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De la prison au monastère, une prise en charge au sein d’espaces clos

spatiales entre opposition et continuité

2.1. L’ouvert et le fermé : l’architecture des établissements de placement

2.1.1. De la prison au monastère, une prise en charge au sein d’espaces clos

En dehors du placement dans les hospices ou chez les nourrices, la prise en charge des mineurs de justice au XVIIIème siècle se fait de manière commune avec les individus majeurs. Avant 1830, quelques établissements expérimentent une détention spécifique aux

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mineurs, avec la prison d’essai pour les petits délinquants de la Seine en 1814 ou celle des Madelonnettes. Ce mouvement prend réellement de l’ampleur avec la création, sous la Monarchie de juillet, d’établissements pénitentiaires réservés aux mineurs : les maisons d’éducation correctionnelle. La première d’entre elles, la Petite Roquette, est construite à Paris en 1836 par l’architecte Hyppolyte Lebas. Elle correspond au premier exemple d’emprisonnement cellulaire en France et repose sur deux principes fondamentaux :

l’isolement cellulaire et le contrôle central50. En effet, l’architecte s’inspire du principe du

Panopticon de Jeremy Bentham51, et conçoit une prison dans laquelle les détenus sont isolés et susceptibles d’être vus à n’importe quel moment. La tour centrale et ses fenêtres, ainsi que celles des cellules, permettent de remplir cette fonction conformément aux principes de

Bentham.

Cet établissement fonctionne successivement selon deux modèles pénitentiaires52. Au départ

l’isolement cellulaire est réservé à la nuit, tandis que les détenus travaillent ensemble et en silence la journée, selon le modèle auburnien. Ce système se transforme par la suite selon le modèle philadelphien, avec un isolement cellulaire permanent (Dupont-Bouchat & Pierre, 2001, p.145), dans lequel les détenus dorment, mangent et travaillent dans leur cellule. Michelle Perrot, dans l’article qu’elle consacre aux « enfants de La petite Roquette » évoque un « isolement absolu » (Perrot, 2001, p.340), puisque même les actions traditionnellement communautaires, comme la messe, sont organisées de manière à éviter tout contact entre les mineurs. Cette absence de contact, même visuel, est également recherchée pendant les temps de transports, avec un système de wagons individuels qui empêche toute relation entre détenus. Grâce à l’isolement absolu, la Petite Roquette est ainsi un « véritable établissement

50 http://www.histoire-image.org/site/etude_comp/etude_comp_detail.php?i=106&d=1&a=113&id_sel=215

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Ce système carcéral est défini par Michel Foucault dans Surveiller et punir : « à la périphérie un bâtiment en anneau ; au centre une tour ; celle-ci est percée de larges fenêtres qui ouvrent sur la face intérieure de l'anneau ; le bâtiment périphérique est divisé en cellules, dont chacune traverse toute l'épaisseur du bâtiment ; elles ont deux fenêtres, l'une vers l'intérieur, correspondant aux fenêtres de la tour ; l'autre, donnant sur l'extérieur, permet à la lumière de traverser la cellule de part en part. Il suffit alors de placer un surveillant dans la tour centrale, et dans chaque cellule d'enfermer un fou, un malade, un condamné, un ouvrier ou un écolier. Par l'effet du contre-jour, on peut saisir de la tour, se découpant exactement sur la lumière, les petites silhouettes captives dans les cellules de la périphérie. Autant de cages, autant de petits théâtres, où chaque acteur est seul, parfaitement individualisé et constamment visible. Le dispositif panoptique aménage des unités spatiales qui permettent de voir sans arrêt et de reconnaître aussitôt. En somme, on inverse le principe du cachot ; ou plutôt de ses trois fonctions – enfermer, priver de lumière et cacher – on ne garde que la première et on supprime les deux autres. » (Foucault, 1975, p. 223, 224).

52 Deux modèles américains de prison influencent l’architecture et le fonctionnement des prisons françaises : fondés sur l’emprisonnement cellulaire, les modèles auburnien et philadelphien (ou pennsylvanien) diffèrent sur les modalités de l’emprisonnement en journée. Alors que le système philadelphien préconise un emprisonnement cellulaire de jour comme de nuit, le système auburnien prévoit l’isolement des détenus seulement la nuit, au profit du travail dans des pièces communes la journée.

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pour peines destiné à corriger l’individu, et pas n’importe lequel, celui qui est encore malléable et que la société se doit d’éduquer, l’enfant » (Demonchy, 2004, p.289).

A côté des prisons consacrées aux garçons, les établissements accueillant les filles sont aussi marqués par la clôture physique associée à un objectif d’amendement. La prise en charge des mineures au XIXème siècle est confiée à des congrégations religieuses. Des acteurs privés interviennent aussi dans la prise en charge des garçons mais ils sont multiples et pas toujours religieux. Pour les filles au contraire, les congrégations et plus particulièrement celle de Notre-Dame de Charité du Bon-Pasteur semblent acquérir un véritable « monopole », conservé bien après 1945 (Tétard et Dumas, 2009). Si les établissements Bon-Pasteur sont classés dans la catégorie des orphelinats par Michel Chaponnais (Chapponnais, 2008), d’autres sources insistent sur le caractère fermé de ces établissements, fondés sur un système monacal. Ainsi, plus que de simples orphelinats, ces établissements sont des lieux clos,

complétement hermétiques à ce qui se trouve à l’extérieur de leur mur d’enceinte53. La clôture

matérielle et son imperméabilité constituent en outre une spécificité de la prise en charge des filles :

« […] pour eux [les garçons], les établissements étaient le plus souvent à la campagne, sur de très vastes terrains, dans les champs. Les hectares faisaient une coquille isolante par rapport à l'extérieur. Pour les filles dont la préservation était l'obsession quotidienne, la ville touchant les murs, il fallait que la clôture fût d’autant plus épaisse et symboliquement infranchissable » (Tétard & Dumas, p.13).

