• Aucun résultat trouvé

quelle sociologie de la jeunesse placée ?

3.1. Qui sont les adolescents placés ?

Dans sa thèse consacrée au devenir adulte d’adolescentes placées à l’adolescence, Isabelle Frechon souligne la difficulté d’appréhender statistiquement « une population qui reste nébuleuse » (Frechon, 2003, p. 71). Le manque de coordination entre l’ASE et la PJJ rendait alors difficile une observation exhaustive du nombre et des caractéristiques sociales des adolescents placés et impliquait de mettre en regard différentes sources parfois difficilement comparables. La création de l’Observatoire National de l’Enfance en Danger (ONED) en 2004 a pour objectif de pallier ce manque et vise globalement à « mieux connaître le champ

de l'enfance en danger pour mieux prévenir et mieux traiter »63. L’ONED fournit notamment

une estimation du nombre d’enfants pris en charge par le système de Protection de l’enfance, en croisant différentes sources de données. Selon les chiffres produits par cet organisme,

76

273 126 mineurs seraient concernés par au moins un type de mesure de protection de

l’enfance au 31 décembre 201064.

Ce chiffre recouvre un ensemble très large de prises en charge qui dépasse le cas du placement en établissement. Le placement familial ou les mesures dites de « milieu ouvert » sont ainsi prises en compte ici. Malgré l’intérêt de cette approche statistique globale de la Protection de l’enfance, elle ne fournit pas d’information sur les seuls enfants placés.

Notre objectif n’est pas ici de dresser un portrait exhaustif des adolescents placés65 en France

mais plutôt de comprendre leurs situations familiale et sociale. La caractérisation des situations sociale et familiale d’enfants placés nécessite le recours à différents types de sources, renvoyant à plusieurs échelles d’analyse. Il s’agit dans un premier temps des rapports publics concernant le placement, proposant des analyses de cette prise en charge dans sa globalité ou en distinguant les deux institutions. D’autres enquêtes, menées à l’échelle de certains départements ou de certains établissements, précisent et nuancent ces résultats globaux.

Jusqu’en 2006, l’Observatoire national de l’Action Sociale Décentralisée (ODAS) recueillait auprès des départements les informations concernant les signalements d’enfants. Fondée sur les signalements de situation de danger ou de risque de danger, dans 88 départements français, cette enquête se situe en amont de la mesure de placement et prend donc en compte des prises en charge autres que le placement (AEMO par exemple) et inversement, ne prend pas en compte tous les placements (PJJ notamment). L’enquête permet de mettre en évidence les motifs des signalements (Tableau 2). Ainsi, les « carences éducatives des parents » concernent plus de la moitié des signalements pour les trois années. Leur part dans le total des signalements avait augmenté entre 2004 (50%) et 2005 (59%) mais est en baisse en 2006 (53%). Les « conflits de couple et de séparation » interviennent ici en deuxième position pour les trois années. La diminution du nombre et de la part des « conflits de couple et de séparation » entre les années 2004-2005 et 2006 est due à la distinction, à partir de ce moment-là, des « violences conjugales » au sein des « conflits de couple et séparation ». Le facteur « chômage, précarité, difficulté financière » constitue la troisième cause citée dans les

64

Site internet de l’ONED : http://oned.gouv.fr/chiffres-cles-en-protection-lenfance.

65 Comme le souligne Isabelle Frechon, cette approche statistique globale est en revanche possible lorsque l’on s’intéresse à un type d’établissement en particulier. Les chiffres produits par l’enquête « Etablissements et services en faveur des enfants et adolescents en difficulté sociale » de la DREES sont mobilisés dans ce sens dans l’introduction.

77

signalements en 2006. Stable entre 2004 et 2005, la part de cette cause est en augmentation entre 2005 (13 % des enfants signalés) et 2006 (15 % des enfants signalés).

Tableau 2: Problématiques à l'origine du signalement d'enfant en danger entre 2004 et 2006

Nombre d’enfants concernés par le facteur

2004 2005 2006 Nbre de mentions du facteur % des enfants signalés** Nbre de mentions du facteur % des enfants signalés** Nbre de mentions du facteur % des enfants signalés**

Carences éducatives des parents 47 500 50 57 200 59 51 900 53 Conflits de couple et de séparation 28 500 30 28 100 29 21 700 22 Violences conjugales (recensé à partir de 2006) 10 400 11 Problèmes psycho pathologiques des parents

12 350 13 13 600 14 10 800 11

Dépendance à la drogue ou à l’alcool

11 400 12 11 600 12 11 200 11

Maladie, décès d’un parent 6 500 7 5 800 6 5 200 5 Chômage, précarité, difficultés financières 12 500 13 12 600 13 16 000 15 Environnement, habitat 7 600 8 9 700 10 6 800 7 Errance, marginale 3 800 4 5 100 5 3 300 3 Autres 11 400 12 10 700 12 8 900 9 Nombre d’enfants signalés 95 000 97 000 98 000

Nombre total de facteurs cités

141 550 1,5 154 400 1,6 146 300* 1,5

*La somme des mentions des facteurs pour l’année 2006 est146 200, mais la publication sur laquelle se fonde se tableau mentionne 146 300 facteurs cités.

**Plusieurs facteurs pouvant être renseignés pour un même placement, la somme des pourcentages peut être supérieure à 100.

Guy, 2013, d’après ODAS, 2007

Alors que les chiffres présentés ici concernent les signalements, d’autres sources se réfèrent uniquement au placement. En 2000, le rapport présenté par Pierre Naves, Bruno Cathala et

Jean-Marie Deparis66, dresse un bilan des causes de l’accueil provisoire et du placement à

66 NAVES P., CATHALA B., DEPARIS J.-M., 2000, « Accueils provisoires et placements d’enfants et d'adolescents : des décisions qui mettent à l'épreuve le système français de protection de l'enfance et de la famille. », Ministère de l'emploi et de la solidarité, 103 p.

78

partir d’une enquête menée dans quatre départements français. A partir de l’analyse de 114 situations, les causes de l’accueil provisoire ou du placement sont classées en fonction de leurs occurrences. Les carences éducatives sont la première cause de placement, suivies par les difficultés psychologiques et psychiatriques des parents, et la situation de conflit familial. Les auteurs du rapport remarquent également l’absence de la pauvreté des familles comme seule cause du placement. Cependant, si elle n’intervient pas comme cause principale du placement, la précarité économique est commune aux situations observées par les auteurs du rapport, qui notent alors la faiblesse des ressources financières des familles, vivant de prestations sociales.

Présent dans les statistiques de l’ODAS comme dans le rapport présenté par Pierre Naves et

Bruno Cathala67, ce motif n’apparaît pas dans d’autres approches. A partir de l’étude de 809

dossiers dans deux départements (en Ile-de-France et en province), Stéphanie Boujut et Isabelle Fréchon étudient les motifs de placement et de prise en charge de jeunes arrivés à l’âge de 21 ans, en fonction de leur sexe. La typologie des motifs de placement en trois catégories (maltraitance, situation familiale et situation du jeune) clarifie dans un premier temps les causes du placement à l’ASE (Boujut et Frechon, 2009). En outre, dans l’approche proposée par les deux auteures, la précarité de la famille est seulement mentionnée en référence à la situation résidentielle (Tableau 3).

Tableau 3: Motifs de prise en charge identifiés par S. Boujut et I. Frechon (2009)

Maltraitance Situation familiale Situation du jeune Victime de maltraitance Conditions d'éducation défaillantes

des parents

Problèmes de comportement

Violences physique Mineurs Isolés* Problèmes scolaires Violences sexuelles Violences conjugales des parents Conflits familiaux Violences psychologiques et/ou

négligences lourdes

Mineurs Etrangers Isolés* Pour suivre une formation

Précarité de la situation résidentielle des parents

*La note suivante accompagne le tableau : « Nous avons distingué les mineurs isolés des mineurs étrangers isolés : les premiers sont soit les orphelins, soit les jeunes dont les parents sont absents pour une période déterminée (hospitalisation des parents, emprisonnement..) les seconds sont des mineurs proches de la majorité qui arrivent en France seuls » (Boujut et Frechon, 2009, p. 1007).

Guy, 2013, d’après Boujut & Frechon, 2009

67 NAVES P., CATHALA B., DEPARIS J.-M., 2000, « Accueils provisoires et placements d’enfants et d'adolescents : des décisions qui mettent à l'épreuve le système français de protection de l'enfance et de la famille. », Ministère de l'emploi et de la solidarité, 103 p.

79

Au-delà de la différence liée au sexe, les filles étant significativement plus placées pour des raisons de maltraitance que les garçons, les motifs d’entrée hors maltraitance sont soumis à l’âge de l’enfant :

« Les prises en charge dans la petite enfance et dans l’enfance sont motivées par la situation familiale défaillante (voire absente) ; à partir de la pré-adolescence, ce sont les problèmes de comportement du jeune, des tensions avec sa famille (conflits familiaux) au point qu’une séparation physique s’impose » (Boujut et Frechon, 2009, p. 1006).

Les auteures notent également des caractéristiques familiales marquantes dans les dossiers observés, et notamment des « contextes familiaux difficiles » (Frechon et Robette, 2013, p. 127). Toujours à propos de la même enquête, les auteurs notent ainsi :

« Les jeunes concernés sont ainsi fréquemment issus de familles nombreuses, séparées et/ou recomposées. Ainsi, 43 % ont au moins un demi-frère ou une demi-sœur ; seuls 5 % n’ont ni frère ni sœur. Leurs parents ont eu leur premier enfant relativement précocement : en moyenne deux ans plus tôt qu’en population générale. Bon nombre de parents ont vécu eux-mêmes une enfance difficile : 13 % des enfants ont un père et/ou une mère ayant été maltraité(e) et/ou placé(e). Près d’un jeune sur cinq est orphelin d’au moins l’un des deux parents, et 8 % n’ont pas été reconnus par leur père. » (Frechon et Robette, 2013, p. 127).

L’analyse des trajectoires de vie des enfants placés issus d’un établissement en particulier fournit également des informations sur les caractéristiques familiales des enfants placés. Dans l’article consacré à « l’entrée dans la vie d’adulte d’anciens placés en Village d’enfants » (VE), Annick-Camille Dumaret, Pascale Donati et Monique Crost expliquent que

« Comme la plupart des jeunes accueillis au titre de la protection de l’enfance, ces enfants

placés en VE sont issus de familles en grande difficulté psychosociale » (Dumaret, Donati et

Crost, 2009, p. 6).

L’article renvoie alors à l’identification de facteurs de risque individuels et familiaux, étudiés à travers le même exemple de prise en charge. La maltraitance est mise en relation avec des facteurs de risque familiaux, parmi lesquels figurent l’alcoolisme, les pathologies psychiatriques ou sociales (délinquance, prostitution…). Les auteures concluent à une évolution temporelle des antécédents familiaux entre les sujets âgés de 42 à 50 ans et ceux âgés de moins de 34 ans au moment de l’enquête :

« si l’alcoolisme diminue, certains antécédents maternels sont plus élevés : la pathologie psychiatrique de la mère passe de 2% à 62 % et la délinquance maternelle de 2% à 48%. Le poids des différents facteurs sur les comportements des parents est également étudié, mettant en évidence que les mauvais traitements sont plus fréquents en cas d’alcoolisme de la mère et/ou de pathologie sociale du père » (Dumaret, Donati et Crost, 2009, p. 8).

Si elle nous renseigne sur le contexte et les difficultés familiales connues par les enfants placés, cette étude ne situe pas les risques psychosociaux dans le contexte social et économique des familles. En outre, ce travail s’appuie sur un établissement précis. Malgré

80

l’échantillon de 263 individus, les résultats peuvent être liés aux critères d’accueil et au contexte de cet établissement en particulier.

Enfin, comme le montre le tableau 3, l’isolement peut également être une raison du placement. La situation d’isolement provient de l’absence permanente (orphelins) ou temporaire (hospitalisation ou incarcération) de parents pour des mineurs français ou correspond au cas des MIE, précédemment évoqué. Plus que les causes de leur placement, liées à leur minorité et à leur isolement, le motif de la migration permet de comprendre leur situation. En effet, au-delà du cadre juridique régulant leur accueil, les MIE se trouvent dans des situations très différenciées, dont rend compte l’étude d’Angelina Etiemble, commanditée

par la Direction de la Population et des Migrations (DPM) au début des années 200068. Dans

l’étude et les publications qui y font suite, l’accent est mis sur la diversité des situations connues par les MIE grâce à une typologie établie selon leurs motivations. Rappelant la perméabilité des catégories, Angelina Etiemble distingue ainsi les « exilés » quittant leur pays pour échapper à une situation de conflit, les « mandatés » envoyés par leur famille pour travailler ou faire des études, les « exploités » contrôlés par des réseaux pratiquant des

activités illégales69, les « fugueurs » qui correspondent à une figure « traditionnelle » de

mineurs quittant leur famille ou l’institution dans laquelle ils vivent, et enfin les « errants »70.

Fondées sur les raisons et conditions du départ du mineur, ces catégories posent la question de la continuité de l’état du MIE, une fois arrivé dans un pays. Angelina Etiemble explique par exemple que tout mineur est susceptible d’entrer dans la catégorie des « exploités » à son arrivée dans un pays inconnu, et ce quelles que soient les raisons de son départ. Cette question se pose avec encore plus d’acuité pour les deux dernières catégories, « fugueurs » et « errants », qui renvoient à un état déjà présent dans le pays d’origine et qui mène le mineur au-delà de ses frontières.

La littérature consacrée aux enfants et adolescents placés s’intéresse en premier lieu à leur devenir à l’âge adulte. Les rapports d’institutions publiques ainsi que les études menées auprès d’établissements précis décrivent le placement et les difficultés familiales qui y

68 ETIEMBLE A., 2002, « Les mineurs isoles étrangers en France. Evaluation quantitative de la population accueillie par l’Aide Sociale à l'Enfance. Les termes de l'accueil et de la prise en charge. », Direction de la Population et des Migrations, Quest'us, 272 p.

69 Cette catégorie renvoie aux enfants victimes de traite, définie par l’UNICEF comme « toute personne de moins de dix-huit ans qui est recrutée, transportée, transférée, hébergée ou accueillie aux fins de l’exploitation, à l’intérieur ou à l’extérieur d’un pays donné » (UNICEF, 2006). L’exploitation implique des pratiques diverses et notamment la mendicité, le vol, et la prostitution dans le cas des enfants d’Europe de l’Est (Peyroux, 2013).

70 ETIEMBLE A., 2002, « Les mineurs isoles étrangers en France. Evaluation quantitative de la population accueillie par l’Aide Sociale à l'Enfance. Les termes de l'accueil et de la prise en charge. », Direction de la Population et des Migrations, Quest'us, 272 p.

81

conduisent. Au-delà de la description du contexte familial et social, les recherches concernant les enfants placés cherchent également à identifier des facteurs explicatifs des difficultés qui conduisent au placement.

Outline

Documents relatifs