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Evaluation monétaire du prix de la vie humaine

CHAPITRE 2 : LA COMPLEXITÉ DE LA NOTION DE COȖT D’OPPORTUNITÉ DE LA GUERRE

2.2. Evaluation monétaire du prix de la vie humaine

La valeur économique de l’homme peut être évaluée de plusieurs façons. Premièrement, nous pouvons estimer le coût de formation de l’homme (enseignement, allocations familiales, sécurité sociale,…) correspondant à la notion de «prix de revient». Deuxièmement, nous pouvons étudier aussi le coût des moyens nécessaires

pour sauver un homme ou pour prolonger son existence (hôpitaux, services de secours, suivi médical tout au long de la vie...). Troisièmement, le coût des frais entrainés par le décès de l’individu, par la perte de production pour lui-même, pour sa famille, pour son pays et la perte affective supportée par ses proches nous permet d’estimer la valeur économique de l’homme.

Cette dernière méthode a été retenue par divers auteurs après les périodes de guerre. Les efforts ont porté sur le coût pour la nation des pertes humaines converties en unités monétaires. Le premier calcul de ce genre semble devoir être attribué à Petty. D’autres travaux ont été réalisés par Pareto, Engel, Mortara, Heyman, L.Dublin et A.Lotka, Malignac. Etant donné que nous partons de diverses définitions, nous allons aboutir à différents prix de la vie.

Concrètement, l’estimation du prix de la vie humaine varie d’un pays à l’autre : chaque pays est doté d’un régime d’indemnisation publique pour les victimes de la criminalité. Les conditions d’indemnisation dépendent de la gravité de l’infraction, de la nature des préjudices et de la situation pécuniaire de la victime. L’indemnisation varie aussi d’une victime à l’autre selon les circonstances et les causes qui ont conduit à la mort. Ainsi, un homme tué, un homme mort dans un hôpital ou un autre dans un accident de voiture n’ont pas tous le même prix pour plusieurs raisons. En fait, le prix de la vie humaine dépend de l’âge, du goût du risque et de celui qui paie l’indemnisation.

Il ne serait pas normal de retenir la même valeur pour celui qui prend volontairement des risques en haute montagne et celui qui prend sa voiture pour rentrer chez lui. Dans une guerre, le soldat mort (engagé volontairement dans l’armée) n’a pas la même valeur qu’un homme civil tué accidentellement lors du combat.

La valeur de la vie humaine diffère selon la méthode de calcul adoptée soit par les compagnies d’assurance soit par l’Etat. Du côté de l’assureur, la valeur de la vie humaine dépend du niveau de revenus alors que du côté de la puissance publique, ce n’est pas le cas: C’est une question théorique. La méthode retenue par les compagnies d’assurances consiste à déterminer le consentement à payer de chacun pour compenser un risque accru de mourir. L’assurance vie est définie comme étant « un contrat par lequel, en échange d’une prime, l’assureur s’engage à verser au

souscripteur ou au tiers par lui désigné, une somme déterminée (capital ou rente) en cas de mort de la personne assurée, ou de sa survie à une époque déterminée 75». Dans cette optique, chaque individu décide de sa valeur en choisissant directement son niveau de couverture et de sécurité. Lorsque l’individu choisit une assurance vie qui couvre tous les risques, il estime une valeur élevée de sa vie humaine et inversement. La valeur d’une vie humaine n’est plus alors une estimation collective, mais la capacité de chacun à se prémunir contre le risque76. Cette modalité individualise

fortement la valeur d’une vie humaine.

Du côté de l’Etat, le prix d’une vie humaine est la somme qu’il accepte de dépenser pour la sauver comme par exemple dans le cas d’une problématique de santé publique ou de sécurité routière. Pour lui ou plus particulièrement pour le groupe qui est au pouvoir, la conception de la vie humaine est fortement reliée à la question de l’impôt. En effet, tout être humain est taxable : plus l’Etat sauve de vies (bien entendu en âge d’activité) plus il empêche la diminution de ses recettes fiscales.

2.2.1. La perte économique résultant de la mort d’un homme

La perte économique qui résulte de la mort d’un homme inclut à la fois la perte de production et la perte directe. Cette distinction entre perte directe et perte de production a été développé par de nombreux auteurs comme D.Bernovichi, J.Bertrand, E.Borel77, C.Abraham et J.Teddie.

2.2.1.1 La perte de production

Tout individu possède un revenu qui va automatiquement disparaitre lorsqu’il meurt. Son décès a donc pour conséquence de priver la communauté des biens divers qu’il aurait engendrés pendant une plus longue vie. Nous distinguons ainsi la perte de production brute de la perte de production nette déduite de la précédente, en lui retranchant la consommation de l’individu pendant sa vie active (nourriture, logement, habillement, etc.).

Dans la plupart des cas, nous pouvons mesurer la production future probable en cumulant les revenus futurs actualisés d’un individu, moyennant l’appréciation des

75 Picard et Besson, traité général, tome IV, no 10.

76 Agnès Maillard http://www.betapolitique.fr/La-valeur-de-la-vie-humaine-Le-21372.html

revenus habituels des personnes exerçant la même profession à chaque âge, de ses chances personnelles de promotion et de son espérance de vie active. L’actualisation impose le choix d’un taux souvent difficile à justifier complètement. Par exemple, dans les pays nordiques, on attribue à la survie d’un homme la valeur actualisée de la production qu’il aurait pu produire s’il n’était pas mort. Mais pour être logique avec cette position, il faut aussi déduire tout ce qu’il aurait consommé. Sa valeur, ce serait donc son épargne future actualisée de sorte que lorsqu’il cesse d’épargner, il ne vaut plus rien.

