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Les réseaux de promoteurs de l’éducation physique du sapeur-pompier Logiques de diffusion, 1914-

B. Une codification distinctive d usages gymniques de l’officier de « valeur »

IV. L’introduction d’un modèle alternatif : le soldat du feu athlète complet

4. Le mythe de l innovateur

Ce promoteur est apprécié comme un apôtre de l’éducation physique573

, prêchant la bonne parole dans le groupe social des sapeurs-pompiers civils. Le traitement médiatique de son engagement pour la formation physique, exprime une opinion de sens commun, relative à l’innovation, associant à l’émergence de la nouveauté, une expérience individuelle, résultant du fait d’un seul homme. C’est une vision héroïque de l’innovation, hors celle-ci résulte d’un processus collectif d’appropriation et de diffusion. Même s’il prône des idées neuves sur l’instruction des sapeurs-pompiers communaux, il s’entoure rapidement d’agents partageants ses convictions et aspirations, d’alliés pour le soutenir. Sa première conférence se réalise devant des officiers de métier, membres de l’Association technique, convertis au modèle du pompier- gymnaste. « D’ailleurs, je parle ici devant des convaincus, devant des gens qui aiment le mouvement, qui aiment le mouvement parce qu’il fait partie et qu’il est indispensable au métier de Pompier. (…). »574

Ses contributions sont publiées dans la presse spécialisée, proche des conceptions de ce collectif, et relayées par Édouard Wattremez575, rédacteur en chef du Journal des sapeurs-

pompiers, ex capitaine-instructeur de gymnastique des sapeurs-pompiers de Paris. Édouard

Wattremez partage avec ce promoteur de l’éducation physique, une expérience commune chez les soldats du feu, et a intériorisé, pour être converti, la conception d’un sapeur-pompier- gymnaste576. Il a eu sous son commandement le lieutenant Daragon avant la guerre 1914-1918, et

L’Alarme, n° 105, septembre 1936, p. 1794-1795. L’initiative est également relatée dans l’organe de presse officiel

fédéral, « Dans nos unions. Union des corps de Sapeurs-Pompiers de la région lyonnaise », Le Sapeur-pompier, 48e année, n° 445, 15 mai 1936, p. 286.

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« Union des Corps de Sapeurs-Pompiers de la Région Lyonnaise. Assemblée Annuelle et Concours Régional »,

L’Alarme, 6e

série, n° 11, novembre 1937, p. 257.

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« Il a été déjà dit, dans ce journal, ce que nous pensons de lui : l’ex-petit moniteur au Régiment de Paris, grandi par les épreuves de la guerre, mûri par l’expérience, façonné par le pur athlétisme, est devenu un apôtre de l’éducation physique, dans le sens le plus complet du mot. », introduction de la Rédaction de l’article « La religion du corps » écrit par le Lieutenant Daragon, « Éducation physique », Journal des sapeurs-pompiers, n° 21, 1er novembre 1927, p. 248.

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« Éducation Physique – Conférence », Journal des sapeurs-pompiers, n° 10, 1927, p. 113.

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09/08/1867, Paris (8e

arr.) - 15/03/1933, Paris. Père, identité inconnue. Palmyre Esther Amandine Wattremez,

rentière. Le 31/10/1887, il intègre l École spéciale militaire de Saint-Cyr. Capitaine issu de l’infanterie, il entre au

Régiment des soldats du feu de Paris, le 13/07/1904. Du 10/12/1908 au 23/12/1913, il exerce les attributions de capitaine-instructeur de gymnastique. De 1918 à 1919, il est directeur régional d’instruction technique. Il devient le rédacteur en chef du Journal des Sapeurs-Pompiers, de La Prévention du Feu, de la Revue internationale du feu, et ingénieur-conseil du bureau technique de l organe de presse la Prévention du feu. Archives nationales. Base

Léonore, dossier n° 19800035/1342/55557.; Dossier de carrière n° 176. Archives Brigade des sapeurs-pompiers de

Paris. Suite à son décès, c’est le général Pouderoux des soldats du feu parisiens qui le remplace au poste de conseiller technique de la Prévention du feu.

