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Une coopération urbaine, des logiques d’action

3.1 Des modalités d’intervention en commun

En dépit des différences qui existent parmi les coopérations étrangères intervenant à Hanoi dans le secteur des infrastructures de transport, nous avons identifié trois attributs communs à leurs logiques d’action. D’abord, depuis le milieu des années 2000, les bailleurs sont engagés de manière collégiale, et avec le gouvernement vietnamien, dans une démarche d’harmonisation de l’aide dans le secteur du transport urbain. Ensuite, en termes d’intervention, pour la mise en œuvre de leur aide, les opérateurs du développement s’appuient tous sur une approche « par projet ». Cette logique a pour incidence de conduire chaque coopération à mobiliser une expertise technique, bien souvent étrangère, pour assurer la conception et le suivi de la réalisation des équipements financés.

3.1.1 Une volonté de principe : harmoniser l’aide dans le secteur du transport urbain

Dans le cadre des rencontres biannuelles du groupe consultatif réunissant le gouvernement vietnamien et ses donateurs131 (le « Vietnam Consultative Group Meeting »), une initiative fut prise au début des années 2000 pour établir un groupe dédié spécialement à la question du transport, dont l’animation fut confiée à l’agence de coopération japonaise, la Japanese International Cooperation Agency (JICA). Avec la création d’un tel cercle de discussion132, l’intention des bailleurs était triple. D’abord, ils souhaitaient mettre en adéquation l’offre de la coopération internationale avec les besoins locaux exprimés à travers les plans de développement socioéconomique nationaux et provinciaux élaborés par le Ministère du Plan et de l’Investissement. Ensuite, ils aspiraient à favoriser entre eux et avec les

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Concernant le choix des coopérations étudiées, celui-ci a été orienté en fonction des coopérations internationales intervenant dans le secteur du transport urbain à Hanoi à travers le financement de projets d’infrastructures et de travaux d’expertise ; ensuite, en fonction des données disponibles sur ces coopérations. Par exemple, bien que la coopération chinoise intervienne à Hanoi dans la construction d’une ligne de métro, faute de données sur cette coopération nous ne sommes pas en mesure d’en rendre compte hormis de manière factuelle (voir Chapitre 7).

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Il s’agit des donateurs recensés auprès du Comité d’Aide au Développement de l’OCDE. 132

On retrouve dans ce groupe la coopération bilatérale japonaise, la Banque Asiatique de Développement, la Banque mondiale, mais aussi la coopération bilatérale britannique, française, allemande, australienne, sud-coréenne et du côté des partenaires vietnamiens le Ministère des Transports et le Comité Populaire de Hanoi.

représentants du gouvernement vietnamien, en l’occurrence le Ministère des Transports, l’échange d’informations et d’expériences à propos de projets et de programmes dans un secteur stratégique du développement. Enfin, ils voulaient, à travers l’alignement et la convergence des actions internationales, améliorer l’efficacité de l’utilisation de l’aide.

En arrière-plan, il était question pour les bailleurs de tenter de pallier la fragmentation de l’aide, d’éviter les chevauchements entre les différentes actions internationales, mais aussi de préparer un cadre d’action commun adoptable par les autorités vietnamiennes pour améliorer la conduite des projets d’équipements. Ainsi, au cours des années 2000, ce groupe s’est progressivement orienté vers la formulation de politiques sectorielles communes et vers la proposition de mesures concrètes pour homogénéiser les procédures de mise en œuvre des projets (par exemple en matière d’élaboration des études de faisabilités, de passation des marchés, de méthodologie d’évaluation, etc.).

