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Les réseaux de promoteurs de l’éducation physique du sapeur-pompier Logiques de diffusion, 1914-

II. Le processus de division, seconde phase

1. La résurgence d une association de porte-paroles du modèle professionnel

Le groupe social des sapeurs-pompiers est animé par des couples d’opposition constitutifs et hérités du processus initial de division dans la corporation pompière civile. Un clivage entre des entrepreneurs du secouriste de métier et les ambassadeurs du volontariat se réaffirme par la création d’un collectif de spécialistes, provenant majoritairement de services citadins, en 1919. L’Association technique des officiers et des chefs des services d’incendie français s’organise en dehors de la tutelle fédérale, et affiche l’ambition exclusive d’étudier les questions techniques441

. Il s agirait d une reconstitution puisqu une réunion fondatrice se serait déroulée, en 1914, au quartier central des sapeurs-pompiers lyonnais.

Un des membres fondateurs est le commandant Girard de Bordeaux, promoteur de la professionnalisation et initiateur de services de pompiers forestiers. Cet officier a engendré une polémique avec des gestionnaires fédéraux concernant les modalités du concours de pompes à incendie avant la première guerre mondiale (chapitre II). Sa récusation portait sur des dimensions associatives festives de ce dispositif, au désavantage de l'apprentissage technico- pratique. Sont identifiés à la réunion constitutive du 19 octobre 1919, tenue à la caserne des soldats du feu de Paris de la rue Blanche, le capitaine Eugène Barbier de Nancy, ancien membre- créateur de l Union nationale des officiers de sapeurs-pompiers français, ex-coentreprise dissidente, et Ivan Hitzemann, ardent pro-professionnel et anti-fédéral.

L’association est un entre soi distinct de la Fédération, avec une stratégie de positionnement évitant d’extérioriser des visées scissionnistes442

. Est affirmée, en comité fondateur, par le commandant Guyonnaud de Limoges, président originel, que ce n est pas une formation collective séditieuse des groupements corporatifs en place. Son seul objectif est de recueillir et d examiner les requêtes des corps casernés.

Dans ce jeu diplomatique, Jean Pégoud443, commandant du bataillon des sapeurs-pompiers lyonnais, nouveau responsable de l’Association technique, invite le président fédéral Georges Guesnet au congrès annuel tenu à Lyon, en mars 1926444. Le haut-administrateur de la Fédération, exprime des réassurances conformes à la doxa d un groupe corporatif solidaire, en affirmant la complémentarité des façons pompières d être et d exercer, et la double appartenance des membres de la nouvelle entité, puisqu ils sont aussi affiliés à la Fédération. Si l’union est affichée par les dirigeants de ces deux réseaux pompiers445, ils incarnent deux modèles différenciés du secouriste. L Association technique est un groupement concurrentiel de

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« Association technique des Chefs de Services d’Incendie Français », Journal des sapeurs-pompiers, 3e série, n° 21, 4 novembre 192, p. 161.

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« Une nouvelle association », Le Sapeur-pompier, 30e année, n° 49, 1er novembre 1919, p. 398. La communication sur ce nouveau groupement dans la presse fédérale est discrète, située dans un encart en bas de page.

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Le nom administratif Pégoud s écrit avec un "d" à la fin. Dans plusieurs textes corporatifs, le patronyme est rédigé avec un "t" à la place du "d".

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L’invitation n’acte pas la première assistance du président fédéral à la séance annuelle de ce groupement. Les archives en notre possession mentionnent sa présence à celle de 1924. « Association Technique des Officiers et des Chefs des Services d’Incendie Français », La Prévention du feu, 4ème

année, n° 33, mai 1926, p. 104.

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« Association Technique des Officiers et des Chefs des Services d’Incendie Français », La Prévention du feu, 4ème année, n° 33, mai 1926, p. 104.

promoteurs de cadres de penser professionnels, se retrouvant entre eux, et défendant des intérêts matériels et symboliques propres.

Ils représentent une « minorité active » dans la corporation pompière communale. Leur effectif pour le début de la période étudiée n est pas précisément établi, mais en janvier 1938, ils sont 1. 700 sapeurs-pompiers de métier pour 320.000 volontaires446.