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Wattremez Édouard, « Pour varier !... Si nous parlions un peu d’éducation physique », Journal des sapeurs-

pompiers, n° 8, 15 avril 1927, p. 90. Il a également formé Lucien Stéfani importateur de la méthode naturelle de Georges Hébert chez les soldats du feu parisiens.

a procédé à son élection au poste de moniteur de gymnastique des sapeurs-pompiers de la capitale. Sa position de rédacteur de la presse spécialisée est due à son expérience de technicien reconnu du fait de son parcours chez les sauveteurs militaires. Il contribue, par sa position journalistique dans le groupe des pompiers, à mettre avantageusement en récit des initiatives en éducation physique, contribuant à sa propagation par sa médiatisation577.

D’autres officiers, certes restreints en nombre, du réseau de l’Association technique se rallient au mouvement de diffusion de l’éducation physique du sapeur-pompier578

. Louis Paranteau d’Angers, contributeur de la création de la section de gymnastique des sapeurs-pompiers angevins, rédige un manifeste, en 1927, dans l’organe de presse de l’union départementale, pour la propagation de la pratique de la gymnastique et de l’éducation physique à l’ensemble des organisations communales579. Jean Gachet de Saint-Étienne, officier issu du régiment des soldats du feu de Paris, promoteur-relai du sauveteur athlète complet, organise un premier concours d’entrainement physique des sapeurs-pompiers de la Loire, avec un challenge éponyme, planifié le dimanche 10 juillet 1938 à la Talaudière, lors du 26e congrès annuel des sapeurs-pompiers du département. C’est un parcours-obstacles comprenant de la course, du saut, du grimper, un porter de fardeau. Les épreuves sont complétées par la réalisation, le plus rapidement possible, du nœud d’amarre utilisé dans les reconnaissances et pour les sauvetages. Pour ces propagandistes, l éducation physique est impérativement nécessaire à la formation du sapeur-pompier, pour conserver sa vigueur et favoriser ses aptitudes manœuvrières, sa dispense doit occuper la plus grande place possible dans le programme d instruction580.

À une autre échelle de diffusion, locale, s opère des initiatives. Jules Hémery581, chef du corps de Bourges, gymnaste dès l’âge de treize ans, vice-président de l’union des sociétés de gymnastique du Cher, fonde une société d’éducation physique, de gymnastique, d’athlétisme et de préparation au service militaire dans ce département en 1936. Il conçoit également un parcours d’athlétisme du sapeur-pompier en 1938-1939. Jules Gaston Hémery est lieutenant volontaire des sapeurs-pompiers occasionnels de Bourges, le 23 octobre 1923. Il cesse son métier d’entrepreneur de couverture et de zinguerie, et devient officier professionnel de ce service de

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« Par contre, j’aurai le profond plaisir de publier bientôt, en une ou plusieurs fois, une conférence sur l’ÉDUCATION PHYSIQUE ET SON UTILITÉ, que mon jeune camarade Daragon a faite il y a quelques mois devant les membres du congrès de l’Association technique. ». Wattremez Édouard, ibid., p. 90.

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Mises à part les publications de Daragon, deux officiers promoteurs sont identifiables : les commandants Paranteau d’Angers et Gachet de Saint-Étienne.

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Paranteau Louis, article « De l’éducation physique chez les Sapeurs-Pompiers », issu du Bulletin du 17e Collège,

n° 3, 1927, reproduit in le Journal des sapeurs-pompiers, n° 16, 15 août 1927, p. 185.

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Commandant Gachet Gaston, « Ce qui fut et ce qui sera… à Saint-Étienne (Suite) », Journal des sapeurs-

pompiers, n° 17, 1er septembre, 1927, p. 197.

