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La formation d’un espace social de différences, 1881-

IV. L’opposition des styles de vie des sapeurs-pompiers

4. L’attachement à l’armement/Le désintérêt

Le groupe social alimente des expressions ambivalentes vis-à-vis de l’armement, complexes à mesurer en termes d’influences. Quoiqu’il en soit, des orientations peuvent être isolées, la position fédérale voit dans la faculté de se munir d’un fusil, du sabre d’apparat et d’un drapeau, des objets portés en majesté, considérés comme des mobiles d’engagement dans les corps de pompiers des villages et des petites villes. « Désarmez ? Allons donc, quand les petits sont si fiers de voir le papa redressant la taille de bon Français, défiler le 14 juillet tambour battant, clairon sonnant. »337 Ils ne sont pas contre, même s’ils marquent une préférence pour son désintéressement au bénéfice de la pompe à incendie, « (…) le président Mignot se félicite de voir les corps se désintéresser des armes au profit du matériel de secours. »338 Conscients de l’attachement ambigu des pompiers à ces matérialisations militaires, ils œuvrent, par étape, à réduire cette relation. La substitution du fusil par la pompe à incendie se produit sous le mandat du président Georges Guesnet339, et ce changement est consacré dans le décret de 1925340, le texte ne fait plus mention de ces attributions militaires du pompier. En comparaison, les formations des villes importantes en voie de professionnalisation, se démarquent rapidement de ces usages, abandonnant les armes et les missions de maintien de l’ordre public. Le commandant des hommes du feu de Tourcoing, l acte en 1900. « Ce Corps, maintenant bien installé dans ses meubles, n’a plus vocation antérieure du service d’ordre, dont, nous l’avons vu, il s’acquitta fort honorablement, et, le chef de corps demande le 21 mai 1900, l’autorisation de vendre 98 sabres, 6 épées, 46 fourreaux de sabre qui n’ont plus d’utilité, en même temps que des vieux métaux de diverses origines dont 120 kg de cuivre provenant de vieux casques. »341

La question de l’armement orchestre une dépréciation du soldat du feu de Paris, menée par des tenants du modèle civil se prononçant en faveur de sa démilitarisation. Est récusé le poids

337

Article signé Hosterlitz par un capitaine, Journal des sapeurs-pompiers, 27 décembre 1903.

338

Congrès fédéral à Saintes, le 14 août 1898. « Les années de jeunesse », « 1882… 2000 Une longue marche », Le

Sapeur-pompier, numéro hors-série 2000, p. 17.

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« Il disait : « je voudrais que les corps de sapeurs-pompiers fussent réellement des corps de sauveteurs publics, allant au secours des malheureux. Je voudrais qu’on ne les vit plus parader, jouer en quelque sorte au soldat. » Et je lui ai répondu : « Vous prêchez un converti, je connais un maire d’une grande ville qui vient de faire défiler ses Sapeurs-Pompiers avec leur matériel au lieu du fusil » et ce fut un beau succès. Voilà, il y a 30 ans, ce qu’il envisageait ! Ce fut le point de départ. » Témoignage de M. Maringer, vice-président du Conseil supérieur, proche du président Guesnet. « Réunion extraordinaire du Conseil fédéral », Le Sapeur-pompier, 48e année, n° 451, 15 août 1936, p. 279.

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« L’opinion généralement admise est que le fusil ridiculise les sapeurs-pompiers communaux, car il ne s’en servent que dans les parades et revues, et par manque de pratique et d’exercices, ils s’en servent mal. Les sapeurs- pompiers devraient défiler avec leur matériel bien entretenu, pompes, échelles, dévidoirs, et non avec le fusil, dont ils n’ont que faire, en tant que sapeurs-pompiers (applaudissements). » Propos du président Guesnet lors du conseil fédéral du 22 mars 1920. « Les sapeurs-pompiers à l’étranger ne sont pas armés, pourquoi le serions-nous ? Il est tout à fait extraordinaire de prétendre que nous ne pouvons avoir de discipline sans fusils. Le moment n’est plus de jouer au soldat, il faut que nous soyons essentiellement pompiers. » Delaboissière, président de la commission fédérale des finances. « Conseil fédéral du 22 mars 1920 », Le Sapeur-pompier, 31e année, n° 60, 1er mai 1920, p. 538.

