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La participation d’Alcibiade à l’expédition de Sicile est brève. Il quitte Athènes au milieu de l’été avec la flotte athénienne et les alliés encore présents à Athènes. Cette flotte rejoint la plupart des alliés, l’armement et les troupes logistiques déjà regroupés à Corcyre. Dans son récit du voyage vers la Sicile, Thucydide décrit tour à tour la situation des deux camps. Ces événements se produisent entre le départ d’Alcibiade et l’arrivée de la Salaminienne en Sicile. Ils sont donc contemporains de la partie de l’affaire de la parodie et de la mutilation qui a lieu après le départ de la flotte.

Une nouvelle antilogie83, à trois voix (Hermocrate, Athénagoras et un stratège

syracusain), décrit la situation des Syracusains. Sa conclusion est opposée à celle de l’antilogie athénienne. Alors que deux partis s’affrontent, Hermocrate84 en faveur des

préparatifs contre les Athéniens et Athénagoras85 opposé à ces derniers, l’intervention

d’un troisième homme86 clôt les débats par une mesure sage : les Syracusains prendront

toutes les dispositions pour la guerre, de cette manière ils seront prêts en cas d’attaque. Thucydide revient ensuite sur les Athéniens qui s’apprêtent à traverser le golfe d’Ionie. Pour l’heure, rien ne vient perturber les projets athéniens, même si l’importance des effectifs entraîne rapidement des difficultés dans l’approvisionnement. Pour remédier à cela, chaque stratège prend le commandement d’un tiers du corps expéditionnaire, tandis que trois navires sont dépêchés pour établir la liste des cités qui ouvriront leurs portes tout le long de la route de la Sicile, puis sur l’île même. Si la traversée se fait en bon ordre, l’arrivée dans la péninsule italique est moins heureuse. Aucune cité n’autorise l’approvisionnement en vivres, n’offrant que l’aiguade et le mouillage. Deux cités, Tarente et Locres, refusent l’approvisionnement en eau et l’ancrage. La décision de Locres n’est pas surprenante, la cité ayant combattu du côté des Syracusains lors de la première expédition. Le choix des Rhégiens de n’ouvrir qu’un marché à l’extérieur de la ville est plus inattendu. D’autant plus que la raison invoquée est de se conformer « aux décisions prises en commun par les autres Grecs d’Italie »87. Alors que les Athéniens

stationnent sur le territoire de Rhégion, ces premières difficultés ne remettent pas en cause l’expédition, mais la question de son financement se pose en des termes plus précis. Pendant que les Athéniens attendent le retour des éclaireurs partis à Ségeste pour vérifier l’existence des sommes promises, les préparatifs syracusains s’intensifient dans la cité, mais aussi à l’extérieur par l’envoi d’ambassades auprès des Grecs et des Barbares de l’île. Le retour des trois navires partis en éclaireurs à Ségeste porte un premier coup au moral des Athéniens, aux soldats comme aux trois stratèges. Il appert que les Ségestains ne disposent plus que de trente talents88 à donner aux Athéniens. La première surprise

passée, la vague de mécontentement89 qui s’installe dans l’armée semble avoir fait se

83 VI, 32, 3 à 41. 84 VI, 33-34. 85 VI, 36-40. 86 VI, 41, 2-4. 87 VI, 44, 3.

88 Les Ségestains ont déjà fourni 60 talents d’argent non monnayé qui correspondaient à la solde pour un mois des 60 navires initialement prévus. Mais il s’agissait là d’un premier acompte pour l’expédition. Voir VI, 8, 1-2.

