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LA SCENE DE LA COOPERATION URBAINE A HANOI : LE JEU DE L’ACCOMMODATION ET DE LA PRESCRIPTION

1.1 Une aide à la reconstruction

1.1.4 L’ouverture progressive du Vietnam et les distensions avec le Comecon

Le 6ème congrès du Parti Communiste Vietnamien constitue une marque singulière dans l’histoire contemporaine du pays. Dans le cadre de cette assemblée, c’est en 1986 qu’est abolie la gestion bureaucratique de l’économie en faveur d’une économie de marché contrôlée par l’Etat socialiste. Avec le đổi mới, l’élan réformateur donne un plus grand rôle aux forces du marché et ouvre le pays à l’économie mondiale. L’ouverture progressive de l’économie vietnamienne s’est accompagnée d’un repositionnement du pays dans le champ des relations internationales, mais elle a également offert à l’Etat socialiste de nouvelles perspectives de coopération à l’internationale.

La résolution n°32 du Parti Communiste Vietnamien de juillet 1986 dresse un bilan de la coopération engagée au sein du Comecon. Le document précise que le Vietnam ne tire pas suffisamment profit de ses partenariats au sein du Conseil d’Assistance Economique Mutuelle (Vo Nhan Tri, 1990, pp.208-209). En dépit de ce diagnostic, pour améliorer cette situation, les remèdes envisagés misent toujours sur le soutien des pays du bloc socialiste. La résolution pose toutefois de nouveaux jalons. Malgré une vision binaire circonscrite à la distinction entre pays « amis » et pays « ennemis », ce texte précise qu’il est nécessaire pour le Vietnam de cultiver de nouvelles relations pacifiques sous-tendues par des activités de coopération avec la Chine, les Etats-Unis et ses voisins de l’ASEAN. En outre, en raison du contexte économique catastrophique du Vietnam, le pays doit activement engager d’autres partenariats, notamment avec des Etats non socialistes, des organisations internationales et des entreprises étrangères.

Concomitamment, dans l’enceinte du Comecon, l’Union Soviétique s’attachait à moderniser le fonctionnement de la coopération multilatérale. Alors que les pays du bloc socialiste présentaient des signes de faiblesse, tant économiques que politiques, Gorbatchev émettait des doutes quant à l’efficacité du Conseil. Pour lui, la question était double : améliorer l’efficacité de l’aide57 et revoir l’articulation entre coopérations bi et multilatérale. En 1987, le Comecon a initié un nouveau programme de coopération ; celui-ci prévoyait de soutenir le développement économique des membres

Passicousset (2010, p.235) des Vietnamiens « partaient travailler dans les pays du bloc de l’Est pour rembourser la dette contractée par le Vietnam durant la guerre contre les Américains (environ 100 000 départs par an) ». 57

Précisons que l’efficacité de l’aide dans le système d’aide publique au développement contemporain s’envisage à partir de critères se référant à l’augmentation du niveau de vie de la population et à l’éradication de la pauvreté. Dans le système socialiste, l’aide est efficace si elle contribue à construire le socialisme, les unités productives (en particulier industrielles) qui le composent et les projets inscrits au plan.

les plus fragiles (dont le Vietnam) et d’instaurer de nouvelles règles, en particulier sur les conditions d’octroi, d’utilisation et de mise en œuvre de l’aide.

A la fin des années 1980, du côté vietnamien, les fruits de la réorganisation de la coopération au sein du Comecon se faisaient attendre. En outre, la collaboration entre le Vietnam et les autres membres de l’organisation de coopération connaissait certains accrocs. Vo Nhan Tri (1990), en se référant à des sources soviétiques, a fait part de ces distorsions :

« la relation [de l’URSS] avec le Vietnam se bornait à des avances de financement, il n’y avait pas de réelle coopération et le remboursement des prêts était aléatoire […]. Les camarades vietnamiens voulaient développer un pays avec un monopole d’Etat et l’industrialiser rapidement […]. L’erreur des Soviétiques a été de croire qu’ils étaient prêts pour cela ».

L’assistance des pays du bloc socialiste, qui avait été particulièrement active aux côtés du Vietnam dans sa lutte pour sa libération, s’essoufflait déjà depuis le début des années 198058. Du côté vietnamien, des critiques envers l’aide étrangère ont également été émises. Celles-ci portaient sur la qualité des produits ou des machines que le pays recevait, puisqu’il récupérait souvent les surplus de la production soviétique. Pike (1979, p.1159), un ancien officier des renseignements américains, rapporte un échange qu’il a eu avec un diplomate vietnamien au sujet de l’aide soviétique, ce dernier indiquait : « nous avons survécu à la conquête française, nous avons survécu aux hostilités américaines, nous pouvons survivre à l’amitié russe ». En toute diplomatie, le caractère de la relation avec le « grand frère » soviétique était clarifié et offrait un contraste avec l’image d’un Vietnam maintenu sous perfusion par l’aide des pays du bloc socialiste.

