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construction du rapport à l’espace

1.2. La construction du rapport individuel à l’espace

Certaines recherches issues du courant écologique de la psychologie du développement permettent de mieux comprendre comment se construit le rapport à l’espace des adolescents, tout en proposant des concepts utiles pour penser ce rapport. L’attachement affectif est dans un premier temps au cœur de la théorie développementale de l’attachement, qui considère le lien entre l’enfant et des figures d’attachement. Initiée par Bowbly, cette théorie donne à l’attachement une double fonction de protection et d’exploration. Dans cette optique, la sécurité créée par l’attachement est une condition pour que l’enfant puisse explorer d’autres environnements et sert ainsi son autonomie (Bowlby, 1979). Cette théorie est appliquée au rapport à l’espace : un lien peut ainsi être établi entre l’attachement au lieu durant l’enfance et les liens que l’enfant devenu adulte sera en mesure de créer (Lewicka, 2011 ; Morgan, 2010). Le lien des individus à l’espace couvre de nombreuses dimensions présentes dans le concept

anglo-saxon de « place attachment »82. La définition générale de ce concept comme

caractérisant les liens entre les individus et les endroits qui sont importants pour eux est approfondie par Leila Scannell et Robert Gifford :

« place attachment is a bound between an indiviual or group and a place that can vary in terms of spatial level, degree of specificity, and social or physical features of the place, and is manifested through affective, cognitive, and behavioural psychological processes”

(Scannell et Gifford, 2010, p. 5).

Cette définition particulièrement complète de l’attachement au lieu permet de synthétiser trois aspects : l’acteur concerné (individu ou groupe), les caractéristiques de l’espace et les

82 A notre connaissance, il n’existe pas de transposition du concept de « place attachment » tel que défini par la psychologie environnementale en français. Nous parlerons donc dans la suite de notre travail d’attachement au lieu. Il faut cependant préciser que cette expression est imparfaite puisque le concept de « place attachment » renvoie à de multiples échelles (maison, quartier, ville) mais aussi à des types d’espace (île, montagne…) et que cette multiplicité est occultée par la référence au lieu.

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processus en jeu. Comme le précisent les auteurs, cette définition qui permet de prendre en compte différentes dimensions de l’attachement au lieu peut difficilement être opérationnalisée dans son ensemble au sein d’une recherche. Dans le contexte de cette thèse, c’est la dimension individuelle de l’attachement au lieu qui sera privilégiée. Conformément à la définition de Leila Scannell et Robert Gifford, on prendra en compte les dimensions sociale et physique de l’espace. Enfin, l’étude de l’attachement sera centrée sur les dimensions cognitives et affectives du rapport à l’espace, et plus particulièrement dans ses liens à l’autonomie. En outre, les études sur les déplacements involontaires ou contraints d’individus ont montré leurs conséquences sur l’attachement au lieu de ces derniers. Plusieurs études révèlent les conséquences émotionnelles négatives du déplacement contraint (Fried, 1963 ; Fullilove, 1996). Même en contexte de déplacement non contraint, les conséquences du déplacement peuvent ainsi être diversifiées, atténuant ou à l’inverse accentuant l’attachement au lieu (Gustafson, 2001). L’analyse des liens entre déplacement et attachement au lieu constitue ainsi un champ de recherche particulièrement fécond qui invite à questionner cette

relation dans le contexte du placement.

