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Chapitre 2 : La conduite automobile 25

III. L’activité de conduite 32

III.2 Prise de risques et erreurs 36

III.2.1 Aspects généraux de la prise de risques

L’activité de conduite nécessite de contrôler une situation à risque (Taylor, 1964 ; Näätänen et Summala, 1974 ; Fuller, 1984). La littérature aborde généralement le risque d’accident sur la route au sens large. La conduite automobile peut cependant entraîner des risques allant du simple accrochage sans gravité à l’accident mortel ou encore d’une contravention modérée à l’enfermement pour délit. Selon Amalberti (2001b), les risques se caractérisent par une composante externe et une composante interne. Le risque externe renvoie à l’éventualité d’un événement indésirable ainsi qu’à la gravité de ses effets. Le risque externe est ainsi objectivable et il est évalué par des mesures portant sur l’événement (probabilité) ainsi que sur ses conséquences (estimation de la gravité des dommages liés à l’événement). Le risque interne dépend de l’opérateur et renvoie à l’expertise et à la limitation des ressources cognitives (Van Daele & Ait Ameur, 2010).

Les modèles du risque sont classiquement décrits comme des modèles motivationnels et postulent que la conduite est auto-régulée. Les conducteurs sélectionneraient la quantité de risque qu’ils tolèrent dans une situation donnée (risque acceptable), quantité de risque qui est donc déterminée par la motivation du conducteur (Näätänen et Summala, 1974). Plusieurs modèles ont donc été développés dans cette optique.

Les modèles de compensation de risque postulent que les conducteurs ajustent leur conduite (généralement leur vitesse de conduite) pour créer une balance entre le niveau de risque imputable aux événements routiers et leur niveau de risque acceptable, déterminé de

manière subjective par l’individu. La théorie de l’homéostasie du risque de Wilde (1994) propose que les usagers de la route se comportent de manière à maintenir constant leur niveau de risque. En plus de la composante motivationnelle déjà évoquée, des composantes cognitives détermineraient le niveau de risque.

Les modèles d’évitement du risque (Fuller, 1984) sont basés sur l’existence d’un conflit entre deux motivations prédominantes dans l’activité de conduite : la volonté de progresser vers une destination donnée et celle d’éviter les dangers potentiellement présents sur la route. Dans ces modèles, la notion de « balance » est primordiale dans l’évitement du risque.

Enfin, Näätänen et Summala (1974, 1976) proposent le modèle du risque zéro qui repose sur un processus de contrôle par lequel les conducteurs font coïncider le risque réel (objectif) et le risque perçu (subjectif). Ce dernier dépend de la probabilité subjective qu’un événement soit dangereux et de l’importance subjective de cet événement. Selon ce modèle, le comportement du conducteur est directement lié au risque perçu. Au volant, l’objectif principal du conducteur est de faire en sorte que le risque encouru soit le plus proche possible de zéro. Dans ce cas, le risque réel est le produit soit d’une mauvaise évaluation de la part du conducteur des risques induits par son comportement sur la route, soit d’une mauvaise estimation de la dangerosité de la situation. Dans la littérature actuelle, le terme de facteurs de risque inclut tout facteur en lien avec le contexte routier, influençant ou susceptible d’influencer l’augmentation du risque d’accident de la route chez le conducteur (Salminen et Lähdeniemi, 2002).

Ces trois modèles du risque prêtent à plusieurs critiques (Ranney, 1994). D’une part, ces modèles s’intéressent surtout à la composante contrôle du véhicule et ils ne prennent que trop peu en compte la composante stratégique (ex. gestion d’itinéraires). D’autre part, ces modèles ne peuvent générer de prédictions testables ; la théorie de l’homéostasie du risque n’a pas de validité en soi. Enfin, si la conduite n’est déterminée que par les attentes et les motivations du conducteur, alors elle ne pourrait être étudiée dans des contextes moins écologiques, comme en simulateur de conduite.

Certains conducteurs prennent plus de risques au volant que d’autres. Plusieurs études ont montré que la prise de risques était associée à la recherche de sensations, elle-même dépendante de caractéristiques de la personnalité (cf. Jonah, Thiessen & Rau-Yeung, 2001). Toutefois, d’autres conducteurs prennent des risques pour d’autres raisons liées au déplacement. En effet, comme il a été énoncé dans l’introduction, le risque d’accidents est plus élevé chez les conducteurs professionnels et les conducteurs non professionnels qui

doivent conduire pendant leur travail (Ore & Fosbroke, 1997). Dans certaines professions, telles que les conducteurs de travaux, chefs de chantier ou commerciaux, le véhicule est employé comme « bureau mobile » (Forrierre, 2008). Les professionnels optimisent ainsi le temps passé dans leur véhicule (en moyenne 4 heures pas jour ; Eost & Galer., 1998) en remplissant, par exemple, des compte rendus ou des formalités administratives. Salminen (2000) a analysé l’origine des conducteurs impliqués dans les accidents de la circulation durant leur travail et pendant le trajet travail/domicile afin de mettre en évidence les déterminants de ces accidents. Trois bases de données de sources différentes (données gouvernementales et d’assurances) ont été utilisées. L’auteur montre que les hommes sont plus souvent sur la route pendant leurs heures de travail que les femmes et qu’ils sont plus souvent impliqués dans des accidents. Salminen et Lähdeniemi (2002) ont interrogé des professionnels finlandais travaillant dans la construction et dans le marketing. Tous rapportent prendre plus de risques lorsqu’ils conduisent beaucoup pendant les heures de travail que pendant leurs temps de loisirs. Un manque de planification est significativement associé aux accidents de la route des conducteurs d’une compagnie canadienne, vraisemblablement parce que l’absence d’organisation obligerait les conducteurs à augmenter leur vitesse de conduite (Caird & Kline, 2004).