Bien que le Vietnam fût, à travers ses relations économiques et politiques, dans l’aire d’influence de l’Union Soviétique, ce pays entretint tout de même d’autres relations de coopération, dont certaines furent particulièrement actives à la fin de la guerre contre le Sud-Vietnam.

1.1.5 La coopération des pays de l’Ouest : une alternative au bloc socialiste limitée

A l’issue des accords de cesser le feu de 1973 et de la « libération » de Saigon en 1975, le Vietnam s’est appuyé sur un certain nombre de relations avec des pays de l’Ouest, des pays neutres et d’autres « non alignés », pour l’aider dans sa reconstruction. Ces relations sont peu connues, car souvent masquées par une lecture bipartite de la guerre froide durant laquelle le Vietnam a constitué un terrain parmi d’autres d’opposition entre l’Union Soviétique et les Etats-Unis.

Dès 1976, compte tenu des difficultés économiques que connaissait le pays, le Parti Communiste Vietnamien a déployé d’importants efforts sur la scène internationale afin de mobiliser d’autres

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Dans une communication intitulée The Diplomacy of Economic Reform in Vietnam : The Genesis of Doi

Moi, 1986-1989, Balazs Szalontai (2008, pp.203-204) cite les propos tenus par un diplomate hongrois en poste à

Hanoi en 1983. Ce dernier indiquait qu’« il était devenu clair que les pays socialistes, à l’exception de l’Union Soviétique, n’étaient plus en mesure d’accroitre leur assistance à destination du Vietnam. La mesure et l’ordre de grandeur de leurs aides avaient tendance à baisser et n’étaient plus comparables avec le soutien apporté durant la lutte pour la libération. Les Vietnamiens devaient, par eux-mêmes, lever les moyens nécessaires pour leur développement, aucun pays du bloc socialiste n’était alors capable d’effectuer cette tâche à leur place » (traduction de l’auteur).

sources d’aide extérieure et tenter de conserver une indépendance vis-à-vis de l’Union Soviétique et de la Chine. L’activité diplomatique du Vietnam a été frénétique : adhésion aux Nations-Unies en décembre 1977, prise de contact auprès d’agences et de banques de développement, visites diplomatiques59. Cette agitation sur la scène internationale s’explique également par le refus des Etats-Unis à verser au Vietnam les réparations de guerre pourtant prévue en 1973 par les accords de Paris. Après lui avoir imposé un embargo économique en 1975, le gouvernement américain a par la suite définitivement exclu de débloquer toute aide à destination du Vietnam (Niehaus, 1979).

A la fin de la guerre contre le Sud-Vietnam et ses alliés, le Vietnam réunifié bénéficiait d’un certain crédit dans l’opinion internationale. Hanoi, qui avait reçu un large soutien des mouvements pacifistes internationaux durant les opérations de l’armée américaine, a obtenu à l’issue du conflit l’appui des pays qui militaient pour la paix dans la région. La Suède, qui avait officiellement critiqué l’action des Etats-Unis par la voix de son Premier Ministre de l’époque, Olaf Palme, et assisté le Vietnam durant les bombardements, a poursuivi son action à l’arrêt des hostilités. La France et le Japon, qui aidaient le régime du Sud, ont redirigé leur aide vers Hanoi après la réunification du pays60. La nouvelle République Socialiste a par ailleurs endossé les engagements pris par le Sud-Vietnam en tant que membre du Fonds Monétaire International, de la Banque mondiale et de la Banque Asiatique de Développement (Nguyen Van Canh et al., 1983). A ce titre, le Vietnam pouvait dès sa réunification se prévaloir d’un accès aux crédits de ces institutions.

En janvier 1977, une première mission de la Banque mondiale se rendit dans le sud du Vietnam et prépara une étude sur la construction d’un système d’irrigation dans la province de Tây Ninh. Dans le rapport de la Banque approuvant ce projet, il était mentionné que l’institution acceptait que le Vietnam puisse bénéficier de ses financements, car le pays semblait montrer des dispositions « rassurantes » : le Vietnam avait fait de « sérieux efforts pour honorer la dette du Sud-Vietnam » envers ses créanciers étrangers ; il s’était engagé dans la voie de la reconstruction et avait lancé dès 1977 des demandes d’emprunts auprès du FMI ; les projets d’aide engagés avec la France et le Japon et la normalisation de ses relations diplomatiques avec plusieurs pays du bloc de l’Ouest favorisaient son intégration internationale61.

