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GUERRE AU LIBAN (1975-1990)

Section 1. Le coût direct de la guerre

1.1. Approche microéconomique ou individuelle

1.1.1. Dégâts directs

1.1.1.1. Les pertes humaines

Les pertes humaines constituent l’ensemble des troubles psychiques et des pertes physiques subis par la population libanaise résidente à cause des violences qui ont eu lieu durant la période de la guerre. L’état de guerre et d’insécurité a perturbé l’équilibre psychologique des Libanais et a engendré des maladies telles que l’angoisse, l’anxiété, des dépressions nerveuses, une augmentation de la tension des individus, des crises cardiaques, des ulcères. A cela, il faut ajouter le cas des jeunes qui se livraient aux drogues, au banditisme et à diverses actions illégales pour vivre. Les atteintes psychiques étaient très importantes mais elles n’ont pas fait l’objet que d’une seule étude. Les principaux troubles psychiques recensés chez les hommes et les femmes qui ont vécu au Liban durant la guerre sont présentés dans le tableau ci- dessous.

Tableau No4.1.1- Les troubles psychiques recensés entre 1975 et 1990 (en

pourcentage de la population)

Troubles psychiques (en %) Femmes Hommes

Dépression nerveuse 84 83

Frissonnement 35 24

Taquie cardie 39 26

Avoir un sentiment

permanent de peur 41 23

La peur sans aucune raison 29 10

L'oubli 70 61

Pleurer sans raison 15 15

Avoir un sentiment de

tristesse et de solitude 57 51

La perte du plaisir 49 34

L'insomnie 58 52

La fatigue 58 49

Penser à avoir un enfant 8 6

Source : Hatab Z. (1996), « La guerre, la famille et la femme », Chambre de commerce et d’industrie, Zahlé. (En arabe)

Parmi tous les troubles psychiques, nous constatons que les signes de dépression nerveuse étaient les plus importants. Ils ont touché environ quatre vingt pour cent de la population. L’oubli, l’insomnie et la fatigue ont touché plus que la moitié de la population. Le sentiment de peur était plus fréquent chez les femmes que chez les hommes bien qu’elles ne fussent pas exposées aux mêmes risques que les hommes. Nous remarquons aussi qu’une très faible partie de la population voulait avoir un enfant au regard de la situation, caractérisée par la peur, la mort et l’insécurité. Les pertes physiques ont affecté les jeunes en début de leur activité professionnelle et les personnes les plus qualifiées. Elles ont frappé les catégories suivantes : journalistes, médecins, pharmaciens, religieux, professeurs universitaires, professeurs du secondaire, intellectuels, écrivains, infirmières et volontaires de la Croix-Rouge, hommes politiques, diplomates, hauts fonctionnaires, militaires et membres des forces de sécurité. Plusieurs estimations concernant le nombre de morts et de blessés ont été faites. Les chiffres obtenus sont dans la plupart des cas très exagérés pour des raisons politiques.

Dans le rapport sur les victimes de la guerre du quotidien An-Nahar publié le 5 mars 1992, la perte totale en vies humaines est supérieure à 144 000 personnes soit 5% de

la population résidente. Ce chiffre n’inclut ni les morts suite à l’attaque israélienne des camps de refugiés palestiniens ni les morts aux combats armés qui ont eu lieu autour des camps entre chiites (Parti Amal) et palestiniens (FATEH). En plus, 184 000 personnes ont été blessées, 17 000 ont été mutilées et plus de 17 000 ont disparu dont la majorité a été enlevée et tuée. D’autres études donnent des chiffres proches de ceux d’An-Nahar. Le journal New York Times dans son numéro du 3 novembre 1990 estime le nombre de tués entre le premier janvier 1975 et le trente et un octobre 1990 de 150 000 personnes auquel s’ajoute un nombre semblable de blessés. Ce nombre de tués et de blessés nous semble très élevé et exagéré surtout si nous le comparons à celui obtenu par Boutros Labaki et Khalil Abou Rjeily.

Labaki et Abou Rjeily ont dressé le bilan des pertes humaines d’après les ressources des services spécialisés des Forces de Sécurité Intérieure, de l’armée libanaise, de la Sûreté générale, de la Croix Rouge Libanaise, des syndicats et des partis. Ils considèrent qu’il est très difficile de dissocier les pertes humaines des milices de ceux des civils. Ainsi le nombre total des pertes humaines entre 1975 et 1990 trouvé par Labaki et Abou Rjeily est de 64 590 tués, 83 900 blessés, 1 842 enlevés et 2 139 disparus212.

Les années les plus lourdes en pertes humaines sont 1976 et 1982 puisque durant ces deux années, les combats les plus durs et les plus violents ont eu lieu. Les tués et les blessés durant la guerre au Liban sont des hommes jeunes âgés entre 15 et 30 ans, en bonne santé et au début de leur carrière professionnelle. La mort de ces jeunes a entrainé une perte économique pour le pays qui peut être estimée en utilisant la méthode suivante213 :

Perte de production des morts civils = Ʃ (PIB pa

Nombre de morts civils par an)

M1t = 1/Ft ˣ PIB par habitantt, t = année

F= population active/ population totale

212 Le nombre des tués durant chaque année de la guerre est représenté en annexe 5.

213 Cette méthode nous a été proposée par Benoît Mario PAPILLON, Professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières,

lors de sa présence à l’IRGEI en décembre 2010. Il nous l’a proposé en particulier vu le manque de données qu’on a sur les salaires et la population active au Liban.