À l’unanimité, lors du congrès de Paris le 10 juillet 1920, sauf un avis contraire exprimé par le capitaine Beaugez de Saint-Quentin, les fédéraux votent la suppression de tout armement pour les sapeurs-pompiers communaux. Le législateur entérine ce vœu dans le nouveau décret de 1925. « La Fédération se trouve une nouvelle fois en position de fer de lance, et fait réviser les précédents décrets statuaires : celui de 1925 reconnait les sapeurs-pompiers comme entièrement civils (il n’est plus fait mention de l’armement, en fait supprimé depuis 1924, ni du drapeau) (…) » « 1882… 2000 – Une longue marche », Le Sapeur-pompier, Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, numéro hors-série 2000, p. 33.

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Diguet Christian, Du tocsin au 18 ou les étouffeurs de flammes. Historique du Corps des Sapeurs-Pompiers de

des exercices d’infanterie dans sa formation au détriment des manœuvres de lutte contre le feu. « Mais le soldat fait du tort au sapeur, l’école du bataillon cause du préjudice à l’école d’incendie. On s’est trop occupé de mettre le sapeur-pompier en état de se battre avec l’ennemi, pas assez de lui apprendre à se battre avec la flamme. »342 La critique de fond énoncée est de savoir si cet agent, placé dans un cadre civil, ne serait pas autant discipliné et opérationnel.« La plus grande partie du temps des sapeurs-pompiers de Paris est consacré à l’instruction du fantassin. Le surplus est consacré à quelques manœuvres de gymnastique et de pompes, mais cela vient en surcroit de leur métier militaire. Combien leur service serait plus fructueux si les sapeurs étaient des pompiers et non des soldats, si on leur retirait fusil, cartouches et baïonnette, pour placer entre leurs mains ces armes dont ils doivent connaitre à fond le maniement : lance, tuyaux, dévidoir, pompe, échelle, etc., etc. »343 À l’encontre de ces considérations, les militaristes font prévaloir leur modèle comme le seul garant de l’intériorisation de la discipline, indispensable à l’efficacité opérationnelle. « Une autre question passionne nos corps. L’armement. Je suis partisan d’une solution qui ne fut jamais proposée : celle de n’accepter que des hommes passant par le régiment. Que nous ayons des fusils avec les pompes, que l’on soit militariste ou pas militariste, il est indéniable que le régiment fait du bien, débrouille les jeunes gens et seuls les cerveaux contaminés s’en souviennent avec regret. Prenez des sapeurs qui ne sortent pas de l’armée, et à part, quelques belles exceptions (car on pourra, en tout et pour tout me sortir des exceptions, mais l’exception confirme la règle n’est-ce pas ?) vous verrez la

différence. Comme je l’ai écrit déjà la discipline est NOTRE PLUS GRANDE FORCE. »344

Son ambassadeur, le colonel Paris, conteste la demi-mesure de corps d’incendie de villes importantes, calquant des principes d’organisation des sapeurs-pompiers de la capitale, sans en adopter la totale militarisation. « Lyon possède un bataillon de pompiers, bataillon civil, bataillon municipal, cet idéal des militarophobes. »345 C’est par une remise en question de la méthodologie critique des détracteurs, qu’il prépare sa contre argumentation en ramenant les débats au niveau de la comparaison latérale. « Les partisans d’un service d’incendie civil à Paris ne contestent pas la nécessité d’une très forte discipline dans le corps des Sapeurs-pompiers ; ils prétendent seulement qu’elle peut exister sans l’organisation militaire, et à l’appui de cette théorie ils citent les employés de l’octroi, les gardiens de la paix, etc. (…) Il s’agit de Sapeurs-pompiers militaires, qui seraient, affirme t’on, aussi disciplinés et bons s’ils étaient civils. C’est donc parmi les pompiers civils, et non ailleurs, que doit être cherchée la démonstration de cette proposition. »346 La contre attaque s’achève à partir d’une intervention marquée par la défaillance de sapeurs-pompiers lyonnais, en concluant que jamais un évènement de ce genre n’est advenu chez les soldats du feu, du fait de leur éducation militaire. « Le conseil n’a pas pensé qu’il y eût matière à révocation ; il a décidé qu’il suffisait de casser le caporal et de rétrograder les deux pompiers de première classe. Pour avoir manqué de courage ! de sang- froid !! de dévouement !!! Au régiment de Sapeurs-pompiers de Paris, ce caporal et ces sapeurs eussent été traduits devant un conseil de guerre pour abandon de leur poste et lâcheté en présence

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Ces propos ne sont pas émis directement par les responsables fédéraux, ils sont tenus par des journalistes, mais leurs articles insérés dans le Courrier officiel de la Fédération, ne faisants pas l’objet de commentaires, indique le parti pris des fédéraux, c'est-à-dire la non adhésion à la militarisation des services d’incendie. C’est une façon d’extérioriser ses opinions par procuration, et ce procédé relève d’une certaine diplomatie, en évitant d’adresser des critiques frontales en son nom propre aux représentants du modèle parisien. « La réorganisation des pompiers », article de Georges Grison, issu du journal Le Figaro, reproduit dans le Courrier officiel, 6e année, n° 8, août 1895, p. 196.