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Entre 1976 et 1977, Phạm Văn Đồng, alors Premier Ministre, s’est rendu en France et a visité ses homologues des pays scandinaves ; le général Võ Nguyên Giáp est allé à Moscou, en Europe de l’Est et à Pékin ; de même, Lê Duẩn est passé en URSS et en Chine ; le Ministre des Affaires Etrangères, Nguyễn Duy Trinh s’est rendu en Inde et Phan Hiên (Vice-ministre des Affaires Etrangères) a entrepris une tournée auprès des membres de l’ASEAN ; une délégation vietnamienne de diplomates a même assisté à la conférence annuelle de la Banque mondiale en 1977 (Pike, 1978, pp.73-74).

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Par exemple, le gouvernement japonais, qui avait prêté au Sud Vietnam plus de 100 millions USD, a demandé à ce que le Vietnam réunifié honore le remboursement du prêt. Hanoi a refusé. La diplomatie japonaise a alors engagé des négociations et garanti que le remboursement de ce prêt serait suivi d’une nouvelle forme d’assistance. En 1976, le Vietnam s’est acquitté de sa dette puis a perçu du Japon une aide équivalant à 28,5 millions USD. La même année, un nouvel accord prévoyait le versement de 17,5 millions USD pour soutenir le secteur agricole (Nguyen Van Canh et al., 1983).

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Source : World Bank, Report and recommendation of the president of the international development

association to the executive directors on a proposed development credit to the Socialist Republic of Vietnam for the Dau Tieng irrigation project (report n°P-2368-VN), July 26, 1978, 29 p.

Toutefois, ce projet qui devait s’achever en 1988 n’a pas connu de suites en raison du retrait des financements de la Banque mondiale à la fin des années 1970. Sous pression du gouvernement des Etats-Unis, la Banque mondiale a stoppé toute aide financière et technique à destination du Vietnam (Gwin, 1997, p.226). L’engagement et le désengagement rapide de la Banque à l’issue de la guerre au Vietnam accrédite la thèse selon laquelle les institutions de Bretton Woods, et notamment la Banque mondiale, inscrivaient pleinement leur action dans le combat géopolitique de la guerre froide, puisqu’elles avaient pour rôle de fidéliser la clientèle du tiers monde en faveur du monde occidental (Tavernier, 2000). En ce sens, l’aide au développement répondait clairement à un objectif éminemment politique.

En définitive, en dehors de l’aide du bloc socialiste, l’aide à la reconstruction perçue par le Vietnam dans d’autres cadres de coopération bilatéral et multilatéral fut limitée. Parmi les donateurs bilatéraux, la France s’est pourtant montrée particulièrement active sur les volets de coopération économiques62 et scientifiques63. La Suède a également conduit de nombreuses actions : elle a subventionné à partir de 1974 la construction d’une papeterie (à Bãi Bằng, province de Phú Thọ) et accordé des crédits pour la reconstruction d’hôpitaux (l’un à Hanoi en 1975, un autre dans la province de Quảng Ninh en 1981). L’engagement financier des donateurs bilatéraux et multilatéraux de l’Ouest a toutefois dépassé le milliard de dollars (cf tableau 1.1). Pourtant, cette aide, tant sur ces aspects financiers que matériels, n’était pas équivalente à celle des pays du bloc socialiste. En outre, le Vietnam conservait une grande méfiance à l’égard de ses partenaires « capitalistes ».

L’invasion du Kampuchéa Démocratique en fin d’année 1978 par l’armée vietnamienne et les flux de réfugiés vietnamiens qui quittaient le pays par la mer depuis la victoire du Nord-Vietnam sur le Sud ont toutefois fait vaciller l’image du Vietnam sur la scène internationale. Les nouveaux liens que le gouvernement vietnamien entretenait avec certains pays de l’Ouest et les organisations internationales de développemnt ont été remis en question. Alors soumis à un boycott international du fait de son occupation du Cambodge et face à la menace chinoise grandissante, le Vietnam s’en est remis au soutien diplomatique, stratégique, financier et militaire de l’Union Soviétique et du bloc socialiste. Par conséquent, les nations européennes ont suspendu leur aide à l’exception de la Suède64.

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En 1977, avec la visite du Premier Ministre vietnamien à Paris, un accord de coopération économique avec Elf Aquitaine a été signé pour l’exploitation off-shore de gisements pétroliers. D’autres entreprises ont développé des activités au Vietnam : Rhône Poulenc, dans le secteur pharmaceutique ; la compagnie de transport héliporté Helivifra, pour le transport de matériaux et de personnes ; Air France, avec la reprise de ses vols vers Hô Chi Minh-Ville en 1978 (Nguyen Van Canh et al., 1983, pp. 236-238).