C est un groupe restreint de représentants, défendant un point de vue minoritaire, et cherchant à convertir les autres. Ils sont armés de croyances fortes envers leur modèle du sapeur-pompier, les aidants à soutenir leurs démarchent et à rester tenaces face aux obstacles447. Ils impulsent de nouvelles façons d’agir, de voir et doivent persuader d’autres agents du bien fondé de leur entreprise448.

Ce processus de division de la communauté pompière civile, induit, en prolongement de la séparation originelle, un travail de mise à distance du modèle du volontaire, constitué en contre- type de leur référence.

Ces instigateurs accumulent et investissent principalement des savoirs et savoir-faire techniques. Ils partagent des cadres communs, ils possèdent une culture savante et une instruction spécialisée dans la prévention et la lutte contre le feu : ce sont des ingénieurs, des architectes, des industriels, des entrepreneurs du bâtiment, des ex-instructeurs des soldats du feu parisiens449. À la différence de leurs homologues ruraux volontaires qui sont essentiellement des petits commerçants, des artisans du bâtiment. Le commandant J.-M. Girard de Bordeaux, membre fondateur et vice-président de l’Association technique, est ingénieur agronome, spécialisé dans les feux de forêt, il initie les premières unités expertes dans ce domaine d’intervention. Jean, Auguste Pégoud, président du réseau, passionné de mécanique automobile, est un héritier industriel, il reprend la direction de l’usine paternelle en teinturerie soierie. Puis, en 1914, il se destine entièrement au service d’incendie de Lyon, en accédant au commandement de cette unité jusqu’à la fin de l’année 1930. Il entreprend après la première guerre mondiale, en vue de la rénovation du corps, des déplacements autofinancés pour observer et comparer des services de lutte d’incendie de villes principales européennes. Sa gouvernance active le passage de la traction animale à automobile (de quatorze engins en 1914 à vingt-trois en 1930). En 1922, il fait installer un réseau téléphonique avertisseur d’incendie (T.S.F.), avec des lignes directes reliant les industries au quartier central du corps. Émile, Pierre, Alphonse Ronsiaux, vice- président, commandant des sapeurs-pompiers de Rouen, depuis le mois de novembre 1920, est un ex-adjudant des soldats du feu parisiens. À la fin de sa carrière militaire, il réinvestit ses acquis professionnels en créant et dirigeant le service d’incendie aux grands magasins de la Samaritaine à Paris. Devenu officier de métier des sapeurs-pompiers, capitaine à la compagnie du Havre, à partir du mois d octobre 1911, il est muté au commandement du corps de Rouen en

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« Séance du congrès », 53e congrès de la Fédération, Lyon, 18 juin 1938, Le Sapeur-pompier, 50e année, n° 482, août 1938, p. 201.

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Moscovici Serge, Psychologie des minorités actives, Paris, PUF, 1979. L’auteur définit par « congruence », la faculté à préserver son engagement, c'est-à-dire à maintenir une consistance dans la posture et les arguments.

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« Il en découle donc une nouvelle orientation à donner aux services de secours contre l’incendie, en étudiant les moyens de créer des corps professionnels, capables de défendre un périmètre assez étendu, et susceptibles aussi d’être utilisés en cas de mobilisation, corps liés les uns aux autres et placés sous le commandement de chefs dépendant eux-mêmes d’une seule direction. » Séance du 23 octobre 1921, caserne de la rue Blanche, Paris. « Association technique des Chefs de Services d’Incendie Français », Journal des sapeurs-pompiers, 3e série, n° 21, 4 novembre 1921, pp. 161-162.

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Cf. Annexe 2 chapitre III. « Propriétés et trajectoires sociales des membres de l’association technique », p. 214- 219.

novembre 1920. Il impulse la modernisation du service d’incendie rouennais auprès du conseil municipal, en obtenant un matériel neuf et motorisé.

