• Aucun résultat trouvé

Conséquences émotionnelles de la pression temporelle au volant et perception du

Chapitre 5 : la conduite automobile sous pression temporelle apports, synthèse et

III. Conséquences émotionnelles de la pression temporelle au volant et perception du

III.1 Conséquences émotionnelles de la pression temporelle au volant

O’Brien, Tay et Watson (2004) ont demandé à 166 conducteurs d’évaluer l’intensité de leur colère (de « pas du tout en colère » à « très en colère » ; échelle de Likert en 5 points) ainsi que la probabilité qu’ils émettent une réponse comportementale agressive dans 5 scénarios de conduite, décrits oralement par l’expérimentateur (ex. de scénario : à l’arrêt à un feu, le conducteur devant vous n’avance pas au feu vert puis le feu repasse une nouvelle fois au rouge et il faut attendre 3 mn encore.). La moitié des participants reçoivent une induction de pression temporelle ; ils sont invités à imaginer se rendre à une réunion très importante pour laquelle ils étaient potentiellement en retard. Les données de cette étude ont montré que, sous pression temporelle, les participants rapportaient ressentir plus de colère dans les situations de conduite décrite et ils estimaient plus grande la probabilité d’émettre un comportement agressif que les participants sans induction de pression temporelle.

Si un déficit temporel survient sur la route, en d’autres termes, si les évaluations cognitives et/ou les réévaluations sont défavorables par rapport à l’objectif d’arriver au point B à une heure donnée ou le plus vite possible, une réaction émotionnelle négative est supposée survenir, tout événement pouvant perturber l’atteinte de l’objectif étant évalué négativement (Lazarus & Folkman, 1984, Scherer, 2005). Le conducteur conclut de son évaluation qu’il n'a aucune possibilité de mettre en œuvre des stratégies d’adaptation et/ou que ses ressources sont dépassées. Les émotions ainsi induites peuvent vraisemblablement être de l’ordre de l’agressivité et de la colère envers les autres ou soi-même, de l’anxiété, de la frustration (d’être peut être si près du but) voire même du désespoir ou de la résignation si les issues défavorables sous pression temporelle deviennent récurrentes.

A cela s’ajoute le fait que la pression temporelle n’affectera pas les individus de la même manière (Rastegary & Landy, 1993). Elle peut être vécue comme un obstacle (émotion négative, contrôle externe). Il est concevable que de telles situations, surtout si elles se répètent, sont chargées négativement du point de vue émotionnel. Le risque sur le long terme est que l’individu sombre dans une sphère plus pathologique avec notamment l’apparition de

dépression majeure ou encore de burn-out et ce, notamment s’il dispose de schémas cognitifs dysfonctionnels14 ou s’il est fragilisé par d’autres événements. Nous n’aborderons pas ces cas extrêmes dans notre étude.

A l’inverse, la pression temporelle peut être vécue comme un challenge (émotions positives, contrôle interne). Dans ce cas, les modèles de l’évaluation cognitive prédisent l’émergence d’émotions positives. D’autres éléments de la littérature attestent également de la possibilité d’une sortie émotionnelle positive sous pression temporelle. Tout d’abord, la pression temporelle est socialement valorisée puisqu’elle est souvent synonyme de poste à responsabilité. En outre, selon le modèle de Karasek (1979), l’individu sous pression temporelle, en une situation professionnelle « active », développerait une satisfaction personnelle. À notre sens, la satisfaction est proche du sentiment d’auto-efficacité (Bandura, 1997) intrinsèquement lié au sens de l’activité et au contrôle que possède l’individu sur la situation. Dans le même ordre d’idées, en considérant le modèle de Siegrist (1996), la conduite sous pression temporelle pourrait ne pas être ressentie négativement si l’effort fourni par le conducteur est renforcé positivement par une importante sensation de contrôle sur son activité professionnelle. De plus, une relation en U inversé a été décrite entre la pression temporelle et le niveau de performance (Rastegary & Landy, 1993). Autrement dit, la performance serait optimisée si les caractéristiques de la tâche ainsi que la façon dont l’individu perçoit le temps disponible, le temps nécessaire et l’enjeu, induisent un niveau de pression temporelle modéré. Un effet motivationnel du but à atteindre dépendant de l’origine intrinsèque ou extrinsèque de la motivation peut expliquer ces effets. De plus, des explications psychophysiologiques ne sont pas exclues, notamment en référence à la théorie de l’activation (Lindsley, 1951) et à la loi de Yerkes et Dodson (1908) : la performance cognitive augmente en même temps que l’activation jusqu’à un point optimal d’activation au- delà duquel la performance diminue. La pression temporelle pourrait donc potentialiser l’activation, l’amenant parfois à coïncider avec un niveau optimal de performance. Ceci semble d’autant plus probable que la pression temporelle revêt un caractère chronique. L’habitude de conduire sous pression temporelle pourrait également amener l’individu à mettre en œuvre certains types de coping tels qu’un coping anticipatif ou proactif qui minimiseraient les effets émotionnels négatifs de la pression temporelle.

