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Le prix de la vie humaine en temps de guerre

CHAPITRE 2 : LA COMPLEXITÉ DE LA NOTION DE COȖT D’OPPORTUNITÉ DE LA GUERRE

79 A titre d’exemple, au Liban, l’indemnité du dommage matériel et moral versée aux proches de la victime est aux alentours

2.3. Le prix de la vie humaine en temps de guerre

La guerre est très coûteuse en termes de sacrifice en vies humaines. En plus des coûts humains de la guerre résultant directement des morts et des blessures qui ont eu lieu durant les batailles, il y a ceux résultant indirectement de la perte des moyens de subsistance causés par la dislocation de l’économie et de la société résultante du conflit. En effet, des familles entières sont condamnées à vivre dans la misère et meurent de faim parce que leurs sources de revenus ont disparu.

Pendant la guerre, le niveau de la population change. A terme, les pertes entraînées par la guerre affectent les taux de natalité, de nuptialité et de reproduction. La guerre fait disparaître un grand nombre de militaires et de civils, ce qui entraine un ralentissement de l’inflation démographique. Ce ralentissement s’accompagne d’un vieillissement de la population.

La valeur monétaire des pertes en vies humaines peut être mesurée en capitalisant les revenus futurs qui auraient été perçus par les soldats tués à la guerre. Il faut ensuite

82 Bourrie-Quenillet M. (2004), p.103.

83 Champaud C. (1994), « Les fondements de la réparation du préjudice », Cahiers de l’expertise judiciaire, No1-2, volume 6,

p.10.

soustraire de cette somme le montant des revenus capitalisés qui auraient été consacrés à l’achat de biens de consommation. La différence de ces deux sommes, représente en terme monétaire la charge que les survivants auront à supporter du fait de la mort de leurs compatriotes tués à la guerre. Cette méthode a été introduite pour la première fois par J.M.Clark. L’application de cette méthode est très difficile et rencontre plusieurs problèmes.

Chaque victime représente un capital équivalent à la somme de toutes les dépenses qu’il a fallu faire sur plusieurs années pour son entretien et son éducation. Une grande perte d’hommes adultes représente donc en même temps une grande perte de richesse. Le volume de la population est un facteur de dimension et de puissance économique. Les pertes en vies humaines constituent une diminution définitive de la puissance économique des pays. La guerre provoque la mort d’hommes jeunes et vigoureux qui dans leur grande majorité produisent plus qu’ils ne consomment. Ce sont ceux qui ont la charge de produire pour les non productifs tels que les enfants et les personnes âgées. Nous pouvons dire que leur mort entraîne une diminution de la production qui sera supérieure à celle de la consommation.

Avec la mort des jeunes, l’économie se trouve privée d’une partie importante de sa force de travail qui aurait été effectivement occupée. Puisque la période de guerre comme celle de l’après guerre, se caractérise généralement par le plein emploi, nous remarquons alors que les pertes en vies humaines entraînent soit une augmentation de la durée du travail, soit une diminution de la production proportionnelle au pourcentage des pertes par rapport à la population active. Toutefois le coût des pertes en vies humaines diffère selon les pays considérés.

La guerre non seulement détruit le capital humain mais elle fait baisser l’investissement dans le capital humain. Pour la destruction du capital humain, il s’agit de la perte de compétence et d’habileté des travailleurs liée à l’émigration, aux pertes humaines et à la désorganisation de la société. La baisse de l’investissement dans le capital humain est le résultat normal de la fermeture et de la destruction des écoles. Elle se fait aussi ressentir puisque les étudiants et les enseignants rejoignent l’armée et les activités de rébellions. Il nous faut d’ailleurs souligner que ces effets jouent à long terme et ne se limitent pas à la durée du conflit.

Les pertes en vies humaines sont considérées en termes relatifs par rapport à la population active. Evaluer les pertes en vie humaines par rapport à la population active tend à apprécier les charges supplémentaires que les survivants auront à supporter pour compenser la disparition d’une partie importante de la force de travail. Les survivants supporteront alors un coût supplémentaire en temps de guerre, celui de compenser la baisse de la population active.