Les programmes des congrès annuels de l’Association technique, illustrent la place de cette culture savante-technique, des communications d’études spécialisées sont faites par des chefs de corps-conférenciers. À titre d exemples : rapport sur le nouveau ventilateur Papin ; avertisseurs d’incendie : système de mesures et le contrôle ; la protection contre le feu des usines rurales, etc.450 Leurs travaux et positions sont diffusées dans le traditionnel Journal des sapeurs-

pompiers, et relayés par une nouvelle revue mensuelle technique et de vulgarisation, La Prévention du feu451. Ces organes de presse partagent et enregistrent les conceptions de ce collectif, dans lesquels s expriment notamment des ex-officiers et des administrateurs des soldats du feu parisiens.

Des relations de coopération se renforcent entre les membres de l Association technique et les responsables des sapeurs-pompiers de Paris. Le lieutenant-colonel Léonard Hivert452, commandant le régiment, contribue logistiquement à l organisation des assemblées annuelles du collectif. À cet effet, est mise à disposition la salle de conférences de la caserne de la rue Blanche. En outre, il tient à assurer sa présence à ces réunions. Les échanges font circuler entre ces entrepreneurs du pompier professionnel des ressources culturelles et sociales : bonnes pratiques ; études techniques et de nouvelles technologies, procédures manœuvrières,… Des artisans civils du pompier de métier caserné, s inspirent de principes organisationnels du soldat du feu, et recrutent des agents de cette unité militaire453.

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« Association Technique. Congrès de 1922. », Journal des sapeurs-pompiers, 3e série, n° 15, 4 août 1922, p. 122 à 128.

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Le premier numéro sort le 15 septembre 1923. En sous titre, la revue a vocation d être le bulletin officiel de la Chambre syndicale des constructeurs de matériel d incendie et de prévention du feu, ainsi que d unions départementales de sapeurs-pompiers. Le directeur-fondateur de la publication est Jean Sennac, il est secrétaire de la

Chambre syndicale des constructeurs de matériel d’incendie et de prévention du feu, et depuis 1920 membre

d’honneur de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers Français. Il a une posture préventionniste militante dans l espace social de l écriture corporative. Il rédige des manifestes sur l organisation rationnelle de la sécurité publique, et adresse des missives de même ordre au ministre de l Intérieur. Il défend et prône la coordination départementale des moyens de secours et d extinction de l incendie. Engage une étude comparative et participative sur l instruction des officiers en France, en Angleterre, aux États-Unis, et en Allemagne, intitulée « le pompier retourne à l école ». L enquête est lancée en novembre 1933. Il préconise la création d un institut central du feu français, école professionnelle destinée à former les cadres officiers, consacrant leur aptitude professionnelle suite à un examen délivrant un certificat ou un brevet. Le rédacteur en chef est Édouard Wattremez, ex-officier des soldats du feu parisiens, décédé le 14 mars 1933. Le général Paul Pouderoux, à peine retraité du commandement des sapeurs-pompiers de Paris, prend le relai et devient le nouveau conseiller technique de la revue, en avril 1933.

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Né le 15/03/1867 à Vallereuil (Dordogne) – décède le 18/07/1932, à Paris. Fils de propriétaires cultivateurs. Il sort de l’École militaire en avril 1889, et intègre comme sous-lieutenant le 53e régiment d’infanterie en 1890. Il prend le commandement des sapeurs-pompiers en mai 1919 jusqu’au 15 mars 1925. Est remplacé par le lieutenant- colonel Paul Pouderoux, né le 11 février 1874, formé à l’École spéciale militaire, il débute sa carrière militaire au statut de sous-lieutenant au 80e régiment d’infanterie, en 1895.

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« (…) et, si le régiment de Paris n’est plus le seul à développer sa résistance et sa force, il n’en reste pas moins celui qui a donné le grand exemple et qui a su maintenir sa juste réputation athlétique en faisant bénéficier les corps de pompiers et les sociétés sportives de France de l’appoint de ses anciens moniteurs. ». « (…) qui s’inspirent d’ailleurs, de plus en plus, des principes du régiment de Paris et qui recrutent aussi dans ce dernier, les meilleurs de leurs gradés, officiers et sous-officiers. » « Association technique des Chefs de Services d’Incendie Français »,

2. Logique de territorialisation

Les instigateurs du sapeur-pompier de métier s’accaparent des espaces d’intervention et d’influence, en augmentant leur marché opérationnel, et en accédant à des postes administratifs pour défendre et faire valoir leur modèle d organisation.

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