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PRESOMPTION D'EXISTENCE D'UN CONTRAT DE TRAVAIL

DU CONTRAT DE TRAVAIL

III. PRESOMPTION D'EXISTENCE D'UN CONTRAT DE TRAVAIL

(ART. 320, al. 2 CO)

54. Prestations de travail entre époux; présomption de l'art. 320 al. 2 CO;

nature de cette présomption (TF, rr, 10.11.1983; SJ 1984, p. 432).

Le 3 septembre 1962, T. acceptait les fonctions d'administratrice d'E.

S.A. à Genève, dont M. son mari est l'actionnaire unique. Il était expres-sément prévu que son activité serait gratuite. T. a géré six immeubles, comptant environ cent locataires. Elle aidait M. dans l'administration de la société, recevait d~s locataires, donnait des ordres, faisait des tra-vaux de secrétariat et répondait au téléphone. Elle a tenu les livres

auxi-iaires et, pendant un an, les comptes de chauffage. L'importance de son activité peut être mesurée par le fait que lorsqu'elle a quillé son mari, ce-lui-ci a dû engager pour la remplacer une personne consacrant un mi-temps à E. S.A. T. et M. ont divorcé. T. agit contre E. S.A. en paiement d'un salaire pour l'activité déployée à son service.

E. S.A. se prévaut de l'engagement pris par T. en 1962 de fournir son activité à titre bénévole. Cependant, la jurisprudence considère que les actes juridiques peuvent avoir une portée restreinte, compte tenu des cir-constances dans lesquelles ils sont intervenus et du but auquel ils de-vaient tendre, même si une telle limitation n'a pas été manifestée expres-sément. Il en est ainsi d'engagements, notamment de renonciations, as-sumés dans la perspective d'une union conjugale non dissoute par le divorce, de la reprise d'un commerce ou de la poursuite satisfaisante de relations de travail. Ici, il est patent que la renonciation de T. avait comme seul motif, reconnaissable pour M. et pour E. S.A., les relations de mariage et le souci de contribuer à la prospérité de l'union conjugale, avec les avantages que l'épouse pouvait en attendre dans l'avenir. La re-nonciation exprimée en 1963 ne saurait donc constituer un obstacle, en soi, à l'admission de la demande.

T. fonde sa prétention sur la présomption de l'art. 320 al. 2 CO. Or, se-lon une jurisprudence bien établie, la femme qui collabore à l'activité professionnelle de son mari ne peut, en principe, être mise au bénéfice de celle disposition; intéressée à la prospérité commune et légalement tenue de l'assurer (art. 161 CC), elle n'a, en effet, pas d'intérêt légitime à obtenir une rétribution spéciale en vertu du droit du travail pour une ac-tivité prise en considération par le droit de la famille et le droit des suc-cessions. Il se justifie cependant de déroger à cette règle lorsque les cir-constances particulières appellent une solution différente. L'art. 320 al. 2 CO permet ainsi d'apporter, en équité, un tempérament à la rigueur de

55 CONTRAT DE TRAVAIL . 42 la situation de celui qui n'a pas réclamé de salaire parce qu'il comptait être rétribué ultérieurement d'une autre manière et qui voit déçue cette attente légitime à la suite d'un événement imprévu. Les parties ne contestent point, à juste titre, que ces principes doivent également s'ap-pliquer à l'activité de l'épouse déployée, sans contrat de travail et béné-volement, en faveur d'une société dont son conjoint est l'actionnaire UnIque.

T. a, pendant cinq ans, déployé pour son mari et E. S.A. une activité correspondant au travail d'une secrétaire rémunèrée à raison de Fr. 1200 par mois. La Cour cantonale a estimé que les deux tiers de ce travail ex-cédaient ce que l'on pouvait normalement attendre d'une épouse en pa-reille situation et, partant, qu'elle devait être rémunérée à raison de Fr. 800 par mois. Les circonstances particulières de la présente espèce justifient l'application de l'art. 320 al. 2 CO auX relations entre les par-ties. T. doit se voir allouer une indemnité en salaire fondée sur cette dis-position. L'application faite par l'autorité cantonale, qui se réfère à l'usage en vigueur à l'époque, apparaît fondée au regard de l'art. 322 al.