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La coopération française a été nourrie sur le plan scientifique par l’engagement du Comité pour la Coopération Scientifique et Technique avec le Vietnam (CCSTVN). Créé de façon informelle en 1973, ce comité était une émanation du Collectif Intersyndical Universitaire d’Action Vietnam-Laos-Cambodge créé en 1965. Cette organisation a été créée par Yvonne Capdeville et Henri van Regemorter, scientifiques et militants politiques engagés contre la guerre en Indochine puis contre l’implication de l’armée américaine au Vietnam (Simon-Cortés et Teissonnière, 2004).

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En tant que pays non-aligné, la Suède n’a pas suspendu son aide, mais elle a réduit d’environ un quart ses flux financiers en direction du Vietnam (Donnell, 1979).

Aide Bilatérale

Pays Année Volume

(millions USD) Type d’aide

Australie 1976 5

Autriche 1975-1978 4 Dons pour projets de développement agricole

Belgique 1975-1978 6 Dons matériel.

Canada

Danemark 1975-1978 Construction de raffinerie de sucre, usine de ciment,

infrastructure d’adduction d’eau.

Etats-Unis 1975-1978 10 Aide privée non liée à l’initiative du gouvernement

Finlande Avant 1975 1976 à 1980 10 20 Prêts et dons ; Dons matériels pour équipement portuaire.

France

1973 (Sud Vietnam) transféré à la RSV en 1976

363 Prêt : aide économique à la reconstruction du secteur industriel et agroalimentaire – développement du secteur pétrolifère ;

Aide et coopération scientifique et technique.

Italie 1977 40 Exploration pétrolifère, dons d’équipements tracteurs,

pneus

Japon 1976 28,5

17,5

Dons (matériel pour reconstruction) ; Prêt (pour projets agricoles).

Norvège

1973 à 1975 16 23

Dons pour matériel agricole (engrais et fertilisant) et médicaments ;

Dons pour développement de la filière pêche.

Pays Bas 1977 20

10

Dons pour réalisation de projets d’irrigation

Prêt dans le cadre du projet Banque mondiale de 1977

Suède 1969-1970 1976-1977 450 34 100

Dons et construction d’une usine à papier et de deux hôpitaux et mise en place de programme de santé ; Prêts ;

Dons.

Aide Multilatérale

Organisation Année Volume

(millions USD) Type d’aide

Banque Mondiale

1977 60 Prêt complété par le fonds du Koweït, de l’OPEP et l’apport des Pays-Bas. Après un décaissement de 44,6 millions demande d’annulation par les Etats-Unis.

Fond Monétaire International 1977 1978 1980 1981 35,8 27,8 12 33,5

Le prêt de 1981 a été annulé en raison problème de gestion des fonds. Le FMI estime la dette extérieure du Vietnam à 5 milliards USD en 1982. Banque Asiatique de Développement 1976 Contacts Nations-Unies

1977 Résolution pour un appel à une assistance spéciale au Vietnam. Implantation de certaines agences onusiennes comme la FAO, le PNUD, l’UNICEF, l’UNCDF

Fonds du Koweït

1979 10 Projet d’irrigation en complément de financement avec la Banque mondiale

Fonds

International de Dév. de l'OPEP

1978 10

Projet d’irrigation en complément de financement avec la Banque mondiale

Tableau 1.1 : L’aide bi et multilatérale en provenance de pays à l’économie « capitaliste ».

Source : d’après les données de Nguyen Van Canh et al., 1983, pp.237-238 ; Niehaus, 1979 pp.93-94 ; Ton That Thien, 1984, p.702 ; Vo Nhan Tri, 1990, p.101 ; Englun, 1988, pp.226-228.

Indications : malgré la diversité des sources, certaines données font défaut en particulier sur les années précises d’engagement des coopérations, sur les montants ou l’utilisation de l’aide.

C’est sur cet arrière-plan, entre le rôle prééminent de la coopération des pays du bloc socialiste et l’assistance discontinue des pays de l’Ouest, que prennent place d’autres actions de coopération, celles relatives au développement urbain. Bien que diluée dans la diversité des formes d’aide que nous avons exposé, la coopération technique et scientifique dans les domaines de l’urbanisme, de l’architecture et des infrastructures apparait. Elle est de manière quasi exclusive fournie par les pays du bloc socialiste. Celle-ci constitue une forme liminaire de coopération urbaine qui se matérialisera à partir des années 1990 avec l’entrée en jeu de nouveaux acteurs.

A travers la conduite des politiques d’industrialisation menées au Nord-Vietnam puis dans l’ensemble du pays réunifié, la coopération technique et scientifique dans le domaine de l’urbanisme avec l’Union Soviétique et les membres du Comecon s’est concrétisée entre autres par la réalisation de projets majeurs qui ont eu vocation à participer à l’édification de la ville socialiste (Cerise, 2009).

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