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Les adolescents : la construction du rapport à l’espace

Conclusion du chapitre 2

Hypothèse 2: Les éducateurs utilisent l’espace dans leurs pratiques professionnelles

1.2. Variables construites : recueil de données et traitement

1.2.3. Les adolescents : la construction du rapport à l’espace

Le troisième ensemble de données recueillies est transmis par les adolescents eux-mêmes. Dans un premier temps, les pratiques des adolescents sont observées au cours de l’enquête

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ethnographique. Abordés dans le cadre des négociations qu’ils entraînent avec les éducateurs, les déplacements quotidiens des adolescents font également l’objet d’observations spécifiques. Dans un deuxième temps, le JRS et l’entretien qui l’accompagne (Annexe 9), associés à un traitement statistique et cartographique, renseignent les appropriations individuelles et collectives de l’espace par les adolescents.

a. Observation des pratiques

La présence au sein des établissements autorise l’observation et la participation à certains déplacements des adolescents. La participation aux déplacements prévus entre un éducateur et un adolescent, ou l’accompagnement d’un adolescent pour une sortie, permet l’observation directe des déplacements, et plus particulièrement l’usage que font les adolescents des transports en commun, en les laissant faire et en les questionnant sur leur connaissance du réseau. Ces accompagnements sont également l’occasion de recueillir des discours sur les lieux pratiqués par les jeunes, notamment sur l’environnement de l’établissement, à l’occasion de petites promenades à pied autour des foyers, et de nourrir la compréhension du processus d’appropriation de l’espace résidentiel qu’est le placement.

b. L’entretien-JRS : analyses des représentations et des pratiques dans l’espace

Constitué d’un plateau et d’un ensemble d’éléments rassemblés dans une mallette (Photographie 1), ce jeu invite à la reconstruction d’un espace par l’enquêté selon une consigne précise. Ainsi, après avoir présenté le cadre de l’enquête et les différents éléments du JRS, la consigne suivante est donnée à l’enquêté « Quels sont les endroits où tu vas régulièrement ? ».

Photographie 1: Le Jeu de Reconstruction Spatiale

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La question posée est volontairement large pour pouvoir observer l’étendue de l’espace de référence, à savoir les jeunes se réfèrent-ils à l’espace du foyer, à l’espace du domicile familial, aux deux espaces à la fois ou encore à un autre espace ? Au fur et à mesure que l’adolescent dépose des éléments sur le plateau, ceux-ci sont numérotés par l’enquêteur à l’aide d’une étiquette posée sur l’élément et l’adolescent est invité à énoncer ce que représente celui-ci (la parole était alors enregistrée ou retranscrite par l’enquêteur selon les conditions d’enquête).

Les productions issues du JRS (Annexe 11) et l’entretien qui les accompagne sont interprétés à différents niveaux. En effet, on peut dans un premier temps analyser chaque production des JRS comme une entité, dont on décrit les caractéristiques et que l’on peut comparer aux

autres. Dans un second temps, les lieux90 représentés à partir des JRS peuvent faire l’objet

d’interprétations. Au total, les JRS ont permis de recueillir des données sur 795 lieux que les adolescents disent fréquenter, sur lesquels les différentes analyses ont été construites. Afin de prendre en compte ces deux niveaux d’interprétation (45 JRS et 795 lieux représentés), une base de données relationnelle est créée sous Access. Alors que le JRS est avant tout un outil de recueil des représentations, il est utilisé dans cette thèse comme un moyen d’éclairer également les pratiques des adolescents, ou en tout cas les lieux dans lesquels elles se déroulent. En effet, l’analyse du discours accompagnant la représentation de ces lieux et les différents types de toponymes utilisés révèlent les fonctions de ces lieux pour les adolescents. Au-delà de la manière de nommer les lieux, le discours qui accompagne les représentations renseigne sur les pratiques et personnes associées à la fréquentation des lieux. Ces deux types d’interprétations (comme représentation ou comme pratique) sont ensuite analysés dans une perspective individuelle et/ou collective.