III.2.2 Erreurs humaines en conduite automobile

Les erreurs humaines seraient à l’origine de plus de 75% des accidents de la route (Stanton et Salmon, 2009). Toutefois, la conduite automobile est un environnement pardonnant. Ainsi, les prises de risque et les erreurs de conduite sont bien plus nombreuses que l’occurrence des accidents.

Plusieurs classifications des erreurs humaines existent dans la littérature. Toutefois, dans le domaine de la conduite automobile, une classification des erreurs se révèle plus complexe et nécessite qu’elles soient définies précisément afin d’anticiper ces erreurs chez le conducteur.

La catégorisation des erreurs proposée par Norman (1981) repose sur la théorie d’activation de schémas cognitifs (Bartlett, 1932 ; Beck, 1976). Les schémas :

- contiennent des abstractions représentatives des caractéristiques importantes d'un stimulus,

- possèdent une structure interne cohérente imposée sur l'organisation des nouvelles informations,

- sont organisés de façon modulaire. L'activation d'une partie de l'information produit une activation de l'ensemble des informations connexes,

- interagissent avec les différents processus de traitement de l'information (filtrage, abstraction, intégration et construction de souvenirs ; Williams, Watts, McLeod & Matthews, 1997).

Ainsi, des séquences d’actions résultent d'apprentissages non volontaires, stockées en mémoire. Les schémas ne sont pas rigides et évoluent au cours du temps, en fonction des connaissances nouvelles et de l’expérience. Appliquée à la conduite automobile, cette théorie implique que le conducteur, fort de l’application répétée d’un ou plusieurs schémas cognitifs liés à la situation de conduite, ne puisse anticiper une situation incidente, celle-ci n’étant pas prévu par son schéma « habituel ». Toutefois, bien qu’il ne puisse pas prévoir certains événements et/ou le comportement à adopter pour y faire face (ex. : dérapage soudain du véhicule devant lui), le conducteur dispose, en plus de ses schémas, de connaissances plus larges qui lui permettent d’agir de manière appropriée. Pour Norman (1981), l’erreur résulte de la mise en place erronée d’un schéma et peut intervenir à trois niveaux différents.

- Si l’individu a mal interprété ou évalué la situation, il peut sélectionner dès le départ un mauvais schéma qui ne sera pas adapté à la situation (Ex. le conducteur freine pour laisser passer un véhicule à sa droite alors qu’il est sur une route prioritaire ; le véhicule arrivant derrière lui le percute). C’est ce que Norman (1981) catégorise en erreurs de formation d’intention.

- Le conducteur peut effectuer une erreur résultant d’une activation erronée d’un schéma. Dans ce cas, plusieurs caractéristiques de la situation sont proches de celle associée à l’activation « habituelle » d’un schéma ce qui entraîne son déclenchement. Celui-ci n’est cependant pas adapté à toutes les caractéristiques de la situation (ex. le conducteur freine pour éviter un obstacle sur la route mais celle-ci est glissante ; il finit sa trajectoire dans le fossé).

- L’erreur peut résulter du déclenchement trop précoce ou trop tardif d’un schéma (ex. Le conducteur freine trop tard et percute le véhicule devant lui). Le modèle de Norman peut ainsi être rapproché des trois situations de prise de décision développées dans le modèle de Klein (1989).

Reason (1990) construit une classification en trois types d’erreurs : les lapsus, les

fautes et les violations. Si la langue anglaise permet de différencier les erreurs au sens

les lapsus (« slips » et « lapses ») sont issus, pour les « slips », d’un défaut attentionnel (ex. déficit perceptif, mauvaise organisation temporelle de l’action, omission de l’action, inversion de l’action) et, pour les « lapses », d’un déficit de type mnésique (ex. omission des actions planifiées, oubli des actions intentionnelles, perte de lieu dans une séquence d’action). Les fautes, quant à elles, résultent de l’application intentionnelle par l’opérateur, d’une action erronée. Par exemple, les fautes peuvent être liées à un mauvais usage d’une procédure pourtant appropriée à la situation (ex. s’arrêter au milieu d’un passage à niveau pour laisser passer un piéton), à l’application d’une mauvaise procédure (ex. laisser passer un véhicule à droite alors que celui-ci n’est pas prioritaire), à un déficit de considération des alternatives possibles (ex. dépasser un véhicule lent sans avoir considéré le trafic sur la voie de dépassement) ou encore à une prise de décision erronée ou insuffisante (ex. passer le premier à une intersection à 4 stops). Enfin, les violations sont des comportements non adaptés aux règles ou aux procédures en vigueur et/ou habituelles. Les violations peuvent être non- intentionnelles (ex. défaut de connaissances du sens de circulation, des limitations de vitesse) ou intentionnelles (ex. emprunt intentionnel d’une voie en sens interdit, excès de vitesse délibéré). Suivant cette classification, Wickens (1992) propose que ces erreurs soient la conséquence d’une partie défectueuse du système entraînant une confusion dans les actions réalisées ou à réaliser, elle-même entraînant un mode de fonctionnement inapproprié à la situation. Par exemple, pour les fautes, l’estimation voire la planification de la situation est déficitaire mais l’exécution de l’action récupérée en mémoire est correcte. C’est l’inverse pour les « slips ». Pour les « lapses », l’estimation de la situation ainsi que l’exécution de l’action sont correctes mais il existe un défaut de récupération en mémoire. Les violations non intentionnelles résulteraient d’une mauvaise estimation de la situation associée à un manque de connaissance. Les violations intentionnelles ne seraient pas la conséquence d’un déficit du dysfonctionnement de traitement de l’information ou de la mise en œuvre des actions, le comportement étant volontaire.