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Des affaires de second plan qui s’étalent sur quinze années

Conclusion partielle

2. Les sources proches

2.2. Les affaires judiciaires

2.2.1. Des affaires de second plan qui s’étalent sur quinze années

a. Lysias, Défense d’un anonyme accusé de corruption

En 403/402, Lysias écrit pour un citoyen resté anonyme une défense dans une affaire de corruption et de détournement des fonds publics57. Le discours contient

essentiellement des lieux communs. L’accusé rappelle les sommes dépensées pour la Cité à l’occasion de liturgies, son engagement sans faille dans les combats, et sa conduite privée irréprochable. La ligne de défense est habituelle, claire et simple  : « dans toute ma vie, privée et publique, j’ai toujours été, je pense, un bon citoyen,

55 Lysias, Discours II (CUF), p. 246.

56 Isocrate, Busiris, 5  : Σωκράτους δὲ κατηγορεῖν ἐπιχειρήσας, ὥσπερ ἐγκωμιάσαι βουλόμενος

Ἀλκιβιάδην ἔδωκας αὐτῷ μαθητὴν, ὃν ὑπ’ ἐκείνου μὲν οὐδεὶς ᾔσθετο παιδευόμενον, ὅτι δὲ πολὺ διήνεγκε τῶν Ἑλλήνων, ἅπαντες ἂν ὁμολογήσειαν. « Tu avais entrepris d’accuser Socrate ; et comme si tu voulais faire son éloge, tu lui as donné pour disciple Alcibiade dont nul n’a jamais vu qu’il ait fait l’éducation, mais qui du commun accord de tous était de beaucoup supérieur aux autres Grecs ». L’intention générale du Busiris est à signaler. Isocrate précise les règles de l’éloge et du blâme.

Dans le cadre d’un éloge, le devoir d’un orateur est de ne faire qu’un éloge au risque de déformer les faits. Il doit agir inversement dans le cas d’un blâme. Ainsi, Isocrate reproche à Polycrate un discours d’accusation dans lequel il se contredit. Selon Isocrate, Polycrate ne peut pas accuser Socrate et, en même temps, faire d’Alcibiade son disciple.

57 La corruption est clairement indiquée au § 21-22, le vol au préjudice de l’État est suggéré au § 16.

et je suis assez connu de vous pour n’avoir pas besoin de me justifier là-dessus »58.

Pour autant, le discours est particulièrement documenté, et son auteur fournit une liste précise des liturgies, sommes à l’appui pour chacune d’entre elles. Prononcé peu de temps après la défaite d’Aïgos-Potamos, ce discours éclaire le contexte judiciaire et économique des Athéniens. Avec franchise, l’accusé rappelle à ses juges les mesures partiales prises peu de temps auparavant par la justice athénienne. Présent à Aïgos- Potamos comme triérarque, il a ramené deux navires, le sien et celui d’un certain Nausimachos59. Or, selon lui, le désastre n’a pas été reproché aux stratèges mêmes, mais

bien aux triérarques60. À ce reproche, l’accusé ajoute une critique à propos de ceux qui

sont en charge des finances athéniennes. À l’heure où il parle, les revenus athéniens sont « médiocres » et, d’après lui, « pillés par ceux qui y sont préposés »61. Pour le

prévenu, il semble évident, ou il veut rendre évident, que son accusation est orchestrée par des magistrats qui détournent l’argent public à leur profit62.

L’identité de l’accusé reste inconnue. Il s’agit sans nul doute d’un Athénien fortuné. Nous ne savons rien de ses idées politiques. D’après ses dires, il a côtoyé la plupart des stratèges de la fin de la guerre du Péloponnèse, mais cette proximité n’était pas recherchée. Elle s’expliquait, d’après l’orateur, par ses qualités de triérarque reconnues par tous63. Alcibiade, rentré à Athènes et nommé stratègos autokratôr, choisit son navire.

Après lui, Thrasylle, Archestratès et enfin Erasinidès se succéderont à bord. Pour ce qui est d’Alcibiade, l’accusé précise : « J’aurais donné beaucoup pour ne pas l’avoir avec moi, et il n’était ni mon ami, ni mon parent, ni de ma tribu »64. La franchise générale

qui caractérise le reste des propos incline à penser que la déclaration est sincère, même s’il est probable que, dans le contexte où se tient le procès, peu d’Athéniens auraient pris le risque de revendiquer une amitié avec Alcibiade. L’accusé ne lui reconnaît pas de valeur particulière en tant que stratège, si ce n’est celle, par lien de cause à effet, d’avoir su reconnaître en lui le meilleur triérarque.

58 Lysias, Défense d’un anonyme, 18.

59 Selon Lysias (Défense d’un anonyme, 11), seuls douze navires sont rentrés à Athènes. Xénophon

(Helléniques, II, 29) en dénombre neuf : le vaisseau de Conon, sept navires et la Paralienne.