Dès 2004, ce groupe a souhaité traiter de manière prioritaire la question du transport dans la région capitale133. L’objectif pour les bailleurs était de discuter des problèmes spécifiques affectant la fluidité des déplacements à Hanoi. L’idée était surtout de partager l’état d’avancement des différentes études techniques financées par l’aide internationale pour la construction de lignes de métro et de Bus Rapid Transit et de prendre connaissance des plans d’aménagement préparés par l’expertise internationale contenant des propositions relatives à l’agencement du réseau de transport métropolitain134. Toutefois, en quelques années, la question spécifique du transport à Hanoi fut écartée, reformulée et élargie à l’ensemble des centres urbains du pays, dépassant ainsi le cas de la région capitale. L’intérêt des bailleurs s’est reporté sur la volonté de travailler « vigoureusement sur les réseaux de transport urbain, afin de résoudre progressivement les problèmes de congestion routière » à l’échelle des villes du pays, en mettant l’accent sur le développement des réseaux routiers et de transport collectif135. De manière consensuelle, le but commun des bailleurs était de soutenir le développement économique des villes vietnamiennes, de résorber les problèmes de circulation et de pollution, de réduire l’accidentologie, d’améliorer la mobilité des biens et des personnes, mais également l’accessibilité des territoires et, enfin, de promouvoir une meilleure articulation entre développement urbain et réseaux de transport, afin de limiter les émissions de gaz à effet de serre et lutter ainsi contre le réchauffement climatique136. Il apparait donc que les bailleurs affichent une réelle intention d’agir de manière concertée à l’élaboration d’un cadre commun de pilotage de l’action en coopération, afin de légitimer la conduite de leurs projets particuliers. Mais le choix de l’agenda de ces groupes de discussion semble difficile à établir et à maintenir en raison des intérêts de chaque opérateur, mais également des intérêts des institutions vietnamiennes. Par exemple, un autre groupe dédié au développement urbain, le « Vietnam Urban Forum », qui fut créé en 2003 sous l’égide du Ministère de la Construction, traite lui des

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Source : Vietnam Partnership Report (2004). 134

Au milieu des années 2000, ce groupe a ainsi pu échanger au sujet du plan d’aménagement préparé par la coopération japonaise, par l’intermédiaire de la JICA, pour Hanoi, le “Comprehensive Urban Development Programme in Hanoi Capital City” (HAIDEP) et prendre connaissance de la conduite par l’Institut des Métiers de la Ville d’une mission d’assistance technique concernant le schéma directeur de la région de Hanoi.

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Source : Vietnam Partnership Report update (2010). 136

problématiques de planification, d’infrastructure et de logement. Or son champ d’action, bien qu’étant de plain-pied dans le domaine de l’urbanisme, ne porte pas sur la question du transport. Ce domaine reste sous la responsabilité du Ministère des Transports qui souhaite le conserver, même si la question du transport urbain est à relier à celle de la planification urbaine et du logement et interpelle le champ de compétence du Ministère de la Construction.

L’existence de ces forums de discussion entre bailleurs et institutions vietnamiennes est primordiale afin de favoriser la circulation d’information concernant les actions en cours et susciter le partage d’expériences en matière de transport urbain dans le pays et à Hanoi en particulier. Mais au-delà du vœu pieux et de la bonne intention, la portée de ce type de groupe reste limitée. D’abord, la transversalité que requièrent ces arènes de discussion est bridée par l’approche sectorielle qu’ont les institutions vietnamiennes dans le traitement des problématiques urbaines. Ensuite, l’effort consenti par les bailleurs à harmoniser leur aide se trouve altéré par les intérêts diplomatiques et économiques que défend chaque coopération.

3.1.2 Le cycle du projet

Le second élément que partagent les coopérations internationales impliquées dans le secteur du transport à Hanoi repose sur un mode d’intervention commun marqué par l’approche « par projet », ou logique de projet137. L’intervention « par projet » est promue par les opérateurs du développement et plébiscitée par des organisations supranationales comme l’OCDE, pour qui cette approche contribue à améliorer l’efficacité de l’aide138. Les bailleurs déclinent leur méthodologie dans un principe commun nommé « cycle du projet ». Ainsi, que ce soient la Banque mondiale, la Banque Asiatique de Développement, ou les agences bilatérales de développement, l’intervention suit une logique cyclique, bornée par des objectifs et des échéances, et continuellement évaluée139. Les procédures mobilisées par les bailleurs ne sont pas uniformes, mais restent convergentes, puisque motivées par la performance de l’aide. Ainsi, le cycle de vie d’un projet de l’Agence Française de Développement présente sept étapes, ceux de la Banque mondiale, de la JICA ou de la Banque Asiatique de Développement en comportent six (figure 3.1). D’une manière générale, la logique de projet contraint les autorités vietnamiennes à suivre certaines règles pour que les procédures établies puissent garantir au bailleur que les fonds décaissés atteignent leurs objectifs.

