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Le mineur victime au centre de la justice civile et de la justice pénale

1.1. La « Protection de l’enfance », des origines ambivalentes

1.1.2. Le mineur victime au centre de la justice civile et de la justice pénale

Dès le XIXème siècle, les mesures et institutions dédiées aux enfants abandonnés vont aussi prendre en charge des mineurs identifiés d’abord comme coupables. C’est le cas de l’Assistance publique dont les catégories d’enfants recueillis évoluent avec la loi du 24 juillet 1889, relative « à la protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés ». Ce texte facilite la prise en charge des enfants victimes en prévoyant la possibilité de déchoir les parents de leurs droits si nécessaire. Elle introduit également la catégorie des « enfants moralement abandonnés » qui peuvent être des mineurs coupables de délits. La possibilité pour les mineurs coupables considérés comme non discernants, acquittés par l’article 66, d’être pris en charge par l’Assistance publique introduit une ambiguïté entre protection « des enfants martyrs » et lutte « contre la délinquance juvénile » (Jablonka, 2006, p.19). Cette ambiguïté est confirmée dans la loi du 27 juin 1904 parue au Journal officiel le 30 juin 1904, la loi sur le service des enfants assistés, par laquelle l’Assistance publique reçoit les enfants orphelins mais aussi les « vicieux et insoumis ». Inversement, les enfants qui sont en prison peuvent ne pas être coupables de délits. C’est le cas de la majorité des détenus de la prison pour enfants La Petite Roquette qui étaient en 1852 des « sans famille, orphelins ou enfants naturels » (Perrot, 2001, p.342).

Le mineur victime et le mineur coupable sont à cette époque considérés dans une approche commune, à l’aide du concept « d’enfance inadaptée », et leur prise en charge a une vocation sociale (Renouard, 1990). Que le mineur soit victime ou coupable, l’objectif est bien de le protéger pour éviter qu’il ne devienne délinquant. L’analyse des Congrès internationaux sur la question de l’enfant réalisée par C. Rollet-Vey montre bien que même au-delà du contexte français, le premier modèle qui émerge, à la fin du XIXème siècle, est celui de « la conception de l’enfant comme un risque pour la société » qui entraîne des « efforts juridiques et administratifs » (Rollet-Vey, 2001, p.109). Les autres conceptions de l’enfant, d’un point de vue médical ou dans sa relation à la famille, conduisent aussi à une prise en compte globale

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du mineur. En effet, les réformes du début du XXème siècle sont largement imprégnées de l’avènement de nouvelles disciplines scientifiques et du regard nouveau qu’elles portent sur le mineur. La psychologie, la sociologie ou la neuropsychiatrie promeuvent ainsi « une meilleure compréhension des enfants anormaux » (Fishman, 2008, p.22). Cet effort de compréhension permet d’établir les causes (médicales ou sociales) conduisant les mineurs dans ces situations et rendent caduque la notion de discernement utilisée par les juges jusqu’alors. La délinquance devient dans tous les cas la manifestation d’un problème dont le mineur n’est pas responsable et sur lequel l’Etat doit agir.

Le milieu du XXème siècle, décrit comme l’« âge d’or de la justice pour enfants » (Renouard, 1990, p. 134), poursuit cette prise en charge commune avec deux lois majeures qui régissent encore la Protection de l’enfance aujourd’hui : les ordonnances de 1945 et 1958. Le premier texte, adopté le 2 février 1945, instaure la primauté de l’éducatif sur le répressif et vise à prendre en compte la personnalité de l’enfant plutôt que l’infraction commise. Elle résout donc le paradoxe de la justice des mineurs qui oscillait jusque-là entre prise en compte des faits commis et prise en compte de la raison de ces faits. L’ordonnance de 1945 repose ainsi sur la conception des mineurs avant tout comme victimes.