- Représentations

Dans la lignée des travaux de Sandrine Depeau et Thierry Ramadier, la structure de la représentation est dans un premier temps utilisée comme un indicateur de familiarité avec l’environnement. On s’appuie ainsi sur la typologie mise en place par les deux auteurs et qui correspond à une version enrichie de la typologie de Shemyakin (Shemyakin, 1962). Cette dernière distingue seulement deux types de cartes mentales selon le niveau de familiarité : la carte cheminement (route maps) qui correspond à un faible niveau de familiarité et la carte

90 Les lieux se distinguent ici des « éléments » posés sur le plateau par les enquêtés puisque plusieurs éléments peuvent représenter un même lieu (Annexe 12).

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qui donne à voir une vue d’ensemble (survey map) et qui correspond à un niveau de familiarité plus élevé. Cette typologie est ainsi renseignée par la prise en compte de l’ordre d’apparition des éléments et des connexions observées entre eux et réalisée par une double évaluation, à l’aveugle, des structures des JRS (Annexe 10) selon la méthodologie proposée par Thierry Ramadier et Sandrine Depeau (2010). Elle peut être un indicateur de la familiarité spatiale des adolescents. Outre son rôle dans la détermination de la structure des représentations, l’ordre dans lequel les éléments sont posés permet d’isoler les premiers éléments et de les traiter à part entière. L’analyse systématique du premier élément déposé sur le JRS contribue notamment à la compréhension de l’espace d’ancrage des adolescents. Cette interprétation des JRS comme représentation donne avant tout lieu à une analyse des données au niveau des individus. Il est possible de renseigner des nuances selon les établissements tout en restant prudent au vu de l’effectif par établissement. En effet, la taille de l’échantillon limite la possibilité de croiser les JRS selon cette variable. En revanche, des croisements sont possibles en prenant en compte les lieux représentés au sein des JRS. Ils invitent à interpréter les JRS comme témoins de pratiques localisables.

- Des pratiques dans l’espace

Les différents apports de l’analyse des JRS en tant que représentations ont été complétés par une prise en compte des lieux représentés comme témoins de pratiques localisées dans l’espace et pouvant être cartographiées. Les analyses intermédiaires ont permis de déterminer les catégories de lieux représentés (Annexe 12). Suite à la constitution de la base de données relationnelles, les données issues des JRS ont été intégrées à un Système d’Information Géographique afin d’être cartographiées pour contribuer à la compréhension des espaces des pratiques (espaces de vie) des adolescents. L’analyse de cette dimension des espaces de vie des adolescents nécessite quelques précautions méthodologiques. En effet, les représentations spatiales recueillies avec le JRS n’impliquent pas, de la part de l’enquêté, la localisation précise des lieux dans l’espace cartésien. Les lieux sont bien situés les uns par rapport aux autres, mais l’absence de fond de carte permet à l’enquêté de jouer avec les échelles et avec les distances. Les cartes réalisées à partir des JRS ne s’appuient pas sur la manière dont les lieux sont représentés sur le plateau, mais sur le discours qui accompagne la représentation. Utilisées dans cette optique, les données recueillies avec le JRS s’apparentent à des données discursives. La toponymie utilisée par les enquêtés, ainsi que les précisions données au cours de l’entretien, permettent de localiser, en partie, les lieux représentés (Schéma 8).

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L’exemple du JRS de IS1 illustre plusieurs difficultés posées par la démarche de cartographie à partir du JRS. On voit dans un premier temps que certains lieux évoqués par les adolescents ne sont pas localisés dans l’aire retenue pour l’étude, le département du Rhône. La mention de lieux hors du département est cependant rare dans l’ensemble des lieux mentionnés par les adolescents. Elle concerne au total quatre villes : Annecy, Béziers, Marseille et Paris. Alors que les trois autres villes sont représentées dans des JRS intégrant des espaces situés dans le département du Rhône, Marseille constitue l’unique ville de la représentation dont elle fait l’objet. Même en considérant l’ensemble des lieux représentés, les espaces hors du département du Rhône représentent une part très marginale des lieux représentés (26 sur 795) et autorise donc une analyse à ce niveau.