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Dans son rapport de 2002-2003, l’observatoire français de la coopération internationale souligne que la méthode d’intervention « par projet » a pour vocation de décliner dans un cadre logique les objectifs généraux en objectifs opérationnels mesurables par la mobilisation programmée de moyens humains, techniques et financiers, et par l’élaboration de procédures et de suivi de leur mise en œuvre. En somme, la logique de projet renvoie à l’élaboration d’un cadre, c'est-à-dire à la définition dès la formulation de l’opération d’un cahier des charges précisant les objectifs, le lieu, l’échéancier et les résultats escomptés afin de pouvoir évaluer l’opération et en contrôler son efficacité (Boucher, 2003, p.97).

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On pourra se référer au document intitulé Pour une meilleure aide au développement Efficacité de

l'aide: Rapport d’étape sur la mise en œuvre de la déclaration de Paris publié en 2009 par l’OCDE.

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La logique de projet se combine à la culture de l’évaluation. Pour les bailleurs, l’évaluation constitue un moyen de se prémunir des risques inhérents à l’action en coopération, à savoir la mauvaise utilisation des fonds, l’évaporation et le détournement des financements.

En pratique, les opérateurs du développement et le gouvernement vietnamien travaillent en étroite collaboration tout au long du cycle. Durant la période dite du pipeline (de l’identification du projet à la signature du prêt ou de la convention de subvention) une série d’études (techniques et financières) sont conduites. L’évaluation ex ante, dirigée au cours de la période dite de préparation, vise à vérifier la viabilité technique, économique, organisationnelle et financière de l’opération au regard de critères (économiques, environnementaux, sociaux et éthiques) que les bailleurs associent à leurs procédures et comme conditions à l’octroi de leur aide. Dans le détail, les procédures d’examen et d’approbation sont différentes selon les donateurs, ce qui nécessite un haut degré de qualification de la part des partenaires vietnamiens pour se conformer aux demandes spécifiques de chaque donateur. En fin de cycle, une évaluation ex post est conduite. Cette évaluation, qui a tendance à se systématiser dans les

Figure 3.1 : Cycle du projet de la Banque Asiatique de Développement

Source :http://www.adb.org/projects/cycle

1 l’identification : la banque consulte les autorités du pays et identifie des projets potentiels. Ceux-ci doivent être

compatibles avec les objectifs du document stratégique de partenariat établis entre la Banque et le gouvernement du pays éligible à l’aide. Une mission de la BAD peut être envoyée sur le terrain pour un complément d’information.

2 la préparation : vise à estimer les conséquences pour les bénéficiaires et les impacts environnementaux et sociaux de

l’opération projetée. L‘emprunteur est tenu de livrer au bailleur une série de rapports sur les effets escomptés du projet proposé. Ces rapports sont élaborés sur la base des critères imposés par le bailleur.

3 l’approbation : cette phase s’achève après la réalisation d’une étude de faisabilité fondée sur les conclusions des

rapports et des éventuelles missions de terrain. Une fois la conformité du projet avec les orientations de la BAD vérifiée, le personnel de la banque rédige deux documents, le « rapport provisoire et les recommandations au président » et un projet d’accord de prêts.

4 la négociation du prêt et son approbation par le conseil d’administration de la BAD. Le projet de prêt est transmis au

pays client pour avis et modifications avant négociation. Une fois signé, l’accord de prêt devient un contrat légal entre la BAD et le pays emprunteur.

5 la mise en œuvre est opérée par l’organisme responsable localement (maîtrise d’ouvrage dans le cas de projets

d’infrastructures) selon le calendrier et le cahier des charges prévus dans l’accord. Le donateur exerce une surveillance continue sur la réalisation.

