• Aucun résultat trouvé

Le prix des destructions matérielles

3.1. La parabole de Bastiat

Les destructions sont très coûteuses pour l’économie. Outre le coût direct, il y a le coût indirect qui se traduit par une baisse du niveau de vie de la population et par un retard en matière de développement économique du pays. Malgré ce coût élevé de la destruction, certains économistes pensent que cette dernière peut être bénéfique à travers les dépenses générées par la reconstruction et la mise en place de nouvelles inventions. De notre point de vue, ces deux arguments sont totalement faux et la parabole de Bastiat nous permet de mieux clarifier ces idées.

Pour mieux comprendre ce que coûtent les destructions matérielles à la société, nous allons introduire l’histoire de la vitre cassée présentée par Frédéric Bastiat en 1850 dans son essai « ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas ». L’histoire de la vitre cassée permet d’illustrer la notion de coût d’opportunité et plus particulièrement les coûts cachés de toute décision économique. Bastiat pense que dans la sphère économique tout acte n’engendre pas seulement un effet, mais une série d'effets. « De ces effets, le

premier seul est immédiat; il se manifeste simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit pas; heureux si on les prévoit ». « Il arrive presque toujours que, lorsque la conséquence immédiate est favorable, les conséquences ultérieures sont funestes, et vice versa85».

En matière économique, Bastiat insiste souvent sur la distinction entre ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas. Cette idée est développée dans sa parabole de la fenêtre cassée. Il prend l’exemple du fils du bourgeois Jacques Bonhomme qui a cassé un carreau de vitre lors d’un spectacle. Les assistants à ce spectacle disent en consolant le père que « de tels accidents font aller l’industrie. Que deviendraient les vitriers, si l’on ne cassait jamais de vitre ? »

Bastiat explique que l’argent dépensé pour réparer la fenêtre, soit six francs, apportera du travail au réparateur. Ce dernier pourra augmenter ses dépenses, ce qui produira plus d’affaires pour d’autres (idée du multiplicateur keynésien). Mais selon

Bastiat, cette théorie s’arrête à ce qu’on voit et elle ne tient pas compte de ce qu’on ne voit pas. On ne voit pas que le bourgeois ne pourra plus dépenser ces six francs à une autre chose que celle de réparer la vitre cassée comme par exemple remplacer ses souliers ou acheter un livre. En d’autres termes, il n’utilisera pas ces six francs comme il l’entendait. Donc ce qu’on ne voit pas ici, c’est comment l’argent aurait été dépensé si la fenêtre n’avait pas été cassée. La fenêtre a seulement détourné de l’argent vers d’autres dépenses. Bastiat fait le bilan de cette action du côté de l’industrie. Il trouve que « si l'on prenait en considération ce qu'on ne voit pas, parce que c'est un fait négatif, aussi bien que ce que l'on voit, parce que c'est un fait positif, on comprendrait qu'il n'y a aucun intérêt pour l'industrie en général, ou pour l'ensemble du travail national, à ce que des vitres se cassent ou ne se cassent pas ». Pour Bastiat, Jacques Bonhomme fait partie de la société. Il conclut alors que « la société perd la valeur des objets inutilement détruits » et que « Casser, briser, dissiper, ce n'est pas encourager le travail national», ou plus brièvement: «destruction n'est pas profit».

D’après Bastiat, nous constatons que la guerre n’est pas du tout profitable. Les destructions constituent une perte pour la société. L’argent que le pays va consacrer à la reconstruction ou à la réhabilitation des biens touchés durant la guerre aurait pu être dépensé autrement et d’une manière plus profitable à l’économie. Nous retrouvons ici la notion de coût d’opportunité la guerre.

D’un autre côté, nous entendons souvent dire que la guerre a quelques effets positifs sur le plan de l’innovation et de la technologie et que l’histoire montre que de nombreuses inventions y sont liées. En effet, les progrès techniques immédiatement réalisés pendant la guerre favorisent certaines activités de production et de recherche. Les partisans de cette idée trouvent que l’exploitation après guerre des découvertes faites pendant ou à propos de la guerre a des conséquences parfois profondes sur les méthodes et les techniques de production industrielle. Les innovations réalisées au cours de la guerre le sont essentiellement dans les secteurs directement ou indirectement intéressés par la production de matériel de guerre.

D’après eux, la participation de la guerre à la connaissance scientifique est considérable dans les domaines suivants : l’internet86, l’informatique à haut débit, le radar, les travaux sur le génome, la géodésie, le nylon, les drogues de synthèse et le nucléaire. Ces innovations sont tous issues des recherches militaires.

Toutefois, les experts de la Banque mondiale pensent que la guerre civile ne favorise pas les transferts de technologie et ne bénéficie pas à l’économie. Les bénéfices économiques qui résultent des innovations technologiques militaires dérivent essentiellement des inventions et des processus de production plutôt que de l’utilisation de nouvelles technologies militaires. Les guerres civiles contemporaines concernent les pays les plus pauvres de la planète loin des technologies de pointe. Pour ces pays, l’adoption des technologies est plus efficiente que l’innovation.