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14/02/1893, Bourges (Cher) – 31/08/1948, Bourges. Son père Alphonse Hémery, est entrepreneur de couverture et de zinguerie. Gaston Hémery dirige l’entreprise familiale du 01/07/1910 au 29/11/1913, et est entrepreneur de couverture et de zinguerie du 01/05/1920 au 31/12/1929. Depuis le 23/10/1923, il est lieutenant des sapeurs- pompiers volontaires de Bourges. Le 01/04/1930, il est nommé chef du poste permanent des sapeurs-pompiers de Bourges et devient officier professionnel de sapeurs-pompiers Le 13/05/1936, chef de bataillon et inspecteur départemental. De 1906 à 1913, gymnaste de La Vaillante, et moniteur de la section pupilles à partir de 1911. 1936, Directeur-fondateur de l’École des sapeurs-pompiers du Cher, société d’éducation physique, de gymnastique, d’athlétisme et de préparation au service militaire (agréée sous le n° 16733). 1938-1939, créateur du parcours

d’athlétisme général du sapeur-pompier, et organisateur des deux premiers championnats du Cher des sapeurs-

pompiers athlètes. Il sera président d’honneur de la Société municipale de gymnastique et vice-président de l’Union

des sociétés de gymnastique du Cher. Sources. Archives municipales. Section historique. Direction générale adjointe

Moyens et Affaires générales, ville de Bourges. Acte de naissance n° 120 de Gaston Hémery (cote E385), Acte de

décès conservé au service État civil, Arrêté municipal du 7 avril 1930 (cote D109), Arrêté municipal du 27 décembre 1930 (cote D110). « Nécrologie. Le Commandant Hémery », Le Sapeur-pompier, 59e année, n° 515, septembre-octobre 1948, p. 88.

lutte contre l’incendie, le 01 avril 1930. Sous sa houlette, le corps de Bourges, composé d’agents permanents en 1930, est rénové avec l’acquisition de matériels modernes, et il œuvre à la mise en place du service départemental d’incendie du Cher avec trente trois centres de secours. En 1936, il initie l’ouverture de la première école des sapeurs-pompiers en France, dans ce département. Le directeur général des cours est Marius Deschamps, sapeur-pompier stagiaire au poste permanent de Bourges, le 01 janvier 1936, titularisé le 01 juillet 1936, ancien moniteur de gymnastique au Régiment de sapeurs-pompiers de Paris, diplômé d’État d’éducation physique. L’école est aménagée dans un bâtiment communal désaffecté, l’ancienne église de la Salle, située au cœur de la ville de Bourges, et proche de la caserne du poste permanent. Le bâtiment se compose de trois salles d’entraînement : un gymnase, une salle de culture physique et un local spécial pour l’instruction physique des sapeurs-pompiers. L’institution est ouverte d’abord aux sapeurs-pompiers berruyers, soumis dès le mois de novembre 1937, à des séances régulières de gymnastique. Puis aux descendants du personnel et des membres honoraires de l’Amicale des sapeurs-pompiers, pour ensuite être rendue accessible à tous les enfants du département âgés de six ans à dix neuf ans et plus. Les objectifs poursuivis visent, au-delà du but généraliste de vulgariser et d inculquer une culture physique et morale aux jeunes gens, destinés ou non à s’engager dans une carrière de sapeur-pompier, à susciter des vocations pour le service des secours et de la lutte contre les incendies, en fondant l’enseignement sur la formation physique. Il s’agit de préparer une génération de sauveteurs équipés de capacités gymniques et en éducation physique, pour exercer cette fonction sociale.