14

Le schéma cognitif (voir chapitre 2 ; III.2) devient dysfonctionnel lorsqu'il possède un caractère excessif, absolu et rigide, excessif et qu’il est en décalage par rapport aux normes d’un groupe de référence. Il est utilisé systématiquement par les processus cognitifs et est fortement lié aux événements aversifs mémorisés (pour une revue, cf Rusinek, 2006, 2007).

III.2 Hypothèses

Au total, nous posons l’hypothèse selon laquelle, si les émotions négatives peuvent

être associées à la pression temporelle, cette dernière induirait ou, au moins ne détériorait pas, les émotions positives.

En outre, nous avons vu que certains types ou traits de personnalité (colère-trait ; anxiété-trait et personnalité de type A) pouvaient disposer de sensibilités différentes à la pression temporelle. Nous posons comme hypothèse que, sous pression temporelle, ces

facteurs de personnalité moduleraient les réactions émotionnelles et les composantes comportementales.

De plus, l’impatience serait très associée à la pression temporelle au volant, notamment lorsque des événements routiers empêchent la progression du conducteur. Cette

impatience pourrait survenir plus précocement et plus intensément sous pression temporelle. La latence de l’impatience serait proportionnelle à la durée présumée de l’arrêt mais cette pondération pourrait être réduite sous pression temporelle. Certains

éléments de la littérature suggèrent que la pression temporelle réduit l’empathie. La conduite automobile est un environnement à la fois coopérant et compétitif. Le conducteur pressé

pourrait être moins empathique envers les autres conducteurs ou les autres usagers de voie publique, tels que les piétons. Cette baisse d’empathie pourrait survenir dans des situations de blocage routier induisant un sentiment d’impatience.

Cette hypothèse sera testée au sein de la question : « Quelles sont les conséquences de la pression temporelle au volant ? » (chapitre 9).

III.3 Pression temporelle, émotions et perception des durées et des

vitesses

III.3.1 Emotions et perception du temps

Les estimations de durées et la perception du temps tiendraient une place importante dans l’émergence de la pression temporelle. Néanmoins, la perception du temps est modulée par divers facteurs, notamment l’émotion. Plusieurs auteurs ont analysé le lien entre la perception du temps et l’émotion (voir Droit-Volet & Meck, 2007 ; Noulhiane, Mella, Samson, Ragot & Pouthas, 2007).

La majeure partie de ces études ont utilisé l’International Affective Picture System (IAPS; Lang, Bradley, & Cuthbert, 2008 pour une version récente) ou l’International