1 CO ; elle échappe à toute critique.

55, Prestations de travail fournies entre époux; pas de présomption d 'exis-tence d'un contrat de travail; réserve des cas exceptionnels; nature de la présomption de l'art. 320 al. 2 CO (TF, rr, 13.5.1969; ATF 95 II 255 = SJ 1970, p. 145).

En principe, la femme qui collabore à,l'activité professionnelle de son mari ne bénéficie pas de la présomption de l'art. 320 al. 2 CO. Toutefois, des circonstances particulières peuvent justifier une exception. Ainsi en va-t-i1 dans le cas d'une femme travaillant à plein temps pour une socié-té en nom collectif dont son mari était l'un des associés et le père de ce-lui-ci l'autre associé en cas de prédécès du premier. Dès que les condi-tions de l'art. 320 al. 2 CO sont réunies, la cause du travail fourni est présumée être le contrat de travail, et non un autre rapport de droit. La volonté intime des\parties n'est pas déterminante, Cette règle permet d'apporter en équité un tempérament à la rigueur de la situation dans la-quelle se trouve celui qUI n'a pas réclamé un salaire parce qu'il comptait être rétribué ultérieurement d'une autre manière et qui voit déçue cette attente légitime à la suite d'un événement imprévu.

56. Présomption d'existence d'un contrat de travail; concubins (CM, 29.12.1976).

E., né en 1896, est devenu veuf en 1952. En 1960, il a demandé à T., née en 1908, de venir tenir son ménage. Il a alors vendu une partie de son mobilier et le lit double de T. a été utilisé par les intéressés; cepen-dant, il arrivait à T. de passer la nuit dans une pièce voisine. T. s'est fait appeler « belle-mère» par les enfants d'E.: elle tutoyait ce dernier et l'accompagnait dans ses visites et en vacances. Elle a d'ailleurs rempli parfaitement son rôle de ménagère et a soigné E. d'une façon exem-plaire. En 1966, E. avait proposé de l'épouser; elle s'y est refusée pour ne pas perdre sa rente de veuve. Le fils de T. vivait également chez E. De

43 PRÉSOMPTION D'EXISTENCE 58 1960 à 1969, il a été payé à la Caisse cantonale de compensation des co-tisations AVS sur la base d'un salaire mensuel forfaitaire d'une fois et demie la valeur de la nourriture de T. Lorsqu'E. est décédé le 19 mars 1972, la couronne mortuaire portait notamment la mention « à notre cher époux ». En 1973, T. a réclamé aux héritiers d'E. le paiement d'un salaire pour son activité au service du défunt.

C'est à tort que T. entend être traitée comme ayant été la gouvernante (employée) d'E. Tout dans le comportement des intéressés démontre que tant E. que T. ont voulu vivre ensemble les dernières années de leur vie, sans que pour autant T. accepte de devenir la compagne légitime d'E. La vie commune, les sorties communes, le tutoiement, les vacances passées ensemble, le comportement de T. au moment du décès et celui de la fa-mille d'E. envers T. démontrent que celle-ci ne saurait être considérée comme une simple salariée.

Lorsqu'un concubin fournit du travail dans l'entreprise de son com-pagnon, on ne se trouve pas en présence de circonstances permettant de croire à l'existence tacite d'un contrat de travail; dans ce cas, le droit à un salaire ne peut être présumé (SJ 1962, p. 23). A plus forte raison doit-on être circdoit-onspect lorsqu'il s'agit simplement de l'activité d'une per-sonne déployée dans le ménage d'une autre. Certes, il peut arriver qu'une gouvernante ne réclame pas immédiatement un salaire parce qu'elle compte être rétribuée ultérieurement d'une autre manière et qu'elle soit subitement déçue dans cette attente légitime à la suite d'un événement imprévu (SJ 1970, p. 145). Mais la situation, ici, est diffé-rente. Il faut donc nier l'existence d'un contrat de travail entre les inté-ressés.

57. Présomption d'existence d'un contrat de travail; gouvernante; salaire (CA, XII, 1.5.1964).

E. a fait paraître une annonce ainsi libellée: «Dame seule, veuve ou autre, cherchée par monsieur seul et aisé pour l'entretien de son ménage.