Toutefois, certains économistes, comme Malthus (1820) et Bouthoul (1963), pensent que la guerre résout le problème de surnombre. Malthus pense que la population va doubler tous les vingt-cinq ans et les moyens de subsistance ne peuvent jamais augmenter pour satisfaire le besoin en nourriture. L’insuffisance des moyens de subsistance entraîne une augmentation de la famine et de la mortalité et en conséquence la guerre. C’est par cette voie que se rétablit l’équilibre entre la population et les subsistances. L’insuffisance des denrées agit ainsi comme un obstacle qui supprime l’excédent de la population. La fonction économique de la guerre est, selon Malthus, de rétablir avec d’autres obstacles destructifs, l’équilibre entre la population et les moyens de subsistance.

Cette même idée a été reprise par Bouthoul qui attribue à la guerre une fonction bien définie : celle d’assurer l’équilibre démo-économique dans certains pays belligérants. Lorsque les tensions démo-économiques sont trop intenses pour être contenues, la guerre permettrait de trouver temporairement une solution à l’inflation démographique. Un tel réajustement a pour objet de ramener la population à un niveau plus approprié, celui correspondant au niveau des ressources existantes.

Sa démonstration est la suivante : étant donné l’état des ressources, des techniques de production du moment, la population souffre d’une certaine insatisfaction due à la distorsion se manifestant entre la croissance des ressources disponibles et celle de la population. Cette insatisfaction est plus forte chez les jeunes que chez les personnes âgées dont les besoins sont moindres. Ce sentiment exacerbé conduit à la guerre. Celle ci provoque la mort de nombreux hommes, essentiellement les jeunes. Cette diminution de la population la ramène ainsi à un niveau plus approprié relativement aux quantités de ressources existantes et disponibles.

Cette thèse de guerre et d’équilibre démographique a suscité plusieurs critiques. Pour que le raisonnement de Malthus et de Bouthoul soit correct, il faut admettre que les ressources restent les mêmes en quantité ou que leur diminution n’est pas proportionnelle à la diminution de la population. Donc la disparition d’une partie importante de la main-d’œuvre n’entraîne pas une contraction proportionnelle de la production.

Certains pensent que les pertes en vies humaines peuvent sans nul doute créer des occasions d’emplois puisque les soldats tués à la guerre libèrent un certain nombre d’emplois qui seront occupés par les survivants, peut-être les chômeurs. Ce raisonnement est faux lorsque l’on considère l’aspect qualitatif du chômage. La question qui se pose est de savoir si les chômeurs survivants ont la qualification nécessaire pour occuper les postes laissés vacants. En effet, ils appartiennent à des catégories socioprofessionnelles différentes de celle des soldats tués. Il est douteux que les pertes en vies humaines puissent baisser le taux de chômage dans les pays puisque la mobilité de la main d’œuvre constituée par les chômeurs est très faible. Donc si la guerre réduit toutes les classes de la population de la même façon, selon les principes de Malthus, elle augmenterait le revenu des travailleurs survivants. Mais en réalité la guerre tue et met hors services les travailleurs les plus productifs et par cet effet, elle baisse l’efficacité moyenne par capital. Cette perte ne peut être compensée avant la maturité des nouvelles générations. Il s’ensuit que la guerre ne résout pas, ni dans l’immédiat, ni à terme, le problème du surnombre.

Nous concluons que la destruction du capital humain affecte négativement l’économie du pays concerné. La disparition des hommes est une perte pour la capacité de production nationale. Nous remarquons que durant la guerre, la main d’œuvre est le problème principal : l’homme a des caractéristiques particulières. Aucune mesure économique ne pourra combler les vides. L’importation de main- d’œuvre n’est qu’une solution temporaire qui n’est pas toujours possible. Les deux problèmes essentiels en temps de guerre sont, d’abord, la délimitation entre les besoins en hommes de l’armée et de l’économie, puis une fois les besoins de l’armée sont satisfaits, sa répartition entre les diverses activités.