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Chapitre 4 : émotions, stress et personnalité 62

II. Théories cognitives des émotions 71

II.2 Modèles des composants 78

Les modèles actuels de l’évaluation cognitive ne maintiennent plus l’idée d’une distinction entre évaluation primaire et secondaire. Néanmoins, ils s’accordent sur deux postulats du modèle de Lazarus (1966, 1991). D’une part, les émotions humaines étant caractérisées par une variabilité importante et des distinctions subtiles, elles ne seraient pas réductibles à un nombre limité. D’autre part, Lazarus (1991) postulait l’existence d’un processus continu d’évaluation des événements, la réponse émotionnelle initiale se modifiant ainsi au cours du temps (réévaluation). L’idée majeure des théories de l’évaluation cognitive repose sur le fait que l’expérience émotionnelle est une expérience situationnelle (Frijda, 1986). Les théoriciens de l’évaluation cognitive ont ainsi proposé une série spécifique d’évaluations permettant de différencier les émotions (cf. pour quelques exemples le tableau 2). Nous ne développerons que le modèle de Scherer (1984, 2001), le plus récent ayant été validé expérimentalement.

Tableau 2 : composants pris en compte dans l’évaluation cognitive d’un événement selon Fridja (1986), Scherer (1984) et Smith et Ellsworth (1985)

Frijda (1986) Scherer (1984) Smith & Ellsworth (1985)

Changement Activité attentionnelle

Nouveauté

Familiarité

Nouveauté Soudaineté Familiarité

Valence Caractère plaisant intrinsèque Caractère plaisant Valence

Focalité Importance

Buts Certitude

Signification du but

Pertinence de l’inquiétude

Probabilité des issues Certitude Influence Intention/soi, les autres Cause : agent

Cause : motif Influence humaine

Normes/valeurs Pertinence de la valeur

Compatibilité avec les standards

Externes Internes

Légitimité

Scherer (2001, 2009) développe le modèle des processus composants pour expliquer l’émergence d’émotions suite à une évaluation cognitive de la situation. L’auteur considère l’émotion comme un construit théorique consistant en cinq composantes correspondantes à cinq fonctions distinctes (Tableau 3).

Tableau 3 : les cinq composantes de l’émotion, leurs fonctions associées et les sous-systèmes organiques impliqués selon Scherer (2001)

Composantes Fonctions Sous-systèmes organiques

Cognitive Evaluation d’événements et de

stimulus

Traitement de l’information (Système Nerveux Central ; SNC)

Physiologique Système de régulation Support (SNC, système nerveux

végétatif, système neuro- endocrinien)

Motivationnelle Préparation et direction de l’action

Exécutif (SNC) Comportementale (expression

motrice)

Communication des réactions et des intentions

comportementales

Action (Système Nerveux Somatique)

Sentiment subjectif Contrôle et interactions des états internes et de l’environnement

Moniteur (SNC)

Tout comme le modèle de Lazarus (1991), le modèle des processus composants propose, au niveau cognitif, que l’individu évalue constamment sa relation à l’environnement. Scherer (2005) postule cependant que cette évaluation est réalisée en calculant l’implication que cette relation peut avoir sur le bien-être de l’individu et ce, en réponse à des évaluations

défavorables. Les évaluations s’opèrent de manière séquentielle (évaluations de quelques millièmes de secondes chacune) selon :

1/ des critères de pertinence (nouveauté, soudaineté, familiarité, prévisibilité) ; dans le cadre de la conduite automobile, s’il rencontre un embouteillage, l’individu évalue la prédictibilité de la durée de celui-ci en fonction de son expérience d’autre embouteillage au même endroit.

2/ un agrément intrinsèque (valence et attrait). Le conducteur évalue l’embouteillage, comme peu attrayant et négatif.

3/ l’implication et les conséquences potentielles de l’événement pour l’individu (ex. l’embouteillage peut entraver l’atteinte du point d’arrivée à l’heure convenue). Les conséquences comprennent, ainsi, l'attribution de la causalité ou de la responsabilité de l’événement (ex. les autres conducteurs, l’infrastructure ou le conducteur lui-même), la comparaison entre les attentes de l’individu et les conséquences de l'événement (ex. le conducteur peut penser que l’embouteillage va créer un retard ou non) et, principalement, l'évaluation selon laquelle l'événement représente une menace ou une opportunité pour les intérêts et les buts de l’individu (ex. « si la circulation ne reprend pas, je ne pourrais pas concrétiser un contrat »). À partir de cette évaluation, l’individu estime l’urgence de mettre en place des actions lui permettant de s’adapter ou même de changer l’événement (ex. téléphoner tout de suite pour prévenir d’un éventuel retard).

4/ le potentiel de maîtrise possédé par l’individu qui peut évaluer sa capacité à contrôler et/ou influencer l’événement (ex. le conducteur évalue la possibilité de modifier son itinéraire pour éviter l’embouteillage ou il peut prendre des risques en roulant sur la bande d’arrêt d’urgence pour dépasser les files de véhicules).

5/ la signification normative ; l’individu estime la légitimité de l’événement en fonction de ses normes internes (l’idéal de soi ; ex. « D’habitude, je pars plus tôt pour prévoir ce genre d’événement. ») ou de normes externes (les exigences sociales ; ex. le conducteur peut juger que l’embouteillage ne sera pas une excuse de retard suffisante pour la personne qui l’attend).

L’implication, le niveau du potentiel de maîtrise et la confrontation aux normes nécessitent d’opérer des traitements plus élaborés, plus longs et plus conscients. Scherer (2005, 2009) construit son modèle des processus composant à partir des évaluations citées ci-dessus mises en parallèle avec les autres composantes de l’émotion, soit la régulation physiologique, la motivation, l’expression motrice et le sentiment, ce dernier reflétant une réflexion sur les changements s’opérant dans tous les autres sous-systèmes (Figure 10).

Figure 10 : modèle des processus composants des émotions selon Scherer (tiré de Scherer, 2009).

Dans le champ des émotions, des modèles généraux, comme celui de Scherer, applicable à un grand nombre de situations, mais aussi des modèles spécifiques (à un type de ressentis ou d’activités) ont été développés. La partie suivante présentera le stress dans l’activité professionnelle, activité qui constitue un des intérêts de ce travail de thèse.

En résumé

Le modèle des processus composants est un modèle séquentiel.

Il fait intervenir plusieurs composants : la nouveauté, la causalité, la valence, les conséquences possibles en encore le potentiel de maîtrise.

Les buts de l’individu ont une place prépondérante dans ce modèle.

Plus complexe que le modèle de Lazarus (1991), ce modèle permet lui aussi d’expliquer les évaluations cognitives des situations de conduite.