La clôture existe bel et bien dans certains établissements pour garçons mais elle concerne surtout ceux rattachés à l’administration pénitentiaire. Dans le cas des filles, l’alternative à la prison que représentent les établissements Bon-Pasteur est aussi fondée sur l’enfermement. Cette spécificité existe donc dès la mise en place de ces établissements, aux alentours de 1830, mais s’accentue au fil du temps. Françoise Tétard et Claire Dumas soulignent qu’après 1945 « comme au XIXe siècle, les filles sont confiées très majoritairement au secteur privé » (Tétard & Dumas, 2009, p.228). Dans le cas du Bon-Pasteur de Bourges, la congrégation religieuse reste ainsi gestionnaire de l’établissement jusqu’en 1967 et les nouveaux principes éducatifs liés à l’adoption de l’ordonnance de 1945 ne s’appliquent que très partiellement :

« La politique d'équipement des IVe et Ve Plans permettait enfin de concevoir des hébergements autres que les bâtiments réinvestis des anciennes maisons de correction, mais

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L’appropriation de la question de la prise en charge des jeunes mineures par différents supports, radiophonique

ou audiovisuel, documentaire ou fictionnel, révèle l’importance de la clôture dans cette prise en charge. Ainsi, la métaphore carcérale est utilisée à plusieurs reprises dans les témoignages recueillis dans la cadre de l’émission

Sur les docks, intitulée « Mémoires de Mauvaises Graines - Quand les anciennes pensionnaires du Bon Pasteur

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les idées pour les garçons restaient toujours plus innovantes que pour les filles. Sans doute celles-ci faisaient-elles peur par la manière de manifester leur mal-être... Devant ce manque patent d'imagination, les murs clôturés du Bon-Pasteur pouvaient ne pas paraitre incongrus. » (Tétard & Dumas, 2009, p.296).

Un décalage temporel existe ainsi dans « la prise de conscience du besoin de réformer les établissements pour jeunes délinquants » (Fishman, 2008, p.264). Evalué à dix ans par Sandra Fishman, ce « retard » commence à être rattrapé au début des années soixante, dans le cas du Bon-Pasteur, avec l’arrivée d’une nouvelle directrice aux ambitions éducatives marquées par la volonté d’ouvrir l’établissement à l’extérieur (Tétard et Dumas, 2009). Ainsi, même des établissements fondés sur la clôture physique s’ouvrent progressivement. Cependant, l’enfermement des individus, filles ou garçons, est toujours au fondement d’un certain nombre d’établissements du dispositif actuel.

L’incarcération constitue notamment une des possibilités de prise en charge des mineurs, dans le contexte de la justice pénale. Des établissements dédiés spécifiquement aux mineurs ont ainsi été créés récemment. Si les CEF évoqués plus haut ne sont pas rattachés à l’administration pénitentiaire, ils constituent des alternatives à l’incarcération et entrent ainsi dans la « mosaïque pénitentiaire » selon Pierre-Victor Tournier (Tournier, 2006). Les CEF illustrent ainsi le fait que « certaines personnes peuvent n’être pas sous écrou, tout en étant d’une certaine manière « enfermées » » (Tournier, 2006, p.7). Dans ce contexte, le non-respect du placement peut conduire à l’incarcération du mineur. Les Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs (EPM) sont quant à eux des établissements gérés conjointement par l’administration pénitentiaire et la PJJ. Le contenu éducatif est affiché par les EPM mais ceux-ci correspondent bien à des peines d’emprisonnement.

La présence des mineurs dans les établissements pénitentiaires peut aussi se faire dans des quartiers spécifiques. Parallèlement à la création d’établissements spécifiquement réservés aux mineurs, leur détention se fait dans des quartiers réservés. Cette pratique inaugurée en 1834 à la prison de Strasbourg perdure jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, en 1958, dans un contexte d’ouverture des établissements, un nouveau dispositif permet de faire face à une montée de la délinquance juvénile : le Service d’Observation de l’Education Surveillée (SOES) marque le retour en prison de l’éducation surveillée (Mucchielli, 2005). Actuellement, certaines maisons d’arrêt disposent d’un « quartier mineurs » où peuvent être incarcérés les mineurs prévenus ou condamnés. Si ces dispositifs s’inscrivent dans la continuité des établissements pénitentiaires réservés aux mineurs au XIXème siècle, le vif débat sur la pertinence de l’enfermement comme moyen d’éducation, engagé suite à l’adoption de la loi Perben I du 9 septembre 2002

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et la création des EPM, révèle la prégnance d’un autre mode de prise en charge, opposé à l’enfermement et fondé sur l’ouverture à l’extérieur.

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