En appliquant cette méthode, nous obtenons une perte directe de production d’environ 764 millions de dollars entre 1975 et 1990214. Dans cette estimation, nous avons pris en compte à la fois les pertes humaines des civils et des miliciens parce qu’il est impossible de distinguer entre elles. En plus, les miliciens ne sont pas des militaires réguliers donc ils ne sont pas payés pour le risque qu’ils encourent. C’est à partir de 1982, qu’ils ont commencé à avoir un salaire régulier. Avant cette date, nombreux d’entre eux combattaient pour défendre leurs principes et leurs idéologies sans toucher vraiment un salaire.

D’après cette méthode, nous pouvons aussi attribuer une valeur aux blessés. Comme nous n’avons pas de données sur la gravité des blessures, nous supposons que la moitié des blessés sont des handicapés à vie et ne peuvent plus exercer un travail et que l’autre moitié est légèrement blessée et peut continuer à travailler. Ainsi, la valeur d’un handicapé à vie est la même que celle d’un mort. Pour les autres degrés d’handicap, la valeur est nulle. En conséquence, nous obtenons une perte de production d’environ 466 millions de dollars215. Toutefois, il faut savoir que le coût

d’un handicapé n’est pas le même que celui d’un mort. Le mort ne coûte rien à la société tandis que l’handicapé coûtera à la société les frais de santé.

Labaki et Abou Rjeily ont également étudié les pertes humaines militaires. Dans leur étude, ils ont distingué les pertes des forces régulières216 qui sont militaires de profession et des milices qui sont des organisations paramilitaires. Concernant les milices, il y a les milices libanaises, les milices palestiniennes ainsi que les volontaires de certaines armées arabes : irakienne, libyenne et iranienne. Les victimes des forces régulières sont présentées dans le tableau ci-dessous.

214 Voir le calcul détaillé en annexe 6. 215 Voir le calcul détaillé en annexe 7.

216 Pour les forces régulières, il faut intégrer les forces relevant de l’Etat libanais (l’Armée Libanaise, les Forces de Sécurité

intérieure et la Sûreté Générale) et les forces étrangères (les Forces de Dissuasion Arabes, les Forces des Nations Unies (FINUL), les Forces Multinationales, l’Armée Israélienne et l’Armée Syrienne).

Tableau No4.1.2- Victimes dans les forces régulières (1975-1990)

Nom de la force régulière Mots Bléssés Handicapés physiques

Armée Libanaise(75-90) 2540 3854 915

Force de sécurité intérieure (75-90) 355 375 -

Sûreté générale (75-90) 32 5 - Total Liban ( 75-90) 2927 4234 915 F.I.N.U.L (78-90) 172 - - Observateurs de l'ONU (82-90) 5 - - Forces multinationales (82-84) 306 - - Armée israélienne (75-90) 721 3890 - Armée syrienne 321 945 - Total 1525 4835 Total général 4452 9069 915

Source: Labaki B. et Abou Rjeily K. (1993), « Bilan des Guerres du Liban 1975-1990 », L'Harmattan.

Les décès dans l’Armée Libanaise sont les plus importants. Ils représentent 57% du total des victimes des forces régulières. Les années les plus lourdes en pertes humaines sont 1976, 1983-1985 et 1990. Durant ces années, les forces régulières libanaises ont mené divers combats dans plusieurs régions libanaises pour défendre l’intégrité territoriale du pays et la souveraineté de l’Etat. Nous remarquons alors que les pertes humaines militaires varient en fonction de l’intensité des conflits. Selon Labaki et Abou Rjeily, le nombre de morts et de blessés au sein de l'armée syrienne n'est pas réel. Ils estiment le nombre réel de pertes pour cette armée à 2800 morts et 5120 blessés.

Pour les pertes au sein des milices217, aucune donnée ne permet de couvrir toutes les milices qui ont opéré sur le sol libanais. Selon un bilan fourni par trois milices (Forces Libanaises, Parti National libre et Gardiens du Cèdre), le nombre total des tués de 1975 à 1990 est de 4078 personnes, celui des blessés de 2448 et celui des handicapés est de 627. Le nombre le plus important des tués est durant la guerre des deux ans (1975-1976) et en 1990. Les pertes des autres milices sont élevées mais elles n’ont jamais été communiquées.

Si nous ajoutons le nombre de tués des forces régulières à celui des civils et des miliciens, nous obtiendrons 67 517 morts. Nous pouvons aussi ajouter le nombre de

217 Notons que les milices sont des organisations paramilitaires appartenant à des partis politiques, à des leaders politiques

tués à celui des enlevés et disparus. Ces derniers peuvent être considérés comme morts puisque jusqu’à présent la majorité d’entre eux n’a pas réapparu. Le nombre total des tués est alors de 71 498 soit 2,7 % de la population libanaise, estimée à 2 630 000 personnes en 1990. Le nombre total des blessés est alors de 88 134 soit 3,3% de la population.