343

Grandhantz-Loiseau E., « Le régiment des pompiers de Paris. Sa réorganisation et sa démilitarisation », article édité dans Le Monde humanitaire, et inséré dans le Courrier officiel, 7e année, n° 6, juin 1896, p. 144.

344

Hitzemann Yvan, « Aux officiers », Les sapeurs-pompiers de France, imprimerie Cerf, Paris, 3ème édition, 1912 (1ère édit. 1909), p. 20.

345

Colonel Paris, Gabriel Édouard, commandant le régiment des sapeurs-pompiers de Paris, « Appendice et pièces justificatives », Le feu à Paris et en Amérique, Librairie Germer Baillière et Cie, 1881, p. 194.

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de l’ennemi ; la peine prononcée par les art. 211 et 213 du Code de justice militaire est la peine de mort. Seulement, au régiment de Sapeurs-pompiers de Paris, ce n’est point dans les registres des conseils de guerre, mais dans le livre d’or, qu’il faut chercher les noms de ceux auxquels les feux de théâtre (pour ne parler que de ceux-là) ont coûté la vie. »347

Les rapports avec le soldat du feu ne se font pas uniquement sur le registre de l’opposition, mais aussi sur celui de l’admiration348

. Certes, les représentants fédéraux prennent de la distance avec les références militaires, et la mesure dispensant de la période obligatoire de conscription les agents civils engagés depuis cinq ans dans un corps régulier de sapeurs-pompiers communaux, n’est pas du goût des militaristes, mais ce serait réduire à la séparation l’état des relations entre ces collectifs. Il y a des formes d’association et de la bonne entente, c’est ainsi que Guesnet entreprend des démarches poussées auprès des autorités soldatesques pour permettre l’incorporation des jeunes sapeurs-pompiers communaux en vue de l’accomplissement de leur service militaire au régiment des soldats du feu de Paris. Plusieurs rencontres se réalisent entre le président fédéral, le préfet de Paris et le colonel du régiment, et le 19 octobre 1908, le ministre de la Guerre paraphe la circulaire définissant les conditions d’admission349

des agents communaux dans cette unité. Guesnet exploite des rapprochements entre les sphères civile et militaire dans un contexte de préparation à la guerre en perspective d’un conflit avec l’Allemagne, mais ce n’est pas ce qui le pousse à construire ce lien, il poursuit exclusivement le perfectionnement de l’instruction professionnelle des sapeurs-pompiers. Il convient de préciser les objectifs de l’accord mis en avant pour relativiser le rapport au soldat du feu, la traduction est fidèle aux conceptions des représentants fédéraux, puisque sont surlignées les acquisitions techniques et non l’incorporation de codes militaires. « Mais les avantages sont d’un autre ordre, d’abord, nos corps de sapeurs-pompiers communaux bénéficieront de l’introduction d’éléments jeunes qui nous reviendront du corps d’élite de Paris avec des connaissances techniques, susceptibles d’initier chacun de nos groupements aux progrès de la science, aux moyens perfectionnés de combattre les sinistres et capables de constituer dans notre sein une pépinière de gradés éclairés ayant de ce fait l’autorité du commandement. »350

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Colonel Paris, Gabriel Édouard, commandant le régiment des sapeurs-pompiers de Paris, « Appendice et pièces justificatives », Le feu à Paris et en Amérique, Librairie Germer Baillière et Cie, 1881, p. 195.

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Veblen Thorstein, Théorie de la classe de loisir, 1899. Les rapports entre classes sociales sont étudiés à partir des principes de l’envie et de l’admiration, pas uniquement en terme d’opposition.

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Appartenir à une compagnie de sapeurs-pompiers communaux depuis un an au moins. Posséder un certificat d’aptitude physique du régiment des sapeurs-pompiers de Paris. Avoir satisfait à un examen professionnel portant sur le maniement de l’échelle à crochets, les sauvetages et l’attaque du feu. L’épreuve est évaluée par une commission départementale de trois officiers de corps communaux, nommés par le préfet. « Incorporation des Sapeurs-Pompiers Communaux au Régiment des Sapeurs-Pompiers de la ville de Paris. Conférence de M. le capitaine Rouleau, du 51e de ligne, à la Neuville-en-Hez (Oise), le 13 décembre 1908 », Le Sapeur-pompier, 20e année, n° 1, 01 janvier 1909, p. 4.

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