Les méthodes de calcul adoptées sont fonction de l’état économique de la nation considérée et de l’âge d’entrer dans l’activité professionnelle et de l’âge de la retraite. En cas de grande activité industrielle, un poste de travail laissé vacant risque de ne pas être pourvu si la réserve de main d’œuvre est insuffisante : alors il y a effectivement perte de production. Par contre en cas de crise ou de chômage, un tel effort peut n’entrainer aucune conséquence sur le potentiel de production : un poste libéré est automatiquement occupé puisqu’il existe des réserves importantes.

2.2.1.2 La perte directe

La perte directe regroupe l’ensemble des facteurs directement quantifiables qui interviennent automatiquement lors du décès d’un être humain, soit :

- Les coûts médicaux et sociaux tels que : les frais de l’ambulance, les frais d’hospitalisation, les soins médicaux et pharmaceutiques; les coûts funéraires (transfèrement, inhumation…);

- Les coûts matériels liés aux : dommages occasionnés aux véhicules, dommages causés au domaine public, dommages causés à la propriété privée et aux biens (vêtements, objets personnels détériorés), frais divers issus du lieu éloigné de l’accident (téléphone, remorquage, déplacements);

- Les frais généraux tels que : les frais de police, les frais d’expertise, les frais de justice, le coût des services des assurances, les frais d’administration divers.

2.2.3. La perte affective ou les éléments subjectifs

L’analyse que nous avons présentée jusqu’à présent ne permet pas de distinguer un homme d’une machine. Le coût de formation peut se comparer au coût de revient

d’une machine : la production future probable se compare au rendement de la machine. Nous ne pouvons pas parler de la valeur d’une vie humaine quand nous n’intégrons dans notre calcul que les caractéristiques économiques de l’homme. Il faudrait évaluer tous les éléments affectifs. Donc le prix de la vie humaine doit inclure, outre les éléments quantitatifs que nous avons présentés, la perte affective ou subjective liée au malheur qui touche les proches de la victime.

Il faut chercher à faire correspondre à ces éléments subjectifs des compensations monétaires. Un des principes de droit découlant de la législation sur la responsabilité civile est le suivant : « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer 78».

Des mécanismes de compensation ou de réparation ont été élaborés par toutes les sociétés contemporaines visant à remettre la victime ou ses ayants droits dans la situation la plus proche de celle qui existait avant la survenance de l’accident. Toutefois, il faut savoir qu’aucun des mécanismes imaginés ne peut effacer véritablement les traces de l’accident qui a provoqué la mort.

L’idée de réparer la perte d’une vie humaine par de l’argent a pris sa place au cours des siècles. Après le système de la vengeance privée qui prédominait dans les sociétés primitives, les législateurs ont instauré le système de la compensation financière visant à réparer l’offense ou le préjudice que la victime a subi. Cependant, l’approche juridique du problème peut être différente selon les pays. Nous nous contentons ici de présenter le droit français ainsi que le droit libanais puisque nous étudions dans cette thèse le coût de la guerre au Liban.

Le droit libanais concernant la responsabilité civile est similaire au droit français. En effet le code des obligations et des contrats libanais, traitant la compensation financière des pertes en vies humaines, fait partie du Code Civil libanais. Ce dernier dérive du Code Civil français avec quelques modifications qui prennent en compte les spécificités et les coutumes libanaises.

L’article 134 du code des obligations et des contrats libanais traite de la nature de la réparation due à la victime d’un délit ou d’un quasi délit. Selon cet article, la

réparation doit correspondre, en principe à l’intégralité du dommage qu’elle a subi. Le dommage moral entre en ligne de compte aussi bien que le dommage matériel. Le juge peut faire état de l’intérêt d’affection qui se justifie par un lien de parenté ou d’alliance. Les dommages indirects doivent être pris en considération dans la mesure où ils se rattachent clairement au fait délictuel ou quasi-délictuel. En principe, les dommages actuels, dès maintenant réalisés, entrent seuls en ligne de compte pour le calcul de la réparation79. Exceptionnellement, le juge peut prendre en considération

les dommages futurs si, d’une part, leur réalisation est certaine et si, en outre, il possède les moyens d’en apprécier à l’avance l’importance exacte.

Le droit français de la responsabilité civile a pour but de réparer le dommage et de fixer un prix pour la vie perdue. Selon l’article 1383 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à un autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel est arrivé, à le réparer. En cas de décès, il s’agit de compenser pécuniairement la souffrance morale. Des indemnités pour préjudice moral sont accordées aux proches de la victime ayant perdu la vie dans un accident ou suite à une agression dès lors qu’ils font preuve d’un préjudice personnel, direct et certain80. L’indemnisation

est quasi systématique pour les conjoints et concubins, les enfants et petits-enfants, les parents et grands-parents, les frères et sœurs.

L’action de réparer ne veut pas dire effacer la souffrance. « Les sommes allouées au titre de préjudice moral ne correspondent pas vraiment à la valeur de la vie perdue : elles constituent le « prix des larmes ». On tente d’atténuer la douleur morale et le désespoir en soulageant ceux qui souffrent moralement de l’absence de l’être cher par des indemnités destinées à procurer des satisfactions matérielles et un bien-être moral ou intellectuel »81. La somme allouée est arbitraire et subjective.

A ce préjudice moral, s’ajoute dans certains cas un préjudice économique. Ces cas sont limités en principe aux personnes qui peuvent prétendre à une indemnité correspondant à la disparition prématurée des moyens normaux d’existence qu’elles recevaient de la victime.