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Incertitudes liées à la route et à l’activité principale 160

Chapitre 8 : Quels sont les déterminants de la pression temporelle au volant ? 152

III. Incertitudes liées à la route et à l’activité principale 160

Les données de l’enquête réalisée en bord de route montrent que la peur de rencontrer un incident pouvant entraîner une perte de temps sur la route, soit l’incertitude quant à la survenue d’une perte de temps, est plus fréquente sous pression temporelle que sans pression temporelle (groupe EP-SP ; T(25)=0 ;p<.01 ; Figure 27).

Figure 27: question portant sur la fréquence de peur de rencontrer un incident pouvant entraîner une perte de temps lors de trajets réalisés sous pression temporelle (en rouge) et sans pression temporelle (en bleu). Répartition en pourcentage des répondants du groupe contrôle possédant une expérience récurrente de pression temporelle au volant mais n’étant pas sous pression temporelle sur le trajet en cours (N=25). Les données sont issues de la seconde collecte de l’enquête réalisée en bord de route.

Les entretiens menés auprès de professionnels amenés à se déplacer fréquemment sur la route mettent également en évidence le lien entre l’incertitude et l’émergence de pression temporelle au volant. Par exemple, concernant des incertitudes liées à la modification de son emploi du temps alors qu’il est en train de conduire, un des commerciaux rapporte : « Les phénomènes impromptus qui ne peuvent absolument pas se prévoir au préalable, et qui surgissent et impliquent de devoir se rendre à un endroit déterminé dans un laps de temps assez bref et qui n’est pas, encore une fois, planifié…impliquent tout de suite une perturbation soit une modification substantielle de l’agenda soit carrément qui passent à travers tout, qui bousculent le tout sans forcément laisser le temps matériel pour se retourner, c'est-à-dire de prévenir par correction les personnes que l’on ne pourra pas forcément assumer tel ou tel rendez vous. »

Les entretiens illustrent également d’autres sources d’incertitude. Elles peuvent porter sur le temps de trajet pour arriver chez le client mais aussi sur le temps de travail à l'arrivée lui-même lié à l’incertitude sur l’état de la machine à dépanner, incertitude dont l’influence se répercute sur le ressenti de pression temporelle au volant. Des incertitudes émergent également sur le fait d’être bien le premier à déposer sa réponse à une offre de marché pour les commerciaux ou encore sur l’état d’un patient pour le médecin.

III.2 Chez les infirmières d’H.A.D.

L’impact de l’incertitude sur l’émergence de la pression temporelle peut également être mis en évidence à partir des données du croisement entre contraintes temporelles et pression temporelle. Une attention particulière sera portée aux verbalisations recueillies dans la condition [CT-/PT+], mais également dans les conditions [CT+/PT-] Pour rappel, la figure 28 illustre ces deux croisements d’intérêt.

Figure 28 : répartition en pourcentage des trajets selon que les infirmières ont des contraintes temporelles faibles (CT-) ou élevées (CT+) et sont sous pression temporelle (PT+) ou non (PT-). L’attention est portée sur les croisements pouvant être liés à l’incertitude.

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Dans 22,06 % des cas, les trajets sont réalisés sous [CT-/PT+]. En plus de l’impact de l’enjeu détaillé ci avant, l’incertitude semble bien être un des déterminants de la pression temporelle comme l’illustrent les verbalisations recueillies en entretien :

 IDE1 : « Je me méfie, il suffit qu’il y ait un couac chez un patient pour que l’on soit vite débordée même sur une tournée légère ».

 IDE2 : « Le dernier jour avant mes vacances, j’avais peu de patients sur ma tournée mais il m’est arrivé conneries sur conneries et là, on se dit qu’est ce qu’il va encore se passer. » ; « Sinon sur la route, il y a les bouchons, un accident. »

Cette observation est renforcée par les verbalisations recueillies à propos des 19,12 % des cas dans lesquels les infirmières ont une raison objective d’être sous pression temporelle, étant données les contraintes existantes, mais ne le sont pas [CT+/PT-].

o Dans de tels cas, il apparaît que l’existence avérée de contraintes permet l’anticipation d’impondérables par la mise en place de stratégies de régulation minimisant ainsi la pression temporelle :

 Lorsqu’elles ont des tournées chargées, les infirmières préviennent les patients la veille et s’appuient sur le collectif comme en témoignent les propos recueillis en entretiens ; IDE1 : « On prévient les patients. Celui qui n’est pas content, il le dit la veille mais on ne se fait pas engueuler quand on arrive. On est donc plus détendue. C’est ce qui nous fait stresser que le patient nous

fasse des remarques. » ; IDE2 : « On prévient les patients aussi. Au moins, ça évite les incompréhensions du patient et de la famille. ».

 Elles mettent également en place des binômes de travail infirmières/aide soignants afin de réduire la durée des soins de nursing et s’entraident entre zones ; IDE2 : « on va s’entraider avec les autres zones si on est trop chargées. » ; « Au niveau de l’organisation de la tournée, on peut découper les soins entre nursing et soins techniques, si les AS [Aide Soignants] sont plus nombreux pour que nous on passe moins de temps chez les patients. » ; IDE4 : « On sait que s’il y a un souci, on peut réorganiser la tournée, reprendre ou donner des patients. On se le dit : s’il y a un souci, on s’appelle.».

 Elles optimisent aussi les durées des trajets ; IDE4 : « On essaye aussi de sectoriser au maximum pour raccourcir le temps de route. ». Bien que l’effet ne soit pas significatif, les données descriptives médianes vont dans ce sens (sous CT+, médiane : 4,3 km; sous CT-, médiane : 8,5 km).

De même, les 25 % des trajets dans lesquels les infirmières ont des contraintes temporelles faibles et ne se sentent pas pressées par le temps [CT-/PT-], semblent bien aller dans le même sens. Dans de tels cas, les infirmières n’ont que 3 ou 4 patients à prendre en charge dans leur tournée. Elles savent à l’avance qu’elles devraient terminer leur tournée plus tôt, ce qui leur laisse des marges de manœuvre en cas d’impondérables comme l’illustre, par exemple, ce propos :

IDE4 : « Si on perd du temps sur la route, on se dit que ce n’est pas grave, on aura tout de même le temps de faire nos soins correctement chez le patient. »

L’incertitude semble donc également être un déterminant important de l’émergence de la pression temporelle. On la retrouve en effet comme facteur déclenchant pour les trajets pour lesquels les infirmières rapportent une pression temporelle alors qu’elles ont des contraintes temporelles faibles. Par ailleurs, on note que lorsque les infirmières réussissent à anticiper de fortes contraintes temporelles et à mettre en place des stratégies d’ajustement, elles réussissent à minimiser les incertitudes. Dans ce cadre, la mise en place de stratégies de régulation pallierait les effets délétères de l’incertitude et diminuerait de ce fait la sensation d’être pressées par le temps en conduisant.