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Planification et négociation : les modalités d’entrée et de sortie des établissements

Conclusion du chapitre 2

Hypothèse 2: Les éducateurs utilisent l’espace dans leurs pratiques professionnelles

1.2. Variables construites : recueil de données et traitement

1.2.4. Planification et négociation : les modalités d’entrée et de sortie des établissements

a. La planification des déplacements

Dans un premier temps, la participation à différentes réunions éclaire les conditions spatiales de déplacement avec un double regard. Il s’agit notamment de réunions consacrées à l’organisation des établissements et aux réunions de réflexion, dans la démarche d’évaluation des projets d’établissement notamment. Les réunions « organisationnelles », souvent hebdomadaires, donnent lieu à la planification générale de la semaine à venir et permettent d’observer comment les activités à l’extérieur sont discutées et organisées par les équipes. Tout au long de la prise en charge, les équipes éducatives décident d’un certain nombre d’éléments concernant les activités de l’adolescent à l’extérieur de l’établissement. Ces dernières concernent la scolarité ou la formation, le suivi médical ou psychologique, la famille, les amis ou les activités de loisirs. Le choix de l’équipe éducative porte à la fois sur la possibilité, l’obligation ou l’interdiction de réaliser une activité pour l’adolescent, mais aussi sur sa localisation et sur le moyen de déplacement. Une fois par semaine, les réunions d’organisation permettent de fixer « l’agenda » de la semaine en énumérant les différents rendez-vous des jeunes et les évènements à ne pas oublier. Ce moment, qui provoque de nombreuses discussions sur les accompagnements et la gestion des déplacements des jeunes, donne à voir les arbitrages entre proximité et distance, ouverture et fermeture. Les discussions au sein de l’équipe éducative concernant ces activités extérieures et les arguments déployés par les uns et les autres face à des situations problématiques sont alors retranscrites.

Des réunions que l’on peut qualifier de « réflexives », appelées de manières différentes selon les établissements, ont pour objectif de réfléchir au projet de l’établissement lui-même. Ainsi, dans le foyer 3, les réunions de « groupe clinique » animées par la psychologue du foyer et destinées à réfléchir à la situation de certains jeunes, ont également été le lieu d’une réflexion sur le dispositif. Dans le foyer 1, des journées ont été banalisées pour réaliser une auto-évaluation de l’établissement. L’observation de ces séances de réflexion, soit en y participant directement, soit en obtenant les comptes-rendus, permet d’analyser le dispositif en train de se faire et d’identifier, grâce à ces questionnements et discussions du projet d’établissement, avec parfois une remise en cause de certaines pratiques, certains enjeux forts de la prise en charge.

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L’attention portée aux sorties quotidiennes est complétée par une prise en compte des courts séjours dans d’autres contextes que celui du placement (famille, amis, colonie, autre prise en charge) ou avec l’établissement de placement. La préparation de ces séjours et les arguments mobilisés, pour justifier du choix de leur localisation, renseignent sur les conditions de ces déplacements plus occasionnels. Cette planification à moyen terme est mise en regard avec le processus de décision concernant les activités des adolescents à l’extérieur de l’établissement dans un temps plus court.

b. La négociation des déplacements

L’observation directe des usages de l’espace complète ces données générales. En effet, un décalage entre les indications des documents officiels et les pratiques est observé. Alors que certains lieux présentés dans ces documents officiels sont peu ou pas investis par les adolescents (le salon dans le foyer 3 ou la « salle d’activité » dans le foyer 2, par exemple), d’autres constituent des lieux très fréquentés, comme la cuisine ou les espaces extérieurs proches des bâtiments (perron, entrée, terrasse). Mais plus que les usages de l’espace à l’intérieur de l’établissement, l’observation directe permet de recueillir des données sur le lien entre l’intérieur et l’extérieur de l’établissement et la manière dont les adolescents y entrent et en sortent. Les activités à l’extérieur de l’établissement sont observées à travers trois mouvements: le mouvement de l’intérieur vers l’extérieur (départ), le mouvement de l’extérieur vers l’intérieur (retour), et la sortie en elle-même. A ces différents moments, des données générales caractérisant la sortie sont recueillies, à travers une prise de notes, ainsi que des données considérant différents aspects du déplacement et de la mobilité (Tableau 12).

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Tableau 12: Grille d’observation des modalités de sortie des établissements

Données générales Déplacement dans le contexte

institutionnel Mobilité comme compétence

Départ

-planification : prévue/improvisée ; régulière/occasionnelle

-prescription :

obligation/autorisation/interdiction

Quelle est la situation au moment de la sortie (conflit entre

adolescent et éducateur, calme ou crise) ?