6 l’aboutissement, le pays bénéficiaire rédige un rapport d’achèvement de projet. Le département d’évaluation des

projets de transport au Vietnam, a vocation à gommer si nécessaire l’altérité du retrait des bailleurs à l’issue de l’opération. Elle permet, le cas échéant, d’apporter des mesures correctrices.

Bien que dans les actions de développement l’approche « par projet » soit l’objet de critiques140, puisque c’est une démarche qui conduit à la mise en œuvre d’opérations autarciques délimitées physiquement par un périmètre, bornées dans le temps et dans lesquelles seul le résultat parait compter, cette approche reste le principal mode d’intervention des coopérations urbaines à Hanoi.

3.1.3 La participation d’une expertise internationale

La dernière caractéristique commune relative aux logiques d’action des coopérations étrangères présentes dans le secteur du transport à Hanoi renvoie à la mobilisation d’une expertise ad hoc. L’expertise internationale, représentée par des bureaux d’études, des sociétés d’ingénierie, des consultants indépendants, joue un rôle majeur dans les projets d’aide au développement. Celle-ci est souvent associée à une phase préalable à l’exportation d’équipements, mais également perçue comme un vecteur de diffusion de modèles de développement (Baye, Cusset et al., 2004).

Selon Dick et Rimmer (1998), dans le secteur des transports, la diffusion des modèles s’exercerait à partir de différents canaux : à travers la participation d’experts étrangers à des projets visant à définir les politiques de transport urbain à l’échelle nationale ou à celle des grandes métropoles ; à travers l’accueil au sein des ministères « clés » de conseillers dans le cadre de projets bilatéraux ou multilatéraux d’assistance technique ; à travers des programmes de formation que suivent les hauts fonctionnaires des pays bénéficiaires de l’aide internationale. Ce mode de fonctionnement n’est pas exempt de critiques. Toujours selon ces auteurs, les experts étrangers suggèrent souvent à leurs partenaires l’adoption de systèmes de transport « exportés », voire de systèmes dont l’architecture ne tiendrait pas compte des réalités locales.

Si la mobilisation d’une expertise étrangère constitue un trait commun aux projets conduits par les différents acteurs de la coopération urbaine actifs à Hanoi, nous relevons pourtant certaines singularités. Pour les acteurs multilatéraux, c’est un moyen d’ouvrir et de connecter les marchés de l’expertise. Les projets d’aide au développement sont pour les banques multilatérales le moyen de faire intervenir des experts capables de faire circuler des « bonnes pratiques » et de concevoir des infrastructures répondant à des normes de qualité internationales. Dans le cas de projets financés par des coopérations bilatérales, dans lesquels l’aide apportée est dite « liée », ou partiellement « déliée », les experts étrangers apparaissent comme les garants d’un savoir-faire national et les mieux à même pour manier les critères spécifiques requis par la technologie et les techniques issues du pays donateur.

L’harmonisation de l’aide dans le secteur du transport urbain, l’intervention « par projet » et la mobilisation d’une expertise étrangère ad hoc constituent les principales caractéristiques communes à l’intervention des coopérations internationales à Hanoi. Pourtant, sous ces apparences, en particulier sous la tenue de discours consensuels partagés par la communauté des bailleurs relatifs à la lutte contre

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Pour une analyse critique de la logique de projet dans le secteur du développement urbain, on pourra se reporter à Osmont (1995) et Bellina (1999).

la pauvreté en ville, à une meilleure gouvernance dans l’élaboration des politiques urbaines et à une plus grande transparence dans la conduite des projets d’infrastructures, les principales coopérations engagées dans le transport urbain à Hanoi se distinguent par des logiques d’action et des stratégies qui leurs sont propres.

Dans les sections suivantes, nous examinons les principales coopérations investies dans des projets de transport (routier ou de transport collectif), à savoir les coopérations bilatérales japonaise, française et sud-coréenne ainsi que la Banque Asiatique de Développement et la Banque mondiale, en insistant sur leurs logiques d’action et leurs singularités.

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