Une seconde difficulté réside dans l’impossibilité de localiser précisément certains lieux cités dans les JRS. Dans le JRS de ES1, seul le café, identifié par sa toponymie officielle, peut être localisé par son adresse. Les autres lieux font l’objet d’une localisation plus ou moins précise selon les détails donnés par l’enquêtée au moment de l’entretien et en fonction des connaissances plus générales de sa situation. Cette méthode introduit bien sûr un biais dans la réalisation de cartes à partir des JRS : les connaissances de l’enquêteur permettent d’identifier certains lieux qui ne sont pas identifiés clairement par l’enquêté mais laissent également dans l’ombre certains lieux. Afin de localiser un maximum de lieux, tout en garantissant la fiabilité des données, un triple niveau de localisation est conçu. Les lieux cités précisément (toponymie officielle) sont localisés comme lieux, grâce à leur adresse. Les lieux qui ne sont pas localisables à l’adresse sont intégrés à un espace plus large, le contexte (quartiers pour la commune de Lyon) ou la commune. Grâce à cette méthode, plus de deux tiers des lieux représentés sont localisés.

Tableau 11: Localisation des lieux représentés dans les JRS

Type de localisation Nombre de lieux

Localisation précise (adresse) 112 Localisation contexte (quartier) 199 Localisation commune 230 Non localisé 254 Total 795

Guy, 2014

Cette cartographie des JRS, bien que partielle, offre de multiples possibilités d’interprétation, tant au niveau collectif qu’individuel. Au niveau individuel, les productions issues des JRS sont analysées en fonction des territoires représentés. On s’intéresse alors à l’échelle de la représentation (quartier, agglomération, région, pays, monde) pour mesurer l’étendue des

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territoires fréquentés. La présence du territoire du domicile familial, du foyer, des deux ou d’aucun, complète les données sur le territoire de référence : le foyer et son territoire comme espaces d’ancrage sont ainsi interrogés à travers la réalisation de schémas des configurations des espaces de vie. Ces données sont mises en perspective avec le discours des adolescents, qui permet d’appréhender leur rapport affectif à l’espace. Le rapport aux espaces qu’ils disent « habiter » est ainsi étudié dans une perspective plus qualitative.

Ces espaces individuels gagnent à être mis en relation les uns avec les autres. Une double approche, par les lieux et par les individus, est privilégiée. L’approche par les lieux analyse leur nature et fonction, mais aussi leur localisation. Les traitements cartographiques construisent une géographie de l’adolescence, en observant notamment les espaces partagés par plusieurs adolescents et leurs caractéristiques spatiales. L’approche par les individus privilégie leur rapport à l’espace, et correspond à la mise en perspective des différentes configurations des espaces de vie. Cci donne lieu à une typologie, qui peut ensuite elle-même faire l’objet de traitements. Partant des dynamiques spatiales analysées dans la cartographie collective des adolescents, une classification des espaces de vie individuels a été réalisée. La forme de dispersion ou de concentration, observée sur la cartographie collective, a été retenue comme premier critère de distinction des cartographies. La place du foyer de placement, et sa position d’ancrage dans la cartographie, a été retenue comme second critère. Cette classification a été réalisée sur les 43 représentations ayant pu donner lieu à une géo-localisation. Comme pour les autres analyses s’appuyant sur une géolocalisation des lieux représentés, ces cartographies individuelles ne représentent pas l’ensemble des lieux représentés par les adolescents et propose donc une vision partielle de ces configurations. Après avoir cartographié les lieux, contextes et communes représentés par les 43 adolescents,

ces représentations ont été simplifiées pour donner lieu à 5 schéma-types.

Ainsi, les productions issues des JRS sont interprétées à la fois comme représentations et comme indicateurs de pratiques dans l’espace, au niveau de l’individu et au niveau collectif. Tant du point de vue de la collecte des données que de leur interprétation, l’usage du JRS ne s’inscrit pas dans un usage classique de cet outil, qui a été adapté au contexte de la recherche.

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1.2.4. Planification et négociation : les modalités d’entrée et de sortie des

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