Quelles sont les informations demandées par l’éducateur et transmises, ou non, par

l’adolescent (objet, lieu, horaires, moyens de déplacement) ? Celles-ci sont-elles notées ?

Comment et par qui la sortie est-elle préparée (recherche d’adresse et d’itinéraire, utilisation d’outils spécifiques, explications…) ?

Sortie

-encadrement : présence/absence d’éducateur

-composition : seul/à plusieurs

Quelles sont les discussions entre éducateurs et adolescents pendant le déplacement ?

Le jeune sait-il se repérer dans l’espace ? utiliser les transports en commun ?

Retour

Le retour est-il signalé par l’adolescent et fait-il l’objet d’une retranscription par l’éducateur ? En cas de retour de sortie non autorisée, quelles sont les réactions de l’éducateur ?

Echange sur le déroulement du déplacement, sur d’éventuelles facilités/difficultés de

l’adolescent ?

Guy, 2012 Pour prendre en compte ces différents éléments, ma présence dans l’établissement s’inscrit à différentes périodes, à l’échelle de la journée, de la semaine ou de l’année :

- Les temps dits de « lever », entre 6h30 et 9h, correspondant au départ de certains

adolescents pour leurs journées à l’école, et les temps de soirée entre 19h et 23h30 correspondant aux retours ou non des sorties autorisées et donc au temps des fugues, sont des moments privilégiés d’observation de la gestion des sorties de l’établissement.

- L’organisation hebdomadaire est également prise en compte : les jours de semaine

donnent à voir les sorties régulières consacrées à l’école et à la formation, tandis que les weekends sont plutôt consacrés aux sorties pour le loisir et la famille. A ce titre, le vendredi soir correspond au départ en week-end de la plupart des adolescents et constitue un moment clé pour l’observation de la gestion des accompagnements à l’extérieur.

- Une distinction entre différentes périodes de l’année amène aussi à considérer

différents types de sorties, et notamment celles réalisées pendant les vacances scolaires. La participation à deux camps d’été avec le foyer 1 a permis d’observer des sorties dans un contexte territorial inconnu des adolescents.

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Ces différentes périodes d’observation permettent également d’observer les sorties non programmées, autorisées ou non, et donc la dimension contrôlée des déplacements. Alors que les réunions d’équipe constituent un moment privilégié d’observation de la préparation et des décisions concernant les activités extérieures, l’observation directe des départs et retours de sorties ne se déroule pas dans un lieu précis. Il s’agit surtout d’observer les interactions entre adolescents et éducateurs en amont et en aval de la sortie, et le lieu d’observation dépend donc des habitudes des éducateurs, notamment en ce qui concerne la négociation de la sortie.

- Dans le foyer 1, les éducateurs sont généralement dans la cuisine où la préparation des

repas les occupe une partie de la journée (leur bureau est en outre assez petit, et sans fenêtre). C’est donc à cet endroit que les demandes de sorties ont lieu.

- Dans le foyer 2, les demandes peuvent avoir lieu dans le bureau des éducateurs ou à

l’extérieur sur le « perron » du bâtiment où les éducateurs passent de longs moments.

- Dans le foyer 3, les demandes et autorisations des sorties ont systématiquement lieu

dans le bureau des éducateurs où se trouve la commande d’ouverture du portail.

- Enfin, dans le foyer 4, les habitudes des éducateurs dépendent des groupes, mais les

demandes de sorties impliquent généralement un passage dans le bureau des éducateurs.

Le bureau des éducateurs constitue ainsi un lieu privilégié d’observation des départs et retours de sorties. C’est également le lieu depuis lequel les appels téléphoniques, en cas de sortie sans autorisation, sont passés (afin de ne pas être dérangés par les autres adolescents et d’avoir à disposition tous les numéros de téléphone, les éducateurs vont dans le bureau, porte fermée). Les observations réalisées dans le bureau des éducateurs s’étendent à d’autres lieux

d’observation91 mais elles permettent déjà de relever les modalités des demandes de sorties,

les négociations auxquelles elles donnent lieu, et le déroulement des retours.

Ces éléments sont analysés dans une perspective qualitative. En effet, si le caractère irrégulier des présences dans les établissements ne permet pas de traiter quantitativement les données de l’observation, les notes relevées dans les carnets de terrain montrent certaines régularités dans le traitement des entrées et sorties.

