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2. Les faits présents dans les autres sources et absents chez Thucydide

2.1. Avant l’été

Nous l’avons dit, mis à part la tentative de restaurer la proxénie, Thucydide ne dit rien concernant des faits antérieurs à 420. C’est à l’historien moderne d’évaluer les pertes en cherchant ces renseignements chez d’autres auteurs du corpus. Nous relevons trois points à mettre en avant pour cette période : l’enfance et la jeunesse, la première magistrature et les cercles socratiques.

2.1.1. De la naissance au citoyen-soldat

S’il ne nomme jamais explicitement le génos d’Alcibiade, Thucydide n’en signale pas

moins dès la première apparition le « renom de ses ancêtres »141. À quatre reprises, il

nomme son père selon la formulation habituelle142, et il indique de manière implicite

les Alcméonides143, sans indiquer la position exacte d’Alcibiade dans cette famille.

Ce faisant, il pointe là un lien familial entre Périclès et Alcibiade. Les autres sources sont plus directes et précisent qu’Alcibiade est un Eupatride du côté de son père et un Alcméonide du côté de sa mère. Néanmoins, ces sources ne donnent pas pour autant une vue claire de sa généalogie, entraînant ainsi des conséquences significatives144. Les

silences de Thucydide ne sont donc pas majeurs sur cet aspect.

Pour l’enfance et l’éducation145, le manque est également minime selon nous, dans

la mesure où il n’affecte pas notre connaissance du personnage adulte. Qu’Alcibiade, encore enfant, perde son père au combat ne fait certainement pas de lui un cas isolé de l’aristocratie athénienne du ve siècle. Qu’il soit placé sous la tutelle d’un ou de

plusieurs hommes de la famille non plus. Certes, l’un de ces hommes est Périclès, mais sans information précise sur la nature exacte et les implications d’une tutelle, il est impossible de déduire le degré de proximité et d’influence du tuteur sur son pupille. La relation entre Périclès et Alcibiade doit, en outre, être abordée avec prudence. Elle apparaît tout d’abord chez les auteurs socratiques qui l’inscrivent dans une démarche de justification des actes de Socrate par une réinterprétation du personnage

141 V, 43, 2.

142 Voir V, 43, 2 ; 52, 2 ; VI, 8, 2 ; 15, 2.

143 V, 43 peut être mis en relation avec : I, 126-127 (à propos de la souillure des Alcméonides) ; VI, 53-60 (sur les tyrannoctones, et en particulier 59, 4) ; et VI, 89 (sur les liens entre sa famille et la démocratie).

144 Pour la synthèse des sources et le problème généalogique qu’elles véhiculent, voir notre synthèse prosopographique infra p. 128-138 chap. 2.

d’Alcibiade. Elle est ensuite utilisée par les sources qui contiennent un discours sur les responsabilités individuelles dans le déclenchement de la guerre du Péloponnèse146.

La perte nous semble plus importante à partir de la docimasie. Les premières campagnes

d’Alcibiade, en tant que simple soldat, sont celles du début de la guerre du Péloponnèse. Sa vie civique et militaire commence alors que la cité et son empire connaissent de profonds changements. Pour un jeune homme ambitieux et observateur, il est déjà plus probable que de participer à un siège comme celui de Potidée (de 432 à l’hiver 430/29)147 puisse influer sur son évolution future. Sa présence à la bataille de Délion

(en 424)148, qui s’inscrit dans une tactique qui tente de coordonner une double attaque

contre la Béotie, terrestre à Délion et maritime à Siphes, est également à relever selon nous. Toutefois, nous minorons de nous-même le constat que nous faisons ici. Si ce sont d’autres auteurs qui nous renseignent sur les débuts militaires d’Alcibiade, c’est bien le récit de Thucydide qui nous permet de les situer dans un contexte précis et par conséquent de faire des liens avec le stratège qu’il devient à compter de 419.

2.1.2. Première magistrature : la réévaluation du tribut de 425/4

Le Pseudo-Andocide149 rapporte une première magistrature dans une procédure

d’augmentation du tribut de la ligue de Délos. Nous lui consacrons plusieurs pages, de fait nous nous contentons ici de brèves remarques.

Cette augmentation est confirmée par l’épigraphie150. En revanche, la participation

d’Alcibiade à la réévaluation proposée par le décret de Thoudippos n’est pas toujours admise, encore aujourd’hui, et la datation même de cette procédure est parfois contestée. De notre côté, nous admettons la date de 425/4, c’est-à-dire l’année où Alcibiade tente de restaurer son rôle de proxène et combat à la bataille de Délion. Sa participation nous semble vraisemblable, et nous l’argumenterons dans le dernier chapitre de cette étude151.

2.1.3. Entourage et cercles socratiques

Le dernier manque de La Guerre du Péloponnèse à propos d’Alcibiade concerne son

entourage, et en particulier Socrate. Le philosophe est intégralement absent du texte 146 Sur Platon et Xénophon, voir infra p. 93-109 chap. 1 ; sur le discours postérieur à propos des

causes de la guerre, voir infra p. 277-290 chap. 6.

147 Plutarque, Vie d’Alcibiade, 7, 3-5.

148 Platon, Banquet, 221a-c ; Plutarque, Vie d’Alcibiade, 7, 6.

149 Voir Ps.-Andocide, Contre Alcibiade, 11.

150 IG I3 71.

de Thucydide, sans que cela soit étonnant. Socrate ne joue aucun rôle dans la conduite de la guerre, et il faut attendre la bataille des Arginuses pour avoir connaissance d’une intervention dans les affaires publiques. Néanmoins, Socrate, et les cercles socratiques, sont des données déterminantes pour aborder la construction littéraire d’Alcibiade. De ce milieu sortent Xénophon et Platon, deux auteurs dont les œuvres marquent durablement le corpus des sources et, pour Platon, la réception littéraire moderne. Plus âgés que ces deux derniers, plusieurs proches de Socrate sont des acteurs de l’oligarchie de 411 et de la tyrannie de 404, au premier rang desquels nous trouvons Critias, ou encore Charmide. Ici, comme dans le cas de la réévaluation du tribut, l’absence de données chez Thucydide porte davantage à conséquence pour l’historien moderne.