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quelle sociologie de la jeunesse placée ?

3.3. L’origine géographique des adolescents placés

3.3.1. L’espace résidentiel des jeunes en difficulté

En France, les recherches consacrées aux jeunes rencontrant des difficultés sont majoritairement centrées sur un contexte socio-spatial spécifique, celui des quartiers urbains dits « en difficulté ». Appelés ailleurs « banlieues à problèmes » (Baudin et Genestier, 2002) ou « quartiers sensibles » (Tissot, 2007), les grands ensembles urbains font en effet l’objet d’un traitement politique, académique et médiatique spécifique depuis plusieurs décennies. Si la question des « jeunes de quartiers » acquiert une nouvelle visibilité après 2005 (Kokoreff et Lapeyronnie, 2013) et l’épisode dit des « émeutes », cette catégorie trouve son origine dans les décennies 80 et 90, en lien avec la visibilité politique qu’acquièrent conjointement les catégories de « jeune » et de « quartier sensible ». Michel Kokoreff note ainsi la « cristallisation » autour des « différentes figures des jeunes de milieux populaires issus de l’immigration » des différents processus qui affectent les espaces urbains français entre 1980 et 1990 (Kokoreff, 2007, p. 245). Cette décennie est marquée par des évènements politiques et sociaux, notamment l’émeute de l’été 1981 dans le quartier des Minguettes, à Vénissieux, et la « Marche pour l’égalité et contre le racisme » en 1983. Cependant, la comparaison du traitement médiatique de l’émeute de Vénissieux en 1981 et de celle de Vaulx-en-Velin à l’automne 1990 révèle que la catégorie de « quartier » s’impose dans les années 90 (Tissot, 2007). Elle est alors associée à des catégories fondées sur l’âge et l’origine géographique et

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ethnique, notamment dans les discussions parlementaires sur la Loi d’orientation sur la ville en 1991 (Tissot, 2007). Parallèlement à cette institutionnalisation de la question des « jeunes des quartiers » au niveau des politiques publiques, les recherches portant sur le double objet des jeunes et de l’espace urbain se développent en France dans les années 80 (Kokoreff, 1996). Les sociabilités juvéniles et notamment les pratiques déviantes qui les caractérisent

sont ainsi étudiées au prisme d’un territoire spécifique74. L’ouvrage de François Dubet, La

galère : jeunes en survie, inaugure en 1987 une série de travaux sur les jeunes vivant dans les

grands ensembles urbains. A partir d’une enquête de terrain, le sociologue observe une forme spécifique de marginalité qu’il explique « par la fin du monde industriel qui ne peut ni créer des systèmes d’identification stables, ni assurer l’intégration des nouveaux venus » (Dubet, 1993, p. 23). Adil Jazouli, qui participe à l’enquête sur La galère, contribue par ailleurs aux réflexions sur la « banlieue », notamment à travers un « manifeste pour les quartiers populaires » (Jazouli, 1995).

Outre les liens entre quartiers et pratiques déviantes, qui ne sont pas approfondis ici, d’autres travaux fondés sur une approche ethnographique contribuent à rendre compte de l’expérience des jeunes vivant dans des grands ensembles. Les auteurs insistent particulièrement sur l’attachement au quartier des jeunes en question (Lepoutre, 1997). Le quartier est ainsi décrit comme un « support identitaire » qui fonde une appartenance sociale (Sauvadet, 2006b). Le rapport des jeunes à leur quartier est perçu comme étant paradoxal : l’attachement au quartier

est ainsi mis en regard de pratiques considérées comme des dégradations75. Le caractère non

choisi76 ou enfermant (Moreau, 2010) du quartier est alors souligné. Ainsi, l’identification au

quartier et la logique d’attachement peuvent être considérées comme des appuis qui se transforment en « piège » pour ceux qui ne parviennent pas à y « échapper » (Avenel, 2000). Le « piège » de la cité est également évoqué par Thomas Sauvadet qui distingue ainsi les « jeunes de cité » de ceux résidant dans ces espaces mais refusant ce qu’il nomme « l’identité

jeunes de cité» (Sauvadet, 2006a, p. 3). Le terme « piège » décrit un rapport à l’espace

résidentiel envisagé comme un risque, en lien avec une immobilité spatiale à la double échelle du quotidien et de la vie.

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Plus globalement, l’accès de ces jeunes aux ressources offertes par la ville et plus particulièrement à l’emploi, est également questionné et fera l’objet d’un développement dans le deuxième chapitre de cette thèse.

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PERRIER F., VERNEDE F., 2013, « Les jeunes dans les quartiers prioritaires : Quelle situation ? Quelle insertion ? », Les dossiers de la MRIE, Mission Régionale d'Information sur l'Exclusion, 68 p.