91Je pense notamment aux situations de franchissement des barrières de l’établissement dans le cas de sorties non autorisées où les échanges entre adolescents et éducateurs ont dans certains cas pu être recueillis.

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Cette thèse s’appuie ainsi sur des données replaçant les déplacements des adolescents et la prise en compte de leur mobilité dans un système incluant trois niveaux de compréhension : l’institution, l’éducateur et l’adolescent. La mise en relation des données suppose la conceptualisation d’un modèle de données (Schéma 9).

Schéma 9: Variables, opérationnalisation et traitements

Le système d’hypothèses présenté en introduction est ainsi opérationnalisé par un ensemble de variables opérationnalisées à partir de différents types de données, qui font ainsi l’objet de traitement spécifiques et conjoints. Provenant de quatre types de sources d’information, ces données sont, comme on l’a vu, traitées grâce à différents outils d’analyse. Certaines données sont intégrées à une base de données relationnelle pour associer les informations individuelles, elles-mêmes intégrées à différents niveaux (production globale des JRS et lieux représentés). D’autres informations sont mises perspective avec les variables issues des établissements, construites dans une démarche qualitative.

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2. Terrain « sensible », approche plurielle

Comme le remarque Alain Vulbeau, l’adjectif « sensible » appliqué aux recherches en sciences sociales désigne à la fois des objets et des modalités d’approches que les chercheurs déploient pour accéder à ces objets (Vulbeau, 2007). Comme dans le cas d’autres travaux de géographes (Simon-Loriere, 2013), l’objet de cette thèse implique un terrain qui peut être qualifié de « sensible ». La définition des « terrains sensibles » s’applique aux établissements de placement, bien que certaines nuances puissent être apportées. Ces derniers sont en effet « porteurs d’une souffrance sociale, d’injustice, de domination, de violence», et « relèvent d’enjeux socio-politiques cruciaux, en particulier vis-à-vis des institutions sociales normatives » et impliquent

« de renoncer à un protocole d’enquête par trop canonique, l’ethnographe devant ici mettre ses méthodes à l’épreuve pour inventer, avec un souci permanent de rigueur, de nouvelles

manières de faire » (Bouillon, Fresia et Tallio, 2005, p. 14‑15).

L’appréhension de ce terrain sensible repose sur une approche qui l’est également, bien qu’elle soit associée à d’autres types de méthodes. L’enquête réalisée dans les établissements de placement s’appuie en effet sur une triangulation méthodologique dont l’ancrage disciplinaire dépasse la géographie, afin de comprendre le rôle de la mobilité dans les jeux d’acteurs et dans les rapports à l’espace des adolescents. Ce questionnement géographique est abordé grâce une démarche ethnographique pour observer le rapport à l’espace, mise en place à travers des observations régulières dans les établissements de l’enquête associées à d’autres méthodes. Comme dans le cas de l’entretien semi-directif dont Stéphane Beaud regrette le« traitement isolé », il faut dans un premier temps réinscrire ces méthodes dans « le déroulement réel » de l’enquête de terrain (Beaud, 1996, p. 227). Au sein de chaque établissement, plusieurs étapes se sont ainsi succédées au fur et à mesure de l’ethnographie. La première a été consacrée à la prise de contact avec les différents acteurs. L’observation directe et la préparation des entretiens avec les éducateurs ont constitué la seconde étape. Souvent avec un décalage de quelques mois par rapport aux entretiens avec les éducateurs, les adolescents eux-mêmes ont été questionnés sur leurs pratiques et représentations spatiales. En parallèle de ces différentes étapes, les documents écrits présents dans les établissements ont été analysés.

La démarche ethnographique avait ainsi un double objectif : elle permettait le recueil de données via l’observation directe mais constituait dans le même temps un intermédiaire pour la récolte de données issues d’autres sources.

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Loin de respecter un plan précisément défini à l’avance, l’enquête menée dans les foyers s’est construite au fur et à mesure et en fonction de plusieurs contraintes. L’intérêt d’analyser les conditions d’enquêtes et d’expliquer les « déconvenues » auxquelles le chercheur doit faire face est largement affirmé dans l’ensemble des sciences sociales (Bizeul, 1999) et notamment en géographie où le terrain constitue une « boîte noire » (Calbérac, 2010). Ce retour présente un premier intérêt méthodologique : il permet de contextualiser les données recueillies et ainsi de mieux en comprendre leur portée. Plus largement, il interroge le rôle du chercheur sur le terrain et auprès des personnes enquêtées.

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