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Chapitre 3 : Le temps, moteur de l’activité 47

II. La perception du temps 52

II.2 Modèles de la perception du temps 52

II.2.1 L’horloge interne

La référence à une horloge interne dans les modèles de la perception du temps n’est pas récente. François (1927) évoquait déjà l’implication d’un mécanisme psychophysiologique sous tendant la perception du temps. Un peu plus tard, Hoagland (1933) reprenait les travaux de François et concluait également à une origine physiologique,

observant lui aussi que le temps passe plus vite sous l’effet de l’augmentation de la température corporelle. Depuis, ces résultats ont été corroborés par d’autres études (ex. Wearden & Penton-Voak, 1995).

En 1963, Treisman reprend l’idée de l’horloge interne. Il propose que l’horloge interne soit composée d’un pacemaker qui émet des impulsions en continu, d’un compteur (ou accumulateur) et d’un interrupteur. Le pacemaker produirait des impulsions (ou « tics ») de façon régulière (Treisman, 1963). Toutefois, les modèles plus récents admettent une distribution des impulsions suivant une loi de Poisson (Gibbon, 1977), soit une distribution aléatoire mais à taux constant. Lorsqu’un stimulus est présenté, l’interrupteur qui relie le pacemaker et le compteur se ferme (début de la durée de présentation du stimulus), permettant aux impulsions émises par le pacemaker d’être récupérées par le compteur. Lorsque le stimulus s’arrête ou disparaît, l’interrupteur s’ouvre, interrompant ainsi l’incrémentation du compteur. La durée subjective dépend du nombre d’impulsions emmagasinées par le compteur (Treisman 1963 ; Figure 4). En outre, comme le pacemaker produit des impulsions à un taux constant, le modèle prédit que ces dernières s’accumulent de manière linéaire en fonction du temps réel. Wearden et McShane (1988) ont confirmé ces prédictions bien qu’une tendance à la surestimation des durées courtes et à la sous-estimation des durées longues soit observée.

Figure 4 : modèle de l’horloge interne de Treisman (1963)

Des variations du temps subjectif par rapport au temps objectif sont souvent retrouvées dans les études et dépendent des composants de l’horloge interne impliqués dans le protocole expérimental utilisé. Par exemple, Penney, Gibbon et Meck (2000) montrent que la durée des stimuli auditifs est jugée plus longue que celle des stimuli visuels. Les auteurs expliquent cette différence de jugement temporel par le fait que les deux modalités

sensorielles entraînent une vitesse différente du pacemaker liée à une activation spécifique. D’autres études ont conclu que l’administration de méthamphétamine (une molécule synthétique psycho-stimulante) chez l’animal accélère le rythme de l’horloge interne (Maricq, Roberts & Church, 1981) alors que l’injection d’halopéridol (molécule antipsychotique, psycho-inhibiteur bloquant la dopamine dans le cerveau) la ralentit (Meck, 1983). Nombre d’études a ainsi montré qu’une augmentation du niveau d’éveil entraîne systématiquement une surestimation temporelle (voir par exemple, Droit-Volet & Wearden, 2002).

Des variations peuvent aussi être imputables au fonctionnement de l’interrupteur. Une période de latence est possible entre le début de la durée d’un stimulus et l’ouverture de l’interrupteur mais aussi entre la fin de la présentation du stimulus et la fermeture de l’interrupteur, introduisant de la variance dans le nombre d’impulsions comptabilisées. En outre, une variabilité existe également d’un essai à un autre et serait liée à des effets attentionnels (Meck, 1984). Lorsque l’attention fluctue d’un élément temporel à un élément non temporel, une alternance entre l’ouverture et la fermeture de l’interrupteur s’opère (Zakay, 1989). En d’autres termes, plus l’individu alloue de ressources attentionnelles à une durée, plus l’interrupteur reste fermé et donc plus d’impulsions sont comptabilisées. La durée subjective est ainsi jugée plus longue. Block et Zakay (1996) estiment que le fonctionnement en tout ou rien de l’interrupteur ne rend pas assez compte de la complexité des processus attentionnels. Ces auteurs proposent ainsi l’existence d’une porte attentionnelle qui modulerait le nombre d’impulsions suivant le niveau d’attention porté à la durée. La porte attentionnelle entraînerait elle aussi une part de variance dans le temps subjectif. Plusieurs modes de fonctionnement de l’interrupteur seraient toutefois suffisants pour expliquer les effets de l’attention sur la perception du temps (Lejeune, 1998).

II.2.2 La théorie du temps scalaire

La théorie du temps scalaire vise à compléter la théorie de l’horloge interne qui ne rend pas compte de l’ensemble du fonctionnement de la perception du temps, critique déjà formulée par Treisman (1963). L’individu peut, en effet, utiliser des connaissances générales ou encore des caractéristiques non temporelles des événements pour formuler un jugement temporel

Selon cette théorie (voir Gibbon, Church, Meck, 1984 ; Wearden, 1991 ; Gautier & Droit-Volet, 2002 ; Figure 5), le jugement temporel est « considéré comme le fruit de tout un système de traitement de l’information composé de différents modules en interconnexion » (Droit-Volet & Wearden, 2002, p 629).

Le premier niveau est celui de l’horloge interne, présentée ci-dessus.

Le second niveau comprend des mécanismes de stockage des représentations de durées à court terme (mémoire de travail) et/ou à long terme (mémoire de référence).

Le dernier niveau correspond à un processus de comparaison ou de décision. Un seuil de décision existerait : si la différence entre deux durées est supérieure au seuil alors l’individu juge ces durées différentes, ce qui n’est pas le cas si la différence est inférieure au seuil.

Les trois niveaux de traitement de l’information, soit l’horloge, la mémoire et la décision, influencent le jugement temporel final. Par conséquent, le jugement temporel est variable et il peut être différent pour des événements ou des durées de présentation de stimuli identiques ou au moins similaires. La variance ainsi obtenue est qualifiée de scalaire ; l’écart type des jugements temporels est une fraction constante de la moyenne et le coefficient de variance reste ainsi constant même lorsque la durée varie (loi de Weber). La variance scalaire a été mise en évidence chez l’animal, chez l’être humain, adulte ou enfant (Gibbon, 1977 ; Wearden & McShane, 1988 ; Droit-Volet & Wearden, 2002). Toutefois, l’origine de cette variance scalaire est un sujet de controverse.

Figure 5 : modèle de traitement de l’information temporelle (Gibbon, Church & Meck, 1984)

Quelques auteurs (ex. Lewis & Miall, 2006 ; Karmarkar & Buonomano, 2007) ont avancé plusieurs critiques concernant ce modèle, la principale étant qu’il manque de

vraisemblance neurobiologique. Ainsi, Matell et Meck (2004) proposent un modèle alternatif basé sur l’existence d’oscillateurs neuronaux, présents dans l’ensemble du cerveau et qui rendraient compte d’une horloge plus diffuse. La théorie du temps scalaire reste, toutefois, la plus documentée.

II.3 Protocoles expérimentaux pour l’étude de la perception du temps et