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La formation d’un espace social de différences, 1881-

II. Un schisme : les organisations urbaines casernées.

1. La division du groupe des sapeurs-pompiers communau

L’espace social se divise par un mouvement de professionnalisation mis en œuvre dans des centres citadins industrialisés, avec l’émergence du sapeur-pompier caserné et soldé. C’est un modèle alternatif des services de lutte contre les incendies promu par des officiers de corps de grandes agglomérations. Ces réformateurs avec l’appui de décideurs municipaux, font apparaitre un nouveau type d’intervenant, le pompier de métier, organisant par étapes la relégation de l’agent bénévole et occasionnel, et son retrait progressif des effectifs dans ces territoires urbanisés. Le déclassement du volontaire s’effectue suivant des critères d’appréciation clivant l’ancien et le moderne, le désuet et le progrès, l’amateur et l’expert, le lent et le rapide, le rural et l’urbain, démarquant et confrontant deux styles de vie pompier civil. « On me dit qu’il existe dans les petites villes et les petits bourgs, voire dans les villages, des groupes de paysans frustres et mal dégrossis qui s’intitulent compagnies et subdivisions de sapeurs-pompiers. C’est à ne pas croire ! Comment ces pauvres diables dont la vacuité égale la candeur ont-ils eu la pensée de s’intituler sapeurs-pompiers ! Ils prétendent peut être avoir des incendies à éteindre, des sinistres à secourir. Où ? – Comment ? – Avec quoi ? – En sincérité, des pompiers sont-ils nécessaires là où il n’y a point, et où il ne peut y avoir de sinistres ? En admettant même qu’il y ait quelques sinistres, est-ce avec une organisation aussi imparfaite, avec un matériel aussi rudimentaire, une instruction professionnelle aussi nulle que ces braves gens peuvent espérer obtenir un résultat. Je ne suis point surpris de lire chaque jour dans les journaux le récit d’un incendie pour lequel les pompiers n’ont pu opérer aucun sauvetage et n’ont eu qu’à faire la part du feu et noyer les décombres. A quoi peut servir un service d’incendie organisé dans ces conditions ? Et soyez certain par avance que les conseils qui pourraient être donnés à ces gens ne serviraient à rien. Allez donc leur parler d’amélioration, de surveillance, de poste permanent, de service d’avertissement, de premier départ. Ils vous répondront naïvement qu’ils n’ont pas de télégraphe ; si vous leur parlez de service d’eau, ils vous diront qu’ils ont la rivière, et si vous évoquez l’idée d’une pompe à vapeur ou d’une pompe automobile, ils vous regarderont avec l’œil doux et étonné des grands ruminants de leurs pâturages. Ce qui me surprend, mon cher

Directeur, c’est la trop large place qu’on laisse prendre à ces gens là – c’est la trop grande attention que paraissent y porter les Pouvoirs publics et vous-même ; - Vous, la Presse spéciale, qui avez cependant bien d’autres occupations et un rôle beaucoup plus élevé à remplir. Pourquoi s’intéresser à ces groupes de pompiers ruraux qui n’ont de pompiers que le nom, alors que les plus hautes et les plus graves questions professionnelles sollicitent notre attention. Vous me direz peut-être que le feu ne choisit ni son heure ni son lieu, et que certains sinistres ont détruit des villages entiers dans lesquels n’existaient aucun service d’incendie, - que dans d’autres villages où ce service était organisé, les pompiers, mal équipés, avec leurs modestes et primitifs engins, ont sacrifié une masure, mais préservé le reste du village. Qu’est-ce que cela prouve ? Je dis que si ces derniers pompiers avaient eu une caserne ou tout au moins un poste permanent, si un service d’avertisseur électrique avait été organisé dans ce village et enfin si le poste avait possédé une pompe automobile ou une pompe à vapeur pour le moins, je dis que la mâsure n’aurait pas brûlé et que les dégâts auraient été minimes. Mais allez faire entendre raison à des ignorants, - autant vaudrait faire discerner des couleurs à des aveugles. Et ne me dites point qu’ils ne pourraient le faire s’ils le voudraient. »241

La segmentation se paramètre au sein de centres urbains situés dans des zones significatives d’industrialisation, s’équipant de matériels synonymes de la modernité : les pompes à vapeur242

avec la traction hippomobile, et l’usage d’automobiles pour les services devanciers. Les producteurs du discours professionnaliste justifient leur programme d’organisation sur l’impératif d’obtenir, le plus rapidement possible, la présence des hommes sur le lieu du sinistre après l’alerte, et d’élever le niveau de compétences techniques afin d’optimiser le rendement du service de la lutte contre les incendies. Ils s’inspirent notamment des plans d’organisation à destination des villes de province, préconisés par des officiers supérieurs des sapeurs-pompiers de Paris243. Et des responsables municipaux de cités importantes, recrutent des agents de cette unité pour piloter la rénovation et l’encasernement de leurs services d’incendie244

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« Service rural », Journal des sapeurs-pompiers, 18ème année, n° 6, 11 février 1906, p. 1.

