• Aucun résultat trouvé

La guerre et la loi internationale : le principe du dommage

Section 4. Qui supporte le coût de la guerre

4.2. La guerre et la loi internationale : le principe du dommage

En principe, la guerre est hors la loi internationale, puisque le droit international l’a condamné. Le préambule de la Charte des Nations unies affirme la résolution des peuples des Nations unies à « préserver les générations futures du fléau de la guerre ». L’article 2 de cette charte contient l’engagement des « Membres de l’Organisation de s’abstenir dans leurs relations internationales de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ».

De nos jours, la guerre n’est plus un moyen légal pour les Etats de défendre leurs intérêts ou de mettre en œuvre leurs politiques. Toutefois en l’état actuel du droit international, sont prévues des hypothèses de recours légitime à la force. Les hypothèses incontestables sont au nombre de trois : la légitime défense (article 51 de la charte), l’action coercitive des Nations Unies (article 41 et 42) et l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. D’autres hypothèses sont évoquées mais elles sont contestées telles que l’intervention humanitaire, l’intervention pour récupérer un territoire et l’intervention sur appel du gouvernement.

Le droit international s’intéresse davantage à la guerre entre Etats, parce que, en tant que droit des relations interétatiques, elle est en premier lieu de son ressort. « Mais la

guerre civile ne lui échappe pas, car elle a toujours un aspect international. Elle affecte le commerce des tiers sur le territoire où la lutte se déroule ou sur mer ; elle peut provoquer des dommages à des citoyens étrangers ; elle peut aboutir à la création d’un nouvel Etat, modifiant ainsi la composition de la société internationale. C’est à ces aspects que le droit international s’attache traditionnellement en cette matière »111.

Quant aux réparations de guerre et les dommages, ils ne font pas l’objet d’un examen approfondi. En effet, nous trouvons des analyses et des études relatives à chaque guerre. Pendant l’Antiquité, le vainqueur imposait au vaincu le paiement d’un tribut sous la forme d’un important versement monétaire. Le tribut de guerre remplissaient plusieurs fonctions : l’enrichissement et la sécurité du vainqueur d’une part et la soumission et la punition du vaincu d’autre part.

Durant le Moyen Âge, le souverain vainqueur ainsi que ses soldats prélevaient un butin sur le vaincu comprenant toutes sortes de biens rencontrés sur le champ de bataille. Outre la prise de butin, l’imposition de tributs à la fin des hostilités continuait d’être pratiquée et avait pour but de couvrir les dépenses engagées par le vainqueur pour soutenir son effort légitime de guerre.

A l’époque moderne, la pratique des tributs ou des indemnités de guerre s’effaça progressivement, même si certains traités de paix ont pu stipuler différents paiements. Après la guerre de 1914-1918, les Alliés exigèrent de l’Allemagne une compensation financière. Dans le traité de Versailles, les Alliés ont rédigé une clause qui rendait l’Allemagne seule responsable de la guerre et l’obligeait à payer les dommages subis par les Alliés. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne vaincue a dû payer des réparations de 20 milliards de francs sous formes de prélèvements directs dans les usines allemandes.

Lorsqu’un Etat en agresse un autre, il viole par cet acte l’interdiction d’emploi de la force, édictée par l’ordre juridique international. Cette violation peut causer d’autres atteintes à des intérêts juridiquement protégés puisque l’agression peut causer des destructions de biens, la mort de personnes. Ces atteintes ne seront considérées

111 Kolb R. (2001), « Le droit international public et le concept de guerre civile depuis 1945 », Relations internationales, no

comme dommageables au regard de l’ordre juridique international que si elles sont relatives à des intérêts que ce même ordre juridique protège : en l’espèce, l’intérêt commun en droit international qu’a tout Etat à voir ses biens et le droit international respecté en la personne de ses ressortissants112.

Le droit international oblige la réparation du dommage matériel. Le dommage consiste en une atteinte à un intérêt juridiquement protégé par le droit international. Il y a deux formes de réparation de ce dommage: la restitution en nature et le paiement indemnitaire. Selon la Cour permanente de justice internationale (CPJI), la « réparation a pour but d’effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et de rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis ». La réparation est radicalement impossible : elle suppose à la fois que l’on fasse sortir de la réalité des événements réels qui se sont produits et que l’on construise une réalité qui n’est pas, puisqu’il faudrait imaginer ce que la situation serait aujourd’hui sans le dommage d’hier113. La restitution en nature est tantôt

définie comme le rétablissement de la situation qui existerait, si ce même fait n’avait pas été commis. La réparation du dommage se fait par des prestations du débiteur variant en fonction du préjudice matériel ou moral qu’il s’agit de réparer.