Nous ne sommes pas d’accord avec l’idée disant que la guerre, quelque soit son type, favorise le transfert de technologie. En fait, le lien entre guerre et technologie n’est pas net. Par exemple, le radar est développé au début du vingtième siècle87. Au cours

de la deuxième guerre mondiale, de nombreuses améliorations techniques ont été apportées à cette invention qui ont permis au cours du temps le développement de nouvelles applications comme les radars météorologiques. C’est seulement après la guerre que le radar est utilisé pour des fins civiles comme dans l’aviation civile, l’astrométrie et le contrôle du trafic routier. Nous pensons qu’avec ou sans la guerre, ses améliorations auraient été faites. En plus, nous constatons que la deuxième guerre mondiale a retardé l’usage du radar dans le domaine civil.

D’une façon générale, les inventions améliorées ou développées durant la guerre vont passer à l’usage civil dès safin et non pas directement après leur création. Même sans la guerre, ces inventions auraient été faites et auraient trouvées un usage dans le civil. Nous constatons alors que la guerre retarde et réoriente l’usage civil des inventions. Ainsi, les partisans de l’idée des effets positifs de la guerre ne voient qu’un seul effet celui de l’utilisation civile des inventions militaires faites durant la guerre. Ils ne voient pas l’idée que ses inventions auraient été créées sans la guerre et auraient été

86 A l’origine de l’internet, il y a le réseau de communication du système de défense américain susceptible de résister à une

attaque nucléaire.

87 L’origine de l’invention du radar remonte à 1888 lorsqu’on a démontré que les ondes électromagnétiques sont réfléchies

utilisées avant sur le marché. Nous nous appuyons sur l’histoire de la vitre cassée expliquée par Bastiat pour justifier notre point de vue.

3.2. Le prix des destructions matérielles en temps de guerre

Il faut savoir que les destructions en temps de guerre sont de deux types : les destructions de combat et les destructions stratégiques88. Les destructions de combat

sont celles qui résultent directement du déroulement des batailles. Elles affectent tous les biens matériels, les maisons, les usines, les villes, les villages, l’infrastructure routière et les monuments historiques situés dans les champs de bataille. Les destructions des maisons et des monuments historiques sont le fait du hasard ou de la maladresse mais dans certaines guerres, comme les guerres israélo-libanaises89, de

telles destructions sont expressément recherchées : le pays agresseur s’efforce ainsi à démoraliser les populations agressées.

Les destructions stratégiques sont celles qui résultent d’une action délibérée de l’ennemi tendant à diminuer le potentiel économique de l’adversaire dans le but de le contraindre à capituler. Elles portent en principe sur les unités économiques nécessaires au fonctionnement de l’appareil de production comme les usines et les infrastructures.

La destruction du capital physique du pays en guerre entraîne une baisse du niveau de vie de la population puisque l’infrastructure est un facteur essentiel du développement économique et sa destruction réduit les revenus du pays concerné. En plus, nous constatons une réduction de l’investissement en capital physique privé plutôt que public. En effet, durant la guerre les investissements sont affectés négativement puisque la guerre entraine une fuite de capitaux : certaines gens essaient de protéger leurs biens en transférant leur fortune à l’étranger. La fuite de capitaux entraîne donc une baisse de l’épargne et de l’investissement. La baisse de l’investissement est aussi le résultat de l’augmentation des taux d’intérêts qui résulte de l’incertitude de croissance et de l’effet d’éviction dû au déficit des dépenses militaires.

88 Grand-Jean P. (1967), « Guerres, fluctuations et croissance », société d’édition d’enseignement supérieur.

Les destructions entraînées par la guerre ont des conséquences à la fois d’ordre individuel (sur la consommation) et d’ordre collectif (sur la capacité de production)90. Pour les effets sur la consommation, les destructions portent principalement sur les biens de consommation durable. Les consommateurs sont ainsi privés de l’emploi de ces biens et doivent soit les remplacer (chose impossible en temps de guerre) soit utiliser plus intensément des biens de même nature. Comme les biens détruits ne sont pas remplaçables, les consommateurs utiliseront intensivement ceux dont ils disposent et prolongeront leur durée d’utilisation. Ce fait a pour conséquence d’accélérer l’usure des biens employés qui devront être remplacés dès la fin de la guerre.

Quant aux effets sur la production, ils se manifestent à court terme et à moyen terme. Les destructions ont pour conséquence immédiate la baisse de la capacité de production. En effet, en temps de guerre, le capital est en situation de plein emploi : tous les investissements réalisés sont ceux qui sont absolument indispensables. Par conséquent, le matériel détruit soit n’est pas remplacé parce qu’il n’est pas indispensable, soit l’est, ce qui empêche la réalisation d’autres investissements. A terme, l’économie est dotée à la fin de la guerre d’un stock de besoins en investissements de remplacement. Ce remplacement est artificiellement anticipé et a pour conséquence de diminuer l’âge moyen du capital national.

Les destructions de la guerre font supporter aux pays belligérants des charges énormes qui peuvent être mesurées par la méthode d’appréciation introduite par J.M Keynes. Cette charge est assimilée à ce qu’il appelle « le coût de reconstitution ». Il s’agit des sommes qu’un pays devra consacrer à la reconstitution des immeubles détruits et à la fabrication et aux réparations des matériels totalement ou partiellement détruits, qui mesurent les pertes enregistrées par un pays. Ainsi, plus la guerre est longue et destructrice plus le coût de reconstitution est élevé et plus la perte pour le pays concerné est grande.