60 Lysias, Défense d’un anonyme, 9.

61 Lysias, Défense d’un anonyme, 13.

62 Lysias, Défense d’un anonyme, 14.

63 Lysias, Défense d’un anonyme, 6 : « pendant le temps que je fus triérarque, c’est mon vaisseau

qui était le mieux équipé de toute la flotte ». 64 Lysias, Défense d’un anonyme, 6.

b. Lysias, Sur les biens d’Aristophane défense contre le Trésor

Cette défense concerne une affaire postérieure à la guerre du Péloponnèse et sans rapport avec elle. Le procès se tient en 388 ou 387 av.  J.-C. et intervient après une première décision de justice antérieure de deux ou trois années. Aristophane et son père Nicophèmos avaient été condamnés à mort et à la confiscation de leurs biens. Toutefois, les sommes perçues s’étaient révélées bien inférieures à celles espérées. Ici encore, les finances athéniennes sont au plus bas, et comme dans la précédente affaire on voit que les citoyens étaient prompts à ordonner des confiscations pour alimenter le trésor de la cité. Cette seconde procédure visait tout d’abord le beau-père d’Aristophane, puis le fils de ce dernier à la suite du décès de son père. Soupçonné d’avoir capté les « biens non apparents » (meubles, argents), l’accusé ne remet pas en cause les condamnations précédentes. Lysias concentre l’essentielle de la défense qu’il rédige à démontrer que les attentes des Athéniens ne correspondaient pas à la réalité de la fortune d’Aristophane. Pour cela, il convoque plusieurs exemples du passé, aux rangs desquels se trouve Alcibiade. Lysias dresse la liste des erreurs athéniennes à propos des fortunes privées de certains citoyens du § 45 au § 54 : « bien des gens paraissent riches de leur vivant qui, après leur mort, ont démenti l’opinion que vous en aviez »65. Pour cela il dresse une liste

d’exemples anciens66, c’est-à-dire de citoyens morts, puis donne le cas plus récent de

Diotimos au § 50. L’exemple d’Alcibiade est fourni en dernier. Les éditeurs ont parfois suspecté une erreur de positionnement, le transposant après le § 47, le supprimant ou proposant d’y voir un ajout postérieur qu’ils ne datent pas67. En fait, la nature des

propos est plus surprenante que leur position dans le texte.

Ἔπειτ’ οἴομαι ὑμᾶς εἰδέναι ὅτι Ἀλκιβιάδης τέτταρα ἢ πέντε ἔτη ἐφεξῆς ἐστρατήγει ἐπικρατῶν καὶ νενικηκὼς Λακεδαιμονίους, καὶ διπλάσια ἐκείνῳ ἠξίουν αἱ πόλεις διδόναι ἢ ἄλλῳ τινὶ τῶν στρατηγῶν, ὥστ’ ᾤοντο εἶναί τινες αὐτῷ πλεῖν ἢ ἑκατὸν τάλαντα. Ὁ δ’ ἀποθανὼν ἐδήλωσεν ὅτι οὐκ ἀληθῆ ταῦτα ἦν· ἐλάττω γὰρ οὐσίαν κατέλιπε τοῖς παισὶν ἢ αὐτὸς παρὰ τῶν ἐπιτροπευσάντων παρέλαβεν. Encore un exemple : vous savez, j’imagine, qu’Alcibiade fut stratège quatre ou cinq ans de suite, maître de la mer et victorieux des Lacédémoniens : les villes, alors, ne marchandaient pas à lui donner deux fois plus qu’à n’importe quel autre stratège, en sorte que certains lui attribuaient plus de cent talents ; c’était faux, on le vit bien à sa mort, il laissa à ses enfants une fortune moindre que celle qu’il avait reçue de ses tuteurs.68

65 Lysias, Sur les biens d’Aristophane, 45.

66 Lysias cite au § 46 Ischomachos (à son propos, voir probablement Xénophon, Économique),

§ 47 Nicias et au § 48 Callias et Cléophon. 67 Voir Lysias, Discours II (CUF), p. 51 n. 3.

L’expression «  victorieux des Lacédémoniens  » place nécessairement l’épisode après 411. Toutefois, la durée de la stratégie indiquée donne une vision très floue et inexacte du personnage comme du contexte historique. De 411 à 407, Alcibiade exerce bien des commandements militaires, mais sans toujours être véritablement mandaté pour cela69. L’orateur ne dit rien de la flotte à Samos, des oligarques à Athènes, du

retour, puis du second exil. Il ne dit rien non plus de la prodigalité d’Alcibiade, bien connue de ses contemporains comme par les sources postérieures70, et qui expliquerait

aussi bien le faible patrimoine laissé à ses héritiers71. Si le passage est authentique, il

montre surtout comment en  388, l’histoire d’Alcibiade pouvait déjà être évoquée uniquement à des fins argumentatives, et sans un réel souci d’exactitude72.