Belle chambre à disposition ... ». Cette annonce ne laisse en rien suppo-ser qu'E. cherchait une gouvernante qu'il ne paierait pas, puisqu'au contraire il y est question de l'entretien du ménage, ce qui sous-entend une rémunération, d'autant plus qu'E. se qualifie lui-même dans l'an-nonce comme étant aisé. Au surplus, il serait tout à fait insolite qu'un homme seul et aisé reçoive les soins d'une personne sans la rémunérer.

Actuellement un gage de Fr. 250 par mois paraît équitable et correspond au travail exigé de T.

58. Présomption d'existence d'un contrat de travail; dame de compagnie;

fixation du salaire (CA, XII, 1.10.1970).

T. a été pendant de longues années dame de compagnie d'E. Cette dernière lui faisait irrégulièrement des versements modiques. Au décès d'E., T. qui, contrairement à ses espérances, n'avait pas été couchée sur son testament par la défunte, réclame un salaire.

Eu égard à l'âge et à l'état de santé d'E., celle-ci requérait non seule-ment une présence effective et amicale, mais égaleseule-ment des soins et des

59 CONTRAT DE TRAVAIL 44 sorties durant lesquels une compagnie était nécessaire. E. elle-même n'a pas considéré que cette activité de T. devait se faire gratuitement. En ef-Cet, elle a consenti divers dons, dont le montant ne peut pas être déter-miné avec précision. D'autre part, il est évident qu'E. a eu l'intention, en tout cas à un moment donné, de léguer à T. une partie de ses biens et de l'indemniser ainsi pour les services rendus. Ces circonstances, qui s'ex-pliquent parfaitement eu égard à l'âge d'E. et à la modicité apparente de ses ressources, à la durée et à la nature des liens amicaux entre les deux intéressées, n'impliquent aucunement l'inexistence d'une obligation juri-dique de rétribution, ni même la renonciation tacite de T. à une rémuné-ration proprement dite: selon la jurisprudence, la nature des services rendus entraîne la présomption irréfragable de l'existence d'un contrat de travail et, partant, de l'obligation de rémunérer ces services (ATF 95 Il 131, c. 4). Il importe dès lors peu que, en raison des circonstances, T.

n'ait pas eCCectivement réclamé à E. de son vivant les montants auxquels elle pouvait prétendre. L'inaction de T. ne peut être sanctionnée que par la prescription (art. 128, ch. 3 CO), étant observé que T. n'ayant pas Cait ménage commun avec E., l'exception prévue à l'art. 134, ch. 4 CO n'en-tre pas en ligne de compte.

En l'absence d'indices probants concernant la durée exacte des pres-tations Cournies par T. comme dame de compagnie, il y a lieu de prendre en considération, sur la base du dossier et des déclarations des témoins, trois après-midi par semaine. Aucun salaire n'ayant été conventionnelle-ment fixé, on peut admettre une rémunération de Fr. 15 par heure, qui constitue une moyenne conforme aux nOlmes appliquées dans cette pro-fession pendant la période litigieuse.

59. Présomption d'existence d'un contrat de travail .. épouse d'un travail-leur assistant et remplaçant ce dernier (CA, X, 26.9.1969).

X. était le gérant d'un magasin de l'entreprise E. T., sa femme, l'assis-tait dans son travail, Elle l'aidait trois jours par semaine et le remplaçait pendant les vacance~. E. le· savait parCaitement. En tout cas, durant les vacances de son mari, T, .. assumait avec l'accord d'E. la responsabilité du commerce.

"-li apparaît dès lors incontestable qu'un lien juridique a existé entre T.

et E.; tacitement, la première a été l'employée du second. T. a donc droit à une rémunération fixée, en équité, à Fr. 35 par jour.

60. Présomption d'existence d'un contrat de travail .. faute précontrac-tuelle?(CA, V, 20.9.1968).

E. envisageait la création d'un salon de beauté. Il s'est mis en rapport avec T., qu'il projetait d'engager en qualité d'esthéticienne. Plusieurs en-tretiens ont eu lieu, sans qu'E. ait jamais manifesté l'intention ferme de prendre T. à son service. T., d'ailleurs, d'après les circonstances, devait se rendre compte que la possibilité d'un engagement demeurait incer-taine. Toutefois, elle a effectué quelques travaux pour E. ; elle a étudié et établi une liste de prix de produits de beauté et s'est entourée, dans l'in-térêt d'E., de divers renseignements dont il avait besoin pour dresser le

45 SOURCES 62 budget du commerce envisagé. T. réclame une indemnité; elle prétend qu'E. a commis une faute précontractuelle à son égard.