Sur le principe de la reproduction sociale, l entreprise de formation physique du commandant Henri Delannay582, renforce la démonstration de la logique de propagation hiérarchique. Il est transféré, sur sa requête, pour réaliser son service militaire, le 19 août 1919, du 110ème régiment d’artillerie lourde de Rennes aux soldats du feu parisiens. Le délai des obligations militaires expiré, il confirme son goût pour le service de la lutte contre les incendies en s’engageant au corps des sapeurs-pompiers professionnels de Tourcoing, de mars à décembre 1921. Pour ensuite, s’inscrire à nouveau, dans une carrière chez les soldats du feu de Paris, du 19 décembre 1921 au 15 septembre 1930583. Il n’est pas sportif dans le civil, il s adonne à l éducation physique lors de sa socialisation secondaire au régiment, et intériorise les codes de la culture corporelle du sapeur-pompier militaire. Sa trajectoire sociale est marquée par une mobilité sociale de sous-officier à commandant d’un corps civil de la colonie française de Saigon, opportunité saisie en septembre 1930584. Arrivé le 19 octobre 1930, il importe des références

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01/05/1899, Tourcoing (Nord) – 10/07/1998, Ambroise (Indre & Loire). Son père fut petit entrepreneur de maçonnerie. Son grand-père était sapeur-pompier volontaire d’usine. Henri Delannay fait ses études à l’École industrielle et commerciale de Tourcoing. Il obtient le diplôme de capacité, mention « bien ». Le 07/04/1919, il acquière le diplôme de capacité pour la conduite des automobiles à pétrole. 19/08/1919, il est muté sur sa demande du 110e régiment d’artillerie lourde de Rennes à celui des soldats du feu, pour réaliser son service militaire. Mars à décembre 1921, il s’engage chez les sapeurs-pompiers professionnels de Tourcoing. Puis redevient sapeur chez les soldats du feu parisiens le 19/12/1921.15/09/1930 - 30/04/1936, alors sergent, sa candidature est retenue, pour structurer, en qualité de chef de service le corps professionnel de la lutte contre l’incendie de Saigon. En 1930, il aménage un stade hébertiste, attenant au centre de secours de Saigon, pour former les sapeurs-pompiers. En 1937, il présente les 25 sapeurs-pompiers du corps de Tourcoing, comptant 19 agents ayant plus de 34 ans, aux épreuves du

brevet sportif populaire. Tous l’obtiennent. Mai 1938, réalise avec la section de Tourcoing une démonstration de la méthode naturelle appliquée aux sapeurs-pompiers, devant des délégations de corps de la région. Sources. Dossier de carrière et Livret de sapeur-pompier, archives non cotées du corps des sapeurs-pompiers de Tourcoing. Et

Archives privées de son fils Gérard Delannay.

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Entretien avec son fils Gérard Delannay, à Amboise, le 20 mars 2004.

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De l’économie du bonheur. Les édiles de Saigon, capitale cochinchinoise française de 72 000 habitants à cette époque, décident de recruter un expert des soldats du feu de Paris suite à l’incendie des Comptoirs généraux de

l’Indochine, et à la défaillance du service de lutte contre le feu pour y faire face. Ce sont les sapeurs-pompiers de

héritées du modèle parisien pour structurer le nouveau centre de lutte contre l’incendie, géré jusque là par des employés municipaux. Mises à part les innovations techniques, l’instruction physique est cœur de sa réforme585 pour fortifier les "coolies chétifs" et les transformer en sapeurs-pompiers forts, véloces et endurants586. Pour ce faire, il exploite avec ses hommes une parcelle de rizière accolée à la caserne, pour ériger un stade hébertiste587. Les sapeurs-pompiers sont soumis à une pratique quotidienne588, avec un contrôle physiologique et de performances, selon les fiches type de cotations de Georges Hébert.589

De retour en France, il prend le commandement du centre de lutte contre l’incendie de Tourcoing, où il reproduit les mêmes cadres de la formation physique des sapeurs-pompiers. Dès son arrivée en 1936, il fait rénover la zone de la cour de la caserne, dédiée aux installations sportives, et veille à la pratique physique régulière de l’effectif590.

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