la transformation des secteurs industriels et tertiaires. Cela répondait également à la volonté des autorités de traiter dans l’urgence les problèmes de congestion urbaine face à la hausse rapide du nombre de véhicules.

Ensuite, la politique de modernisation du réseau routier a primé sur la relance du transport public en raison des difficultés politiques, économiques et institutionnelles que posait la réorganisation de ce secteur. Il existait manifestement un déficit de savoir-faire et de compétences pour assurer le financement, l’exploitation et l’organisation institutionnelle du transport public (cf Chapitre 6). A l’opposé, l’action dans le secteur de l’infrastructure routière paraissait nettement moins contraignante. Le Vietnam bénéficiait d’un terreau d’ingénieurs formés dans les ex-pays socialistes (cf. Chapitre 1) et, dans une moindre mesure, d’une filière de construction précaire. En dépit d’une situation économique moribonde, les autorités vietnamiennes étaient par exemple parvenues à construire le pont Chương Dương dans les années 1980, grâce à des ressources financières et humaines locales.

Egalement, au regard des critères que les experts étrangers mobilisent pour analyser le transport à Hanoi, certains ont un écho retentissant chez les décideurs locaux. Dans l’étude suédoise de 1993 (SIDA, 1993), il était indiqué que le réseau viaire carrossable ne représentait que 3,5% de la surface totale de la ville, là où les capitales des pays développés affichent des taux supérieurs à 20%. Symbole de modernité et de développement aux yeux des dirigeants, dans la période post-đổi mới, l’extension du réseau viaire est ainsi devenue un objectif central de la politique des transports à Hanoi. Les objectifs fixés par le schéma directeur de 1998 vont dans ce sens : à l’horizon de 2020, la part du foncier urbain dédiée au transport, c’est-à-dire à la voirie, devrait représenter un ratio de 20 à 25%. Les comparaisons faites dans les rapports d’expertise entre Hanoi et d’autres métropoles (ibid., 1993 ; JICA, 1997) offrent aux décideurs les moyens de justifier la politique de rattrapage conduite en faveur de la production d’équipements routiers et ainsi poursuivre le développement socioéconomique de la capitale et résorber la congestion urbaine. Elles viennent ainsi renforcer une « croyance » largement répandue auprès des dirigeants selon laquelle la congestion est liée à la vétusté du réseau viaire, au manque de routes et à une mauvaise utilisation du foncier (Nguyễn Quốc Hùng, 2010).

Enfin, la modernisation du réseau routier de Hanoi a pu être engagée grâce à la présence dans le pays des bailleurs de fonds. Aux côtés du gouvernement vietnamien, la coopération japonaise, la Banque mondiale et la Banque Asiatique de Développement ont apporté leur soutien technique et surtout leur contribution financière pour conduire des travaux d’aménagement de carrefours, d’élargissement de voies, mais également la réhabilitation d’axes structurants de la région métropolitaine hanoienne.

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