Selon la CPJI, la restitution en nature est la forme principale de réparation du dommage matériel, c’est-à-dire que c’est elle, en principe, qui permet d’ « effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et de rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis »114. Si la restitution en nature s’avère impossible, une obligation alternative s’impose au débiteur : celle de payer une somme correspondant à la valeur qu’aurait la restitution en nature. Si la restitution en nature ou le paiement indemnitaire alternatif sont insuffisants pour réparer complètement le dommage- c’est-à-dire qu’ils ne permettent pas à eux seuls de rétablir l’état de choses- une obligation complémentaire s’impose au débiteur : celle de payer des « dommages-intérêts » pour les pertes subies non encore réparées. Le dommage moral (immatériel) est celui subi immédiatement par l’Etat, par une atteinte portée à sa souveraineté. La satisfaction est la forme que revêt en droit des gens la réparation du dommage non matériel subi par l’Etat.

112 D’argent P. (2002), Les réparations de guerre en droit international public. La responsabilité des Etats à l’épreuve de la

Comme nous l’avons déjà dit, le droit international s’intéresse plus à la guerre étatique qu’à la guerre civile. Les exemples de réparation de dommages depuis la deuxième guerre mondiale sont quasiment inexistants. En plus, pour toutes les guerres civiles déclenchées depuis les années cinquante, nous ne trouvons aucune réparation de dommages imposée par le droit international. Ce qui nous amène à penser que c’est le pays en guerre qui va supporter le coût : l’Etat en supporte une partie et l’autre partie est payée par la population civile.

Par exemple, le Professeur Davenport (1919)115 pense que c’est le travail qui supporte

le coût actuel et futur de la guerre. Son argument a été ainsi présenté : le coût de la guerre doit être abordé en dehors de tout revenu actuel. En effet, pendant la guerre, il n’y a pas eu d’augmentation de la production, on doit naturellement subvenir aux besoins par une diminution de la consommation. En plus, on assiste à une croissance continue des prix, qui était beaucoup plus pesante que la tendance similaire concernant des salaires. Ce retard dans le paiement des salaires, suivi par l’augmentation retardée des prix, a provoqué une majoration substantielle des fonds qui sont prêtés au gouvernement afin de financer la guerre. Or cette dette sera remboursée par l’imposition d’une taxe qui incombera à la classe ouvrière. C’est ainsi que le travail paie le coût de la guerre, deux fois en même temps. Il paie, la première fois, pour la classe capitaliste sous la forme de profits excessifs et la deuxième fois, pour le gouvernement dans le but de lui assurer un revenu qui l’aide à rembourser les prêts jadis empruntés durant la guerre.

D’après l’argument du professeur Davenport, le coût de la guerre est supporté par la population qui vit la guerre, non pas par celle qui fuit le pays vers l’étranger ni par les générations futures.

Selon Viner(1920)116, le fardeau économique de la guerre pourrait être remis aux générations futures par la diminution de l’héritage que lèguent les générations successives de la période de la guerre, si cette diminution est prise de façon absolue ou seulement si elle est comparée avec ce que l’on aurait pu transmettre s’il n’y avait

113 D’argent P. (2002)

114 CPJI, arrêt n0 13, Usine de Chorzow, Série A, n0 17, p.47.

115 Davenport H.J. (1919), “The War Tax Paradox”, American Economic Review.

pas eu de guerre. Au cours de la guerre, le pays peut être partiellement démantelé à travers la consommation des stocks existants, l’exploitation intensive des ressources naturelles et l’échec du maintien ou du remplacement des firmes et des équipements. Une telle situation a lieu quand l’augmentation de ressources (qui devrait avoir lieu sans la guerre) ne se confirme pas, au regard des conditions imposées par la guerre. Dans ce cas, la génération future sera plus pauvre que ce qu’elle aurait pu être, s’il n’y avait pas eu de guerre ou si l’on avait abordé le coût de la guerre sans prélever sur la richesse accumulée dans le passé et sans réduire le montant cumulé antérieurement au dessous du taux normal117.

Quant à Pigou (1919)118, il trouve que le fardeau économique est transmis aux

générations futures. Pour lui, le coût réel de la guerre est formé de deux parties : les destructions et le détournement des ressources dans le but de la financer. Toutefois, il pense que le coût réel n’est pas équivalent au fardeau transmis aux générations futures. L’approche du coût et ses effets sur les générations futures sont affectés par plusieurs facteurs qui sont indépendants de la politique financière du gouvernement tels que la position stratégique du pays, la capacité des individus à s’emprunter de l’étranger, l’existence d’une main d’œuvre libre, la volonté de la population de se priver du loisir pour le bien être collectif… Il trouve aussi que si la génération de la guerre travaille plus pour compenser la perte, elle réduira la charge à supporter par la population future. Il dit aussi que les différentes classes de la population supportent différemment le coût de la guerre. Pour lui, le moyen de financement de la guerre (emprunt, taxation) agit sur la répartition de la charge qui va à son tour affecter la génération future.