Vu les circonstances, T. ne pouvait, de bonne foi, tenir pour certain son engagement par E. E. n'a pas, par des tergiversations, tenté de main-tenir chez T. la conviction que le salon de beauté allait se créer (malgré les difficultés financières); il ne l'a pas incitée ainsi à renoncer à un autre emploi. Tout au plus pourrait-on considérer qu'il s'est agi d'un contrat de travail dont les effets se trouvaient subordonnés à une condi-tion (l'ouverture du commerce) qui ne s'est pas accomplie; on ne saurait d'ailleurs prétendre qu'E. aurait empêché l'avènement de cette condition au mépris des règles de la bonne foi (art. 156 CO). Toutefois, T. a rendu certains services à E., lequel ne pouvait supposer qu'ils l'étaient à titre gratuit. T. ayant consacré du temps à E. pour ces diverses démarches, il s'impose de condamner E. à les rémunérer.

IV. SOURCES

61. Convention internationale; application directe par le juge; caractère impératif; compétence des prud·hommes (CM, 18.11.1969).

Selon le protocole final de la convention italo-suisse relative à la sécu-rité sociale, du 14 décembre 1962, l'employeur doit assurer ses salariés italiens en cas de maladie (frais médicaux et pharmaceutiques). Il s'agit là, par l'effet d'un traité international, d'une disposition de droit public suisse, qui impose une obligation aux employeurs dans le cadre des contrats de travail qu'ils concluent avec des Italiens. Cette disposition est analogue à toute autre règle impérative de droit civil qui a pour effet de compléter ou d'invalider les clauses d'un contrat privé de travail. A ce titre, elle fait partie intégrante de ce dernier. La contestation relative à sa violation ou à son observation, concernant les rapports découlant d'un contrat de travail, relève de la compétence de la juridiction des prud'hommes. On pourrait éventuellement considérer que la violation, par l'employeur, de l'obligation lui incombant à teneur de la convention italo-suisse constitue un acte illicite. Mais cet aspect n'est que secon-daire, vu le lien contractuel.

62. Recommandation de l'office cantonal de conciliation; portée; indem-nité de licenciement; arbitrage (CA, VIII, 16.9.1980).

A la suite de la décision prise par la direction du Grand-Théâtre de re-nouveler le ballet, à l'occasion de l'arrivée d'un nouveau maître du bal-let, les danseurs du Grand-Théâtre se sont mis en grève. Devant cette si-tuation particulièrement tendue, l'Office cantonal de conciliation a convoqué les parties, puis formulé une recommandation, aux termes de laquelle la direction du Grand-Théâtre devrait faciliter la réinsertion professionnelle des salariés qui perdraient leur place dans le ballet. Sur

63 CONTRAT DE TRAVAil 46 ce, le corps de ballet à cessé sa grève. La direction du Grand-Théâtre dé-clare avoir cherché des solutions pour replacer quatre artistes qui ont perdu leur emploi à la suite du renouvellement du ballet. Elle indique que la commission municipale des beaux-arts ne s'est pas montrée favo-rable au versement d'une indemnité pécuniaire, bien que le syndicat ait fait des propositions concrètes dans ce sens, en tenant compte du nom-bre des années de service. Les quatres danseurs licenciés se sont opposés à leur licenciement. Ils se fondent sur la recommandation de l'Office pour réclamer une indemnité.

Selon le règlement de l'Office cantonal de conciliation, cet organe est notamment chargé de prévenir et concilier les différends et, le cas échéant, de trancher les litiges par une sentence arbitrale. Toutefois, l'Office n'intervient comme arbitre que si les parties, par un accord spé-cial, l'en chargent. Ici, il ne fait pas de doute que l'Office n'a dressé que des recommandations. Il n'a pas été constitué en tribunal arbitral. Les parties présentes ne pouvaient ignorer ce fait. Elles n'ont en effet pas pris l'initiative ou le risque de solliciter l'arbitrage de l'Office. Dès lors, les recommandations de ce dernier ne peuvent avoir une force contrai-gnante. Elles ne sauraient être assimilées à un jugement ou à une sen-tence. De toute façon, ladite recommandation ne tend qu'à faciliter la réinsertion professionnelle des artistes. Elle n'impose aucunement le versement d'une indemnité de licenciement.