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PERRIER F., VERNEDE F., 2013, « Les jeunes dans les quartiers prioritaires : Quelle situation ? Quelle insertion ? », Les dossiers de la MRIE, Mission Régionale d'Information sur l'Exclusion, 68 p.

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Plus récemment, la prise en compte des jeunes urbains s’est doublée d’une attention portée à une autre jeunesse, celle vivant hors des villes. Encore marginales aujourd’hui, les recherches sur les « jeunes dans l’espace rural » ont été portées par l’Institut National de la Jeunesse et de l’Education Populaire (INJEP), notamment dans le cadre d’un colloque tenu à Poitiers en 1994. La publication des actes ainsi qu’un article (Lambert, Boudet 1995) dans la revue

Agora posent un premier regard sur ces jeunes dont l’auteur note déjà « qu’ils ne sont pas sur

le devant de la scène médiatique » (Lambert et Roudet, 1995, p. 47). Si, depuis, la tendance des médias à focaliser l’attention sur la jeunesse urbaine s’est sans doute accentuée, d’autres recherches portant sur la jeunesse non urbaine ont vu le jour. Une synthèse sur les « jeunes ruraux » est ainsi publiée en 2000 par Olivier Galland et Yves Lambert. Ces travaux permettent d’obtenir des données générales sur cette jeunesse peu connue et interroge sa singularité par rapport à la jeunesse urbaine d’une part, et les différenciations entre les jeunes ruraux d’autre part. Cette synthèse conclut à un rapprochement des jeunes ruraux de leurs homologues urbains et à l’absence « d’identité culturelle forte » liée à la ruralité (Galland et Lambert, 2010, p. 210). Ce constat général est relativisé par des spécificités propres à la jeunesse rurale d’un côté et des différenciations internes, en lien avec l’appartenance sociale ou la distance au centre urbain, de l’autre. Les auteurs insistent ainsi sur les différentes manières d’être jeune en milieu rural, à travers l’exemple de la jeunesse ouvrière partagée en deux groupes : l’un correspond à « une intégration sociale et économique plutôt réussie », tandis que l’autre est défini par des « carences et privations » (Galland et Lambert, 2010, p. 212). Dans une approche plus locale, Nicolas Rénahy s’intéresse plus spécifiquement à cette jeunesse rurale paupérisée (Renahy, 2010). Dans un contexte de profondes transformations de l’industrie métallurgique sur laquelle reposait en grande partie l’économie du village, les rapports sociaux évoluent et la jeunesse se trouve « en danger » (Renahy, 2010, p. 23). La crise traversée par la jeunesse rurale, rendue visible par les conséquences dramatiques de certaines pratiques déviantes (consommation de drogue et d’alcool associée à la conduite) amène l’auteur à s’interroger sur la socialisation de cette jeunesse rurale. Pour certains adolescents et jeunes, une « sociabilité de bandes s’intensifie » face à la « domination scolaire et/ou la difficulté de certaines situations familiales » (Renahy, 2010, p. 57).

La sociabilité de bande n’est donc pas spécifiquement urbaine77 et rapproche les « gars du

coin » des jeunes de quartier retenant l’attention des médias. Les jeunes ruraux rencontrent

77 L’association des pratiques délinquantes à la localisation urbaine est présente dans les représentations des enquêtés de Nicolas Rénahy. Relatant deux vols qu’il a commis dans les magasins du village, l’un de ses

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ainsi « des problèmes par certains aspects très proches de ceux que connaissent les jeunes des villes considérés comme « en difficulté », en particulier dans le domaine de la mobilité ou, par exemple, pour l’accès à la formation ou à l’emploi » (Escaffre, Gambino et Rougé, 2007). Dans leur article consacré aux « jeunes dans les espaces de faible densité », les trois auteurs soulignent cependant que malgré ces difficultés, la jeunesse rurale est moins stigmatisée que la jeunesse urbaine et qu’elle peut être considérée comme une ressource pour les acteurs locaux. Alors que l’offre de transports en commun est faible dans les espaces ruraux et périurbains, la question de la mobilité des jeunes, et notamment de ceux qui ne sont pas complètement autonomes dans leurs déplacements, est posée par plusieurs recherches récentes (Didier Fèvre, 2014 ; Gambino et Desmesure, 2014). Ces dernières annoncent sans doute une prise en compte nouvelle de la jeunesse autre qu’urbaine, que cette thèse vise également à enrichir. L’origine géographique des adolescents renvoie à différents contextes territoriaux, particulièrement documentés lorsqu’ils sont urbains. Pourtant, certains adolescents, et notamment ceux connaissant une situation de placement, ne peuvent pas être caractérisés par leur lieu de résidence. Ces derniers ont en effet des modes d’habiter fondés sur le déplacement.

3.3.2. L’absence de résidence fixe : fugue, errance et migration des

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