Affective Digitalized Sounds System (IADS; Bradley & Lang, 1999). L’IAPS est une banque d’images et l’IADS, une banque de sons ; les degrés de valence et d’activation des images et des sons ont été contrôles et validés. Par exemple, Angrilli, Cherubini, Paves et Manfredini (1997) ont utilisé 4 catégories d’images IAPS : des stimuli positifs possédant un degré faible ou élevé d’activation et des stimuli négatifs possédant un degré faible ou élevé d’activation. Soumis à une tâche d’estimation de durée, les participants étaient ainsi invités à estimer la durée de présentation des stimuli (2, 4 et 6 s). Ils devaient également reproduire la durée de présentation des stimuli. Les données suggèrent une interaction entre la valence et l’activation. Pour un degré élevé d’activation, les participants estiment la durée de présentation des stimuli déplaisants plus longue que celle des stimuli plaisants. Cet effet s’inverse pour des degrés d’activation faibles. Les auteurs concluent à l’existence de deux mécanismes émotionnels influençant la perception du temps. Le premier serait un mécanisme d’activation dirigée par l’émotion qui augmenterait le rythme des impulsions émises par le pacemaker, entraînant ainsi une surestimation des durées. Le second serait un mécanisme attentionnel induit par des stimuli à faible degré d’activation. L’attention serait ainsi détournée de la tâche temporelle entraînant des fermetures répétées de l’interrupteur et donc une sous-estimation des durées. En outre, les données ont mis en évidence une interaction entre le degré d’activation et la durée de présentation des stimuli. Pour une durée de 2 secondes, la durée des stimuli ayant un degré d’activation faible est sous-estimée par rapport à ceux possédant un degré élevé d’activation et ce, indépendamment de leur valence. L’effet s’inverse pour une durée de présentation de 6 secondes. Selon Angrilli et al. (1997), lorsque les durées à estimer sont courtes, le mécanisme activateur dirigé par l’émotion serait dominant alors que pour des durées plus longues, le mécanisme attentionnel dominerait. Pour rappel, peu d’études ont été réalisées sur la perception du temps en conduite automobile et notamment, la perception et l’anticipation des durées des événements routiers, importantes dans l’évaluation cognitive des situations.

III.3.2 Hypothèses : conséquences de la pression temporelle sur

l’estimation des vitesses et des durées

Certaines infrastructures routières et/ou conditions de trafic peuvent complexifier la conduite sous pression temporelle, ralentir la progression du conducteur ou occasionner des arrêts brefs (subjectivement) plus fréquents que l’avait estimés le conducteur. Dans leur grande majorité, il s’agit de situations prévues par les règles normales de fonctionnement du système (situation nominale), en l’occurrence le code de la route. C’est uniquement leur

fréquence, leur importance, voire simplement leur survenue, qui ne peuvent être prises en compte dans l’estimation du temps nécessaire et du temps disponible pour réaliser la tâche. Le conducteur doit aussi parfois faire face à des situations plus incidentelles (conditions inhabituelles de fonctionnement d’un système et/ou non prévues), susceptibles de constituer d’autres sources de retard. La plus typique de toutes est sûrement l’embouteillage entraînant une immobilisation au mieux de courte durée. Si aucune alternative ne permet de palier rapidement à cette immobilisation (aucune stratégie de réajustement possible), c’est l’atteinte de l’objectif qui va devoir être reconsidéré. Une erreur d’itinéraire sera également qualifiée de situation incidentelle. Il faut aussi noter que, dans le langage courant, « incident » peut qualifier une difficulté qui survient soudainement sans avoir réellement pu être prévue (incertitude), entravant ainsi l’atteinte des objectifs.

Ainsi, toute source de retard peut avoir une valeur incidentelle et ce, d’autant plus que le fonctionnement supposé normal n’a pas intégré diverses causes de ralentissement. L’importance et/ou la gravité, principalement subjectives, de la situation incidentelle peuvent alors être renforcée par le fait que la pression temporelle biaiserait les estimations de durées de ces situations. Nous pouvons aussi nous demander si un tel biais d’estimation n’affecterait pas aussi des situations non incidentelles. Ainsi, nous émettons l’hypothèse que sous

pression temporelle, le conducteur estimerait les situations entravant l’atteinte de son objectif dans le temps imparti comme plus longues, traduisant une accélération de l’horloge interne. De plus, si, effectivement le conducteur pressé adopte une vitesse plus

élevée, il estimerait plus faible la vitesse des autres véhicules, catégorisés comme des événements incidentels puisque pouvant potentiellement perturber l’atteinte de leur objectif.

Ces effets pourraient donc être modulés à la fois par la perception du temps, et notamment l’influence de la pression temporelle sur le fonctionnement de l’horloge interne, mais aussi par les ressentis émotionnels induits d’une part par la pression temporelle et d’autre part, par les caractéristiques de la situation incidentelle, au moins perçue comme telle.

Ces hypothèses seront abordées au sein de la troisième question de recherche : « Quelles sont les conséquences de la pression temporelle au volant ? » (chapitre 9).