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S’agissant des pompes à vapeur, des discussions préconisent de ne pas remplacer complètement la pompe à incendie manuelle par ces engins modernes. Ces innovations permettent de contenir rapidement un incendie mais provoquent, dans certaines situations, des dégâts secondaires par la quantité d’eau débitée. Les effets critiques se constatent surtout dans les appartements, avec l’affaiblissement voire l’effondrement de planchers. Son acquisition conduit à réduire le personnel et à modifier les propriétés du recrutement.

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« Le lecteur aura remarqué que le plan de M. Thiers est emprunté en grande partie à l’organisation parisienne telle que l’ont faite les plus récentes études de M. le colonel Paris. Cette organisation savante, mais délicate, qui fonctionne parfaitement avec un corps militaire, peut-elle être transportée dans une ville où les pompiers sont des volontaires échappant à l’action de la discipline militaire ? Nous nous permettons de poser ici un point d’interrogation. » « Le service de secours contre l’incendie à Lyon », Moniteur des sapeurs-pompiers, 9e

année, n° 19, 5 octobre 1881, p. 150.

Peuvent être citées les études suivantes depuis les écrits de Gustave Paulin : colonel Paris, commandant le régiment des sapeur-pompier de Paris, « Les sapeurs-pompiers de Paris. Casernement », Le feu à Paris et en

Amérique, Librairie Germer Baillière et Cie, 1881, p. 67. Le rapport en date du 20 novembre 1891, signé par le

colonel Ruyssen et les majors Krebs et Detalle du régiment des sapeurs-pompiers de Paris. In « Organisation judicieuse du service d’incendie dans les grandes villes », Les Sapeurs-Pompiers, partie IV, François Bournand, J. Lefort imprimeur-éditeur, Lille, 1892. L’auteur cite les préconisations du rapport : « Rechercher un personnel jeune, alerte, vigoureux et bien dressé. » ; « Loger les sapeurs-pompiers dans des locaux appropriés aux exigences d’un service absolument spécial. », pp. 240-241

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En 1912, le service d’incendie lyonnais est réorganisé par le capitaine Louis Jakowski, provenant du régiment des soldats du feu de Paris, et détaché sur la demande du maire Édouard Herriot. « Le but est de créer de toutes pièces un corps caserné, actif, soldé par la ville de Lyon, et spécifique aux besoins de Lyon. » « Proposition du 13 avril 1912 du capitaine Jatowski sur la réorganisation du service incendie ». Archives municipales, H n° 2. « Il est de toute nécessité de faire appel aux sapeurs-pompiers libérables ou récemment libérés du régiment des sapeurs- pompiers de Paris. Nous aurons ainsi sous la main des instructeurs capables de faire des gradés expérimentés. »244 « Proposition du 13 avril 1912 du capitaine Jatowski sur la réorganisation du service d incendie », Archives

Les réformes et l’appropriation d’innovations technologiques sont décidées suite à des incendies marquants, et à la manifestation de l’émotion publique en résultant, constitutive d’une exigence sécuritaire montante de la part de résidents et d’industriels locaux. Ainsi, les élus de la ville de Tourcoing financent l’acquisition d’une première pompe à vapeur le 27 octobre 1876, pour répondre à la nécessité sociale de la protection des personnes et des biens, devant la recrudescence des risques d’incendie liée au développement de l’industrie. « Ces incendies, plus fréquents, dont la violence augmente avec la prospérité commerciale, décident les édiles, le 27 octobre, de faire l’acquisition d’une pompe à vapeur et cinquante bouches spéciales pour cet engin. »245 De même, l’obtention d’une seconde pompe à vapeur prévue au calendrier des dépenses du budget communal, est hâtée suite aux décès de trois enfants, brulés dans leur domicile le 7 mai 1885, et à l’évacuation de cinquante élèves du collège de la rue de Lille, embrasé le 10 mai. « La population étant fortement émue de tous ces évènements, la municipalité décide de précipiter l’achat du nouveau matériel à incendie. »246

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