89 Les cibles de ce mécontentement sont les Athéniens qui, envoyés en Sicile au printemps, étaient intervenus au moment des débats pour défendre la capacité financière de Ségeste à

poser sérieusement la question du devenir du corps expéditionnaire en Sicile. C’est en tout cas une nouvelle occasion pour Nicias de remettre en question l’expédition. Les trois stratèges tiennent un conseil et décident de conserve la conduite à tenir. Thucydide rapporte à tour de rôle les positions défendues par chacun. Nicias, parlant le premier, propose de circonscrire l’expédition au règlement du conflit qui oppose Ségeste et Sélinonte. Pour cela, il préconise de mettre en demeure les Ségestains de payer l’entretien de soixante navires. Une fois le conflit territorial réglé, le reste de l’expédition devient une parade militaire, suivie d’un prompt retour à Athènes. Pour lui, toute action est conditionnée par l’obtention préalable de fonds et l’absence de danger pour les Athéniens90. Lamachos, parlant le dernier, préconise une action vive et immédiate

contre Syracuse. L’objectif serait soit d’investir la ville, soit de prendre fermement position devant elle. Ainsi, les Siciliens viendraient plus aisément du côté des Athéniens. En outre, il recommande, une fois les troupes débarquées, d’établir la flotte à Mégare, position proche de Syracuse, mais déserte et sûre. Pour lui, la question économique ne se pose pas en tant que telle, puisqu’elle sera résolue par le ralliement des Siciliens dans le camp des Athéniens. Alcibiade, prenant la parole après Nicias, exclut toute inaction91.

Contre Nicias, il maintient la nécessité d’agir, mais son plan est plus lent que celui de Lamachos. Avant toute action, il est primordial d’éclaircir la situation tant vis-à-vis des Grecs que des Sikèles. Pour lui, il est nécessaire de remédier à l’isolement des Athéniens en s’assurant des alliés qui fourniront des troupes et l’approvisionnement nécessaire. Mais avant même d’en arriver là, il faut s’établir à Messine qui fournira un port et une προσβολή92. L’objectif reste inchangé, et la détermination inaltérée.

À l’issue du conseil, Lamachos se rallie à Alcibiade qui devient le principal stratège jusqu’à son départ. Les premières opérations portent toutes sa marque. Il obtient tout d’abord l’ouverture d’un marché à l’extérieur de la ville de Messine. Puis, avec ses deux collègues, il envoie soixante navires à Naxos. De là, une mission d’observation est menée contre Syracuse. C’est encore lui qui permet la prise de Catane, tout en évitant un siège. Pendant ces premières opérations, chaque camp possède des informateurs et des soutiens dans celui de son adversaire. Ainsi, Alcibiade est en contact avec des gens de Messine. De son côté, le camp syracusain pratique la désinformation comme l’épisode rapporté au subvenir aux besoins de l’expédition. Comme nous l’avons dit, il est probable qu’aucun des trois stratèges n’en faisait partie.

90 En mettant autant de conditions préalables à toute action, Nicias ne propose rien de moins qu’un retour à Athènes.

91 Le reproche fait ici à Nicias poursuit celui fait au moment de l’antilogie, voir infra p. 312-315

chap. 7.

92 Voir VI, 48. Pour notre étude du conseil des trois stratèges et du rôle du détroit de Messine dans les deux expéditions athéniennes en Sicile, voir infra p. 351-366 chap. 8.

chapitre 52 l’atteste93. Toutefois, il faut souligner le caractère bicéphale de l’expédition.

La stratégie commune des Athéniens, et ses premiers résultats, ne tient qu’à l’adhésion de Lamachos au programme d’Alcibiade ; tandis que le camp des Syracusains s’unit.

Sources alternatives Diodore de Sicile, XIII, 3-4.

Justin, Histoire universelle, IV, 4 : Seule la prise de Catane est mentionnée.

Plutarque, Vie d’Alcibiade, 20, 2-3 : Le conseil des trois stratèges est mentionné, puis la prise

de Catane.

—, Vie de Nicias, 20-21 : Le conseil des trois stratèges est davantage détaillé que dans la Vie

d’Alcibiade, mais cette fois la prise de Catane n’est pas signalée. En revanche, Plutarque décrit

un combat devant Syracuse.