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Chapitre 2 : La conduite automobile 25

III. L’activité de conduite 32

III.3 Modélisation de la conduite automobile 40

L’intérêt de développer des modèles en conduite automobile repose, d’une part, sur la possibilité de prédire le comportement du conducteur et, d’autre part, de considérer la conduite automobile dans sa globalité en tenant compte de l’ensemble des caractéristiques de la conduite et des activités cognitives associées, présentées ci-avant.

Les premières études portant sur la conduite automobile se sont attachées à distinguer les tâches primaires des tâches secondaires de conduite afin de différencier les tâches importantes de conduite de celles qui le sont moins. Toutefois, il n’existe pas de consensus sur la définition de tâches primaires et tâches secondaires (Hollnagel, Woods & Leveson, 2006), et cette idée a rapidement été abandonnée, le niveau de priorité étant difficilement définissable.

Depuis les travaux de Michon (1985), l’activité de conduite est considérée comme un ensemble d’actions simultanées possédant des exigences temporelles et cognitives impliquées à des degrés différents selon l’étape de traitement. S’inspirant du modèle de Rasmussen décrit ci-avant (1983), Michon (1985) propose une catégorisation des tâches de conduite selon une organisation hiérarchique à trois niveaux : stratégique, tactique et opérationnel (Figure 2).

Figure 2 : modèle de conduite automobile de Michon (1985)

Le niveau stratégique, le plus haut niveau, nécessite un important investissement cognitif mais de faibles exigences temporelles dans la mise en œuvre des actions. C’est à ce niveau que se construisent les décisions relatives au choix et à la planification de l’itinéraire. Le niveau tactique permet aux conducteurs de décider des actions imminentes à engager. Ce niveau correspond à des exigences cognitives et temporelles moyennes. Il est requis, par exemple, dans la décision de s’arrêter à un passage piéton. Le conducteur doit décider s’il va s’arrêter en fonction de la présence de piétons et leur distance par rapport à la route, du trafic ou encore en fonction de sa position par rapport au passage piéton. Cette décision possède un coût cognitif et des contraintes temporelles (ne pas s’arrêter trop tard) moyens. Le niveau tactique est également impliqué dans le choix de dépasser ou encore dans la décision de céder ou non le passage.

L’exécution des décisions prises aux niveaux supérieurs s’effectue au niveau opérationnel. Les contraintes temporelles y sont élevées mais le coût cognitif est très faible. Les actions à mener sont, la plupart du temps, automatisées et concernent principalement le guidage du véhicule.

Michon (1979, 1985) est donc le premier à avoir préconisé l’utilisation de modèles hiérarchiques, les plus courants organisant l’activité de conduite en 3 niveaux en fonction du niveau de contrôle cognitif de l’activité. Toutefois, le modèle qu’il propose ne rend pas compte de la dynamique de la situation et il ne rend pas compte de la mise en place de traitements parallèles de l’information et de boucles de rétroaction. De plus, il propose une superposition des niveaux de traitement cognitifs (comme décrits par Rasmussen) et des niveaux d’exigences temporelles, tels que définis par Hollnagel (1993) dans son modèle COCOM (Contextual COntrol Model) dans lequel il décrit quatre empans temporels (stratégique, tactique, opportuniste et erratique).

A partir de ces critiques, Hoc et Amalberti (2007) construisent un modèle du contrôle cognitif reposant sur le croisement de ces deux dimensions : en ordonnée, le niveau d’abstraction des activités de contrôle et en abscisse, l’origine de ces données (Figure 3).

Dans ce modèle, les auteurs utilisent la terminologie de niveaux d’abstraction du contrôle et de l’activité pour désigner les niveaux de traitement de l’information en fonction de la nature plus ou moins abstraite des informations traitées. Ainsi, le niveau subsymbolique n’implique aucune interprétation de signaux ou de symboles, contrairement au niveau symbolique. Les deux niveaux de traitements peuvent être exécutés en parallèle.

L’information symbolique est traitée de manière séquentielle et représente un coût en termes d’attention symbolique entraînant, par conséquent, un temps important de traitement de l’information. A ce niveau, l’exécution de mouvements rapides est impossible. Le niveau symbolique permet cependant de généraliser des concepts acquis précédemment dans d’autres situations. Les données symboliques peuvent servir de support à des activités réactives (ex. ralentir à l’approche d’un feu) et anticipatives (ex. consulter une carte pour choisir un nouvel itinéraire).

Le contrôle subsymbolique est, quant à lui, constitué de routines et s’appuie sur des signaux ne nécessitant pas d’être renvoyés à des symboles. Le contrôle de la direction ou le freinage d’urgence ressortent d’activités réactives basées sur des données sub-symboliques, alors que la décision de doubler ou de ralentir peut également être basée sur des données sub- symboliques mais met en jeu des activités plus anticipatrices Ainsi, contrairement au niveau symbolique, le contrôle subsymbolique ne nécessite que peu de ressources attentionnelles symboliques. Cependant, l’activité de contrôle subsymbolique met en jeu suffisamment d’attention pour empêcher la mise en place d’un second contrôle subsymbolique simultané. En effet, selon Raufaste (1999), un superviseur attentionnel régit le poids des informations environnementales ainsi que la gestion des actions et des événements pouvant modifier le niveau de contrôle. Un changement dans l’environnement ou une incertitude créée par un événement inattendu peut transformer le traitement automatique en un traitement contrôlé (Ranney, 1994).

Cette dimension est croisée avec l’origine, externe ou interne (par rapport à l’opérateur) des données servant au contrôle. Ceci permet que puisse être par exemple envisagé que des activités symboliques soient déclenchées par la perception de signes provenant de l’environnement nécessitant une interprétation consciente pour que le contrôle puisse s’exercer. A l’inverse, ce modèle permet de rendre compte de l’existence d’activités subsymboliques (« automatisées » selon Rasmussen) gérées par des données internes, telles par exemple des schémas d’actions interiorisés ou encore les déclencheurs émotionnels imbriqués dans ces schémas.

Toutefois, les 4 types de contrôle nécessitent la prise d’information externe. Par exemple, les décisions prises par le conducteur sont fondées sur un jugement tenant compte des stimuli visuels et auditifs de l’environnement et du trafic. Dans ce cadre, la tâche perceptive constitue un élément central de la tâche de conduite du conducteur et se met en place à différents niveaux : détecter un signal donné, discriminer plusieurs signaux, identifier les objets et les événements en les catégorisant et évaluer la situation.

Le contrôle cognitif opère un compromis entre les objectifs atteints et la performance suffisante (Amalberti, 2001a). Le compromis cognitif est réactualisé à chaque exécution en fonction du type de supervision (externe ou interne). En cas de problème lors de la mise en œuvre des routines d’exécution en supervision externe, le coût cognitif augmente et la supervision interne intervient alors. Cette dernière exécute des traitements symboliques en gérant simultanément l’intensité et la priorité du traitement, pondérées par la métacognition. Le coût relativement élevé de cette supervision oblige ainsi le conducteur à réaliser un compromis entre les risques acceptables et le niveau de performance souhaité. Le compromis cognitif renvoie donc à une répartition du contrôle (contrôle externe vs interne/ symbolique vs subsymbolique ; Hoc & Amalberti, 2007) et il devient satisfaisant pour le conducteur lorsque celui-ci estime maîtriser la situation.