Cette loi permet la création d’une institution dédiée aux mineurs de justice, et nommée

Education Surveillée, mise en place par l’ordonnance du 1er septembre 1945. Changeant de

nom pour devenir la Protection Judiciaire de la Jeunesse en 1989, l’institution possède dès 1945 les caractéristiques qui en font son originalité, et notamment son autonomie par rapport à l’Administration pénitentiaire. Sa création implique la mise en place d’un secteur professionnel spécifique, avec un juge dédié aux mineurs, le juge des enfants, et des travailleurs sociaux désormais appelés éducateurs.

Le rassemblement de la justice des mineurs autour d’une seule institution composée de professionnels spécifiques permet de clarifier les objectifs de la prise en charge en la situant du côté de l’éducation : « Un pas semble avoir été franchi : il n’y a plus d’ambiguïté entre la peine et la mesure d’éducation» (Bourquin, 2007, p.129). Cependant, dans le même temps, la clarification du statut du mineur, considéré comme victime indépendamment des actes commis, renforce une certaine ambiguïté concernant la différence entre les mineurs ayant commis des délits et ceux qui sont des victimes avérées ou potentielles. La situation est paradoxale puisque le mineur est mieux protégé lorsqu’il a commis un acte de délinquance que lorsqu’il est seulement victime. Pour contourner cette situation, l’ordonnance de 1945

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peut alors être utilisée pour intervenir auprès de mineurs en situation de grave danger (Pedron, 2005).

C’est dans ce contexte et face à ce constat qu’est adopté le second texte de référence, l’ordonnance du 23 décembre 1958. Cette loi met en œuvre l’idée d’une unité de la Protection de l’enfance, en permettant au juge des enfants d’intervenir à la fois dans le contexte pénal, lorsqu’un mineur commet des actes de délinquance, mais aussi dans le contexte civil, lorsqu’un mineur est victime. Etablie autour de la notion « d’enfance malheureuse », l’ordonnance de 1958 n’établit pas de distinction entre enfance victime et enfance coupable puisque le juge des enfants a la charge « de la délinquance des mineurs, mais aussi des enfants en danger, c’est-à-dire aussi bien des enfants refusant d’aller en classe ou désobéissants que des enfants maltraités. Ces derniers n’ont alors pas de statut privilégié. Comme l’enfant délinquant, l’enfant violenté pas ses parents devait être protégé afin d’éviter qu’il ne devienne un inadapté social » (Youf, 2009, p. 217). Alors que certains auteurs soulignent la cohérence de cette prise en charge du mineur dans sa globalité, surtout en regard des nouvelles orientations prises par la Protection de l’enfance (cf. 1.2.), pour d’autres, la prise en charge des mineurs coupables se fait alors au détriment des mineurs victimes. Ainsi, pour Michèle Créoff, bien que le XXème siècle institue la reconnaissance du statut de l’enfant, « depuis les lois de la fin du XIXe, la question de la délinquance juvénile a peu à peu occulté la problématique des enfants maltraités » (Créoff, 2003, p.15).

Une brève analyse historique montre la constitution ambivalente du concept de Protection de l’enfance, dans un double dispositif juridique. D’un côté la justice pénale affirme la spécificité du droit des mineurs et se dote d’outils visant des objectifs éducatifs. De l’autre, la justice civile concerne d’abord les enfants n’ayant pas de famille et accueillis par l’Assistance publique. La mutualisation des services de l’Assistance publique pour les enfants n’ayant pas de famille et ceux désignés comme coupables montre une ambivalence du concept de Protection de l’enfance puisque « c’est sur la base de considérations initiales d’ordre public qu’a émergé, dès la fin du XIXème siècle, le souci de « protéger » l’enfant » (Pedron, 2005, p.21). Dans la seconde moitié du XXème siècle, deux champs de la Protection de l’enfance vont cependant s’affirmer.

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1.1.3. De la maltraitance aux droits de l’enfant : l’accueil des Mineurs

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