Les arguments avancés par Davenport et Viner nous semblent logiques. Toutefois nous pensons que les générations futures supportent également un autre coût de la guerre qui est le remboursement des prêts effectués en temps de guerre. En effet, lorsque le pays en guerre emprunte de l’argent pour financer les dépenses de guerre, il devra rembourser ses crédits dans la période de l’après guerre. Lorsque le remboursement de ces crédits est réalisé par la taxation, ce sont les masses populaires qui supportent le coût de cette guerre.

117 Viner J. (1920).

118 Pigou A.C. (1919), “The Burden of War and future Generations”, The Quarterly Journal of Economics, Vol.33 No 2,

Dans les pays en voie de développement, ce sont les classes les plus pauvres qui supportent la majorité des taxes et par conséquent ce sont eux qui vont contribuer le plus au remboursement des prêts conclus en temps de guerre. A l’inverse, dans les pays développés, les taxes sont réparties d’une façon plus juste entre les riches et les pauvres ; toute la société va donc contribuer au remboursement des crédits empruntés en temps de guerre.

De nos jours, ce sont les pays les moins développés qui connaissent une guerre et par conséquent les classes les plus pauvres sont celles qui paient le coût de la guerre. En plus, elles sont condamnées à continuer à vivre dans la pauvreté puisque la guerre va entrainer une perte des années de développement pour leur pays. Aux Etats-Unis, le coût de l’endettement réalisé pour financer la guerre en Irak sera supporté équitablement par toute la population, à la fois par les riches et les pauvres.

Comme nous l’avons déjà dit, le financement de la guerre interétatique se fait en grande partie par l’endettement et la taxation. La génération de la guerre et celle future contribueront aux paiements de ce coût. Après la guerre, l’Etat est capable de mener le processus de reconstruction sur de bonnes bases et de réaliser une croissance économique qui permettra de rattraper le retard subi en temps de guerre. La France, à la sortie de la deuxième guerre mondiale, est un meilleur exemple. En 1945, le PIB de la France représentait 40% de son niveau d’avant-guerre, la croissance était très faible et les conditions de vie étaient très difficiles. A la sortie de la guerre, la reconstruction est faite par le Plan Marshall qui s’établira sur dix ans. La France a pu réaliser une croissance économique forte entre 1945 et 1975 (les trente glorieuses) ainsi qu’une amélioration du niveau de vie.

Dans le cas d’une guerre civile, la situation est totalement différente. En effet, la pauvreté qui conduit dans la plupart des cas au déclenchement de la guerre civile persiste même après la fin du conflit. La destruction des infrastructures du pays et les conséquences du conflit sur le plan économique, sociale et démographique aggravent la pauvreté. En plus, la dette publique durant la guerre augmente mais pas autant que dans une guerre interétatique, puisque les groupes rebelles sont impliqués dans le conflit plus que l’État. Durant la guerre civile, les finances publiques de l’État se détériorent puisqu’il devient incapable de collecter ses recettes.

Après la guerre, la dette augmente pour financer la reconstruction et pour couvrir les déficits budgétaires. Le rôle de l’Etat demeure faible et il est incapable de bien mener le processus de reconstruction vu la détérioration des institutions et des organisations. Dans ces conditions, nous pensons que la reconstruction ne peut pas se faire dans de bonnes conditions pour améliorer le niveau de développement du pays.

Durant la guerre civile, le coût économique des destructions est très élevé et le pays aura besoin de plusieurs décennies pour rattraper les pertes encourues durant cette période. En plus, la guerre civile provoque la destruction et la dégradation des organisations et des institutions qui vont contribuer à leur tour à la détérioration de l’environnement économique même après la fin du conflit. Dès lors qu’un pays glisse dans une guerre civile, il risque fort de s’y enfoncer. Le conflit affaiblit son économie et donne naissance à des chefs de guerre qui tirent souvent profit de la guerre et s’enrichissent, tandis que l’immense majorité de la population s’appauvrit. Cette situation s’applique exactement au cas du Liban que nous étudierons dans la deuxième partie.

En conclusion, nous constatons que la guerre est coûteuse. Les pertes en vies humaines et les destructions matérielles constituent une vraie perte pour l’économie. Les générations qui vivent la guerre et celles qui viennent après supporteront dans des proportions différentes le coût de la guerre. Le coût d’opportunité de la guerre est en général élevé : La guerre coûte à la société ce qu’elle empêche de produire. En outre, les dépenses de la guerre sont détournées des activités productrices pour l’économie vers des activités destructrices.