Intégrée au concept d’attachement au lieu, la dimension cognitive du rapport à l’espace renvoie à un ensemble de souvenirs, croyances, significations et connaissances que les individus associent aux lieux (Scannell et Gifford, 2010) et qui sont à la base du processus d’identité spatiale. La dimension cognitive de l’attachement au lieu, dont une composante est la familiarité (Fullilove, 1996), se matérialise dans la représentation spatiale. C’est d’ailleurs cette notion de familiarité cognitive qui est mobilisée par Sandrine Depeau dans son travail de thèse comme un des indicateurs d’autonomie (en l’occurrence cognitive). C’est plus particulièrement la forme structurelle qui est utilisée dans sa recherche comme dimension fondamentale de la représentation. En effet, les travaux sur la construction cognitive de l’espace (cognition spatiale) ont montré au départ que deux formes de structure (« survey » ou vue d’avion versus « route » ou cheminement) révélaient les stades de familiarité cognitive spatiale (Shemyakin, 1962). Concept polysémique, la représentation concerne donc ici la représentation cognitive de l’espace, analysée en termes de contenu et de structure (Depeau, 2005). La structure de la représentation, en ce qu’elle constitue un indicateur de familiarité à l’espace (Depeau et Ramadier, 2005 ; Depeau, 2003), permet de considérer l’attachement au lieu.

D’un point de vue développemental, la représentation cognitive de l’espace permet d’appréhender une dimension de l’attachement. En effet, le rapport à l’espace de l’individu se

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construit progressivement pendant son développement. Ainsi, différents stades de la capacité de représentation de l’espace sont repérés, mis en correspondance avec des tranches d’âge. Jusqu’à quatre ans, Piaget et Inhelberg (Piaget et Inhelder, 1972) n’observent pas de correspondance spatiale dans les représentations spatiales. Le deuxième stade, entre quatre et sept ans, correspond à une coordination partielle, dans laquelle les objets peuvent être mis en relation entre eux mais où certains ne sont pas coordonnés. A partir de sept ou huit ans, le stade 3 permet la construction d’un dessin topographique avec un respect des positions, distances, perspectives et proportions. Enfin, le stade 4, à partir de dix ou onze ans, introduit la capacité de schématisation. L’approche de Piaget selon laquelle la mise en relation des différents points intervient secondairement est complémentaire d’autres études qui « postulent que les représentations prendraient au départ appui sur un ensemble de cheminements » (Depeau, 2006, p. 15). Il s’agit notamment de celle proposée par Shemyakin (Shemyakin, 1962) pour qui la structure de la représentation cognitive de l’espace passe d’une carte organisée en cheminement à une carte s’appuyant sur les relations topologiques entre les éléments.

Selon ces différentes approches, l’âge est une variable déterminante dans la structure de la représentation. Le genre est également identifié comme un facteur influençant la structure des représentations dans la littérature (Matthews, 1987 ; Ramadier et Depeau, 2010) : les garçons seraient ainsi plus centrés sur les réseaux et les filles sur des points de repère. Cependant, d’autres éléments interviennent et notamment les pratiques des individus (Depeau et Ramadier, 2005 ; Ramadier et Depeau, 2010). Les modalités de déplacement des individus influencent ainsi la structure de leur représentation, et notamment l’accompagnement des enfants dans leurs déplacements qui « transforme le mouvement en comportement passif qui n’active pas l’intérêt des enfants et n’enregistre pas les stimulations de l’espace dans la mémoire » (Tsoukala, 2001, p. 121). D’autres travaux ont également montré le rôle de la « liberté de mouvement » dans l’acquisition des connaissances environnementales. Le rôle des déplacements sans accompagnement d’adulte dans la construction du rapport à l’espace des enfants et adolescents invite à prendre en compte les facteurs influençant la manière dont les enfants et adolescents se déplacent, développés dans la seconde section de ce chapitre. Ils révèlent également le poids des contraintes sociales dans le processus de construction de l’espace vécu des adolescents.

L’approche écologique de la psychologie du développement met ainsi en relation les processus d’attachement au lieu et les pratiques. La familiarité à l’espace, composante de

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l’attachement au lieu, est appréhendée dans une approche cognitive par l’intermédiaire des représentations spatiales. L’attachement au lieu et la familiarité sont des processus fondamentaux de « l’identité spatiale » (Proshansky, 1978). La conception de l’espace comme un « constituant » des identités rejoint l’approche dimensionnelle de l’espace adoptée dans le cadre de cette thèse et permet de faire dialoguer la construction individuelle du rapport à l’espace avec la construction